Marc Dufour prépare une « révolution » positive pour l'entreprise SNCM
Par nicolas éthèvePublié le
Quand il n'est pas à Marseille, il est en Algérie, en Tunisie, en Corse, voire en Lybie, bref,... Aux quatre coins de la Méditerranée. Tout affairé à développer l'entreprise SNCM (Société Nationale Maritime Corse Méditerranée) dont il est à la tête depuis 13 mois, d'abord en qualité de directeur jusqu'au 14 octobre dernier et, désormais, comme président du directoire de la compagnie.
En plus de ses grosses journées de travail, Marc Dufour mène activement à Montpellier ses mandats d'adjoint au maire et de conseiller d'agglomération (Modem), avec, au-delà de la fatigue générée, la satisfaction professionnelle et politique d'être en prise avec le terrain. Travailler, faire de la politique, vivre, et chasser par les faits le très mauvais souvenir de la liquidation financière de l'entreprise aérienne Air Littoral, dont il était le président directeur général, à Montpellier. Entre deux rendez-vous, le président du directoire de la SNCM a accepté d'accorder une interview à Médiaterranée pour parler de son entreprise, de ses perspectives de redressement et de développement. Il en parle à l'envie. Sa force ? Avoir d'emblée cerné l'identité de la glorieuse maison et défini des enjeux stratégiques ambitieux. Avec notamment un programme d'investissements portant sur l'acquisition d'une flotte de huit bateaux mixtes (fret et passager) entre 2015 et 2018. Un programme qui a suscité l'intérêt du comité d'entreprise, ce qui n'est pas rien à la SNCM...
« Il y a moins d'un an, il était impensable d'imaginer que l'on puisse parler clairement de problème de productivité et de négociation d'un nouveau schéma d'accords qui permette un développement, souligne Marc Dufour. Dans l'entreprise, il y a un grand sentiment de fierté du pavillon de la SNCM, quelque chose de génétiquement inscrit dans les gênes de cette entreprise, et ce n'est pas étonnant au vu de son histoire, qui pourrait remonter, si l'on grattait un peu, jusqu'au temps de Colbert et des débuts de la marine royal : il y a une espèce de fierté du pavillon de la SNCM, un sentiment des gens, une culture de l'entreprise extrêmement forte, même s'ils l'expriment parfois d'une manière qui n'est pas toujours très compréhensible... Mais on sent bien qu'il y a dans cette fierté d'être à la SNCM, l'idée que cette entreprise pourra retrouver la place qu'elle avait et pour laquelle elle avait été créée, c'est à dire rayonner sur toute la Méditerranée. J'ai tout de suite senti qu'il fallait redonner une identité à la SNCM, redonner à ses salariés une raison d'être fiers de leur boîte, mais de manière objective. Il fallait le faire ! ».
Face aux premiers constats d'une entreprise « déficitaire depuis des années », donc, en « situation économique difficile », Marc Dufour a eu l'idée de cette révolution : « revenir à des modes de transports plus combinés pour augmenter la productivité et réduire les coûts » .
« Nous avons toujours eu une bonne complémentarité, avec des bateaux fret d'un côté et des bateaux passager, de l'autre, mais aujourd'hui, nous pouvons avoir une plus grande flexibilité avec des bateaux qui ont le confort des ferrys et les capacités d'emport dans les garages d'un cargo », explique le président du directoire de la SNCM. Pour que cet « avenir » se concrétise, la grande dame devra éviter certains écueils. Des écueils dont Marc Dufour nous parle, ici. Entretien...
Quel est votre calendrier pour la mise en œuvre du projet de renouvellement de la flotte avec des bateaux mixtes ?
« Il y a un certain nombre de conditions à remplir préalablement, avant de lancer le plan d'investissements. D'abord, nous devons être sûrs d'avoir le renouvellement de la Délégation de Service Public (DSP) qui lie la SNCM à la Corse, avec un cahier des charges et un périmètre qui nous paraissent convenables. Ce contrat de service public arrive à échéance en décembre 2013, mais il est fort probable que la période soit raccourcie d'un an, pour des raisons juridiques... Donc, nous sommes à douze mois d'un renouvellement de concession qui représente 60% de notre chiffre d'affaires. Ensuite, nous devons adapter notre réponse à la modification de la flotte, en fonction des attentes des Corses. Si nous avons la DSP et si nous signons un pacte social avec l'ensemble des forces de la Compagnie pour sceller notre engagement collectif à redonner des couleurs à la boîte, nous pourrons lancer le plan de financement. C'est en cela que l'avis du comité d'entreprise est important pour moi. Parce que fondamentalement, je veux faire adhérer l'ensemble des salariés au projet, pour qu'on le tire ensemble vers le haut. On a pris le temps, nous avons organisé trois CE en trois semaines, je crois que jamais le dialogue social n'a évolué de manière aussi positive à la SNCM. Alors, ça ne se fera pas en une seule fois, c'est sûr, mais je veux que les salariés s'approprient ce projet qui est porteur de l'avenir de cette boîte, à laquelle ils tiennent tant. Si on réussi la DSP, si on met en place le pacte social, nous aurons un train d'investissements qui porte aujourd'hui sur huit bateaux neufs, c'est à dire un peu plus de 800 millions d'euros d'investissements. Ce plan s'échelonnera entre 2015 et 2018, sur la base de deux navires neufs par an, pendant quatre ans.
Marc Dufour est le président du directoire de la SNCM. (DR)
La DSP est une pièce charnière de ce projet, est-ce que vous avez des inquiétudes quant à son renouvellement ?
On en a toujours. Tout simplement parce que le poids des autorités qui régulent la concurrence en Europe ou en France est de plus en plus puissant : nous sommes dans une évolution réglementaire, juridique et même culturelle, où la libre concurrence est un dogme de l'économie et de l'Europe, tels que nous les vivons aujourd'hui, avec des pouvoirs extrêmement étendus. Et nous sommes en face d'une compagnie qui bât pavillon italien, Corsica Ferries : cette entreprise est à la marine marchande, ce que Ryan Air ou Easy Jet sont aux compagnies traditionnelles aériennes... Ce sont des « lows-cost », elles sont très favorables à une déréglementation du marché. Leur schéma économique, je peux le dire sans porter de jugement de valeur, c'est casser le nôtre pour exister. Donc, ils font feu de tout bois à chaque fois que nous prenons une décision : ils nous attaquent sur toutes les juridictions qui existent, du tribunal administratif, jusqu'à la Cour européenne... C'est la guerre totale ! Aujourd'hui, la vraie question est la suivante : est-ce que l'on considère qu'en volume la Corse est suffisamment desservie, que l'on peut laisser faire la main invisible des marchés ? Ou est-ce que l'on considère qu'il y a là un enjeu important de continuité territoriale entre la Corse et la France, comme entre l'Italie et la Sardaigne ou la Sicile, ou entre l'Espagne et les Baléares ? Si on laisse faire le marché, on aura tout ce que ce que l'on veut entre le 15 juin et le 15 septembre, il va y avoir une offre pléthorique, si elle n'est pas régulée, mais le problème de la desserte ne sera pas réglé sur le reste de l'année. C'est comme quand vous faites un pont : en hiver, il est beaucoup moins fréquenté qu'en été. Si c'est le marché qui décide, le pont n'est pas tendu pendant toute la basse-saison, etc. Nous sommes exactement dans la même situation avec la SNCM.
Pourquoi est-ce que je souhaite développer le fret ? Parce qu'à la différence du passager, le fret ne connaît pas cette hyper-saisonnalité du marché. 95% de tout ce qui se consomme, de tout ce qui se produit, depuis les matières premières, les produits semi-finis, jusqu'à l'alimentaire et d'autres encore, passent par le maritime : il y a une variation saisonnière de l'ordre de 1 à 3, entre les mois à faibles trafics et les mois à gros trafics, alors qu'il est de 1 à 16 pour le transport des passagers. Tout cela justifie une approche de service public. Les ultralibéraux diront qu'il n'y en a pas besoin. Ce sont les mêmes qui sont contre la péréquation tarifaire du timbre postal au prétexte qu'il n'a pas le même coût pour la Poste, selon qu'elle achemine une lettre dans un mas, au fin fond des Cévennes, ou un courrier intra-muros, à Montpellier. Il est certain que le coût de livraison de ce courrier n'est pas le même, mais le principe de la Poste, c'est un principe fondamental de l'aménagement du territoire. A la SNCM, nous avons le même problème : est-ce que nous rentrons dans un schéma d'aménagement du territoire et de continuité territoriale - et là, nous pouvons proposer un prix de service public- , ou non ? Pour moi, la continuité territoriale est justifiée, tout comme la subvention DSP, son contrat spécifique, son cahier des charges et ses obligations de service public... Pour répondre complètement à votre question, je ne pense pas que la DSP puisse ne pas être renouvelée. La Corse est dépendante à 95% du transports maritime : l'Etat ne peut pas s'en désintéresser en laissant le marché réguler tout ça.... Il suffirait que la boîte qui détiendrait le marché soit vendue ou ait un problème, pour qu'il y ait une rupture. Ce serait gravissime de la part d’un État républicain qui a le devoir de considérer tous ses citoyens de manière équivalente.
Pour conclure sur un autre horizon méditerranéen, quel a été l'impact économique du Printemps arabe, pour la SNCM ?
L'impact a été très fort. Le trafic a connu une baisse allant jusqu'à 70 %, selon les moments et les destinations. En moyenne, nous avons perdu 50 % du trafic ! On s'est adapté, j'ai dû réduire l'offre, puisque nous avons même eu des répercussions sur les traversées vers l'Algérie avec ce qu'il s'est passé en Tunisie. Tout cela mérite que l'on se pose des questions, parce que nous ne sommes plus une entreprise nationale, nous sommes une entreprise privée. Et nous avons en face de nous deux compagnies nationales, la Compagnie Tunisienne de Navigation et la Compagnie Algérienne de Navigation. Toutes deux n'ont pas les mêmes objectifs de rentabilité que nous. Et face à une diminution des trafics, il faut bien s'adapter. Et si on s'adapte, on accroît le déséquilibre en faveur de ceux qui, même avec des coefficients de remplissage très bas, maintiennent l'intégralité de leur programme... En ce moment, la fréquentation remonte un peu. Il y a eu l'Aïd et les élections en Tunisie qui marquent le début d'un processus démocratique avec la création d'une constituante en Tunisie. Est-ce que cette reprise est conjoncturelle, est-qu'elle va se confirmer ? On n'a pas encore le recul nécéssaire pour le savoir, je pourrai vous le dire dans quelques mois. Mais je suis confiant, optimiste quant à la capacité de ce pays à se redresser. Y compris pour ce qui concerne la Lybie, où l'on est en train de réfléchir avec la Compagnie Tunisienne de Navigation, à la possibilité d'avoir des services conjoints vers Tripoli.
La SNCM veut faire l'acquisition de 8 bateaux mixtes (fret et passager) entre 2015 et 2018. (DR)
Encore un projet !
Oui, tout cela est passionnant ! Un plan d'investissement de 800 millions, il n'y a pas beaucoup d'entreprises qui ont la chance d'être confrontées à cette problématique ! De plus, ce renouvellement de la flotte change complètement le modèle économique de la SNCM, sur son marché et dans sa manière de produire, dans ses coûts,... C'est vraiment un retournement ! L'ensemble de l'équipe dirigeante est consciente du caractère exceptionnel du projet que nous avons fait naître et que nous sommes en charge de mener à bout. Dans tout cela, la communication est un élément fondamental, à l'intérieur, comme à l'extérieur de l'entreprise. Parce que la cohésion et le pacte social viendront à partir du moment où les gens auront compris ce que nous voulons pour la SNCM : redresser l'entreprise et lui donner des perspectives de développement. Ma vision stratégique se résume ainsi : une flotte plus adaptée, une réduction des coûts grâce à une meilleur productivité, un assouplissement des accords sociaux sans toucher aux salaires, des bateaux plus rapides qui permettent de trouver des développements sur la Méditerranée et autour de la Corse. Voilà l'avenir que je veux donner à la SNCM ».
Propos recueillis par Nicolas Ethève
Privatisée en 2006, la SNCM dessert la Corse, la Sardaigne, l'Algérie et la Tunisie. Son capital est détenu par Veolia Transdev (66%), l'Etat (25%) et les salariés (9%).
Le site internet de l'entreprise : www.sncm.fr