Robert Ménard fait des vagues jusqu'en Algérie !
Par nicolas éthèvePublié le
Le quotidien Liberté-Algérie publie aujourd'hui une lettre ouverte signée par le Professeur Tahar Benabid à l'intention de Robert Ménard et de Thierry Rolando, les deux coauteurs de « Vive l'Algérie française » (Editions Modicus), un petit essai pamphlétaire de 30 pages qui défend notamment le « bilan de la colonisation » jugé « largement positif ».
Rien à voir donc, a priori, avec la fin du contrat de Robert Ménard à iTélé, ni avec la candidature de ce biterrois à la mairie de Béziers, quoi que...
L'auteur de cette lettre ouverte, que Médiaterranée Languedoc-Roussillon publie ici in extenso, y dénonce « l'argumentaire fallacieux et mensonger de Robert Ménard et Thierry Rolando ». Rappelons, avant de passer à cette missive (ce « scud », serait-on tenté de dire), que Thierry Rolando est le président national du Cercle algérianiste, dont 3 500 des 8 000 adhérents résidaient en Languedoc-Roussillon, en 2005. Ce Cercle « peste » depuis plus de 30 ans « contre l'histoire officielle de la présence française en Algérie telles que la présentent ceux-là mêmes qui (…) ont acculé [les pieds-noirs] à l'exil » et s'était réjoui de l'efficacité de « son lobbying en faveur de la loi de février 2005 » sur « le rôle positif de la présence française outre-mer et particulièrement en Algérie », comme l'avait souligné à l'époque le numéro 5 du journal L'Accroche, consultable ici (page 12 et 13)...
Lettre ouverte à Robert Ménard et Thierry Rolando
« Au regard de vos parcours professionnels, j’étais convaincu de l’opportunité d’apprendre des choses inédites sur l’histoire coloniale française. Friand du débat contradictoire, je me suis empressé d’acquérir le livre. D’emblée, vous annoncez la couleur par votre « assez ! assez ! », trahissant l’état d’esprit partial et vindicatif du nostalgique pied-noir. Du point de vue académique, le document, d’une médiocrité déconcertante, n’apporte absolument rien de nouveau. Dénonçant ce que vous qualifiez de frénésie mémorielle à sens unique, vous vous adonnez au même exercice dans le sens inverse en nous servant un ramas de vérités tronquées et des faits présentés avec une légèreté et une subjectivité déroutantes. Vous vous essayez, à travers un poncif au ras des pâquerettes, à l’exercice malsain de recycler les évènements à l’avantage des bourreaux du peuple algérien.
Passons sur les glissements rhétoriques, à la limite de l’indécence, et examinons quelques passages. Vous affirmez que le bilan de la colonisation était largement positif. À croire que lorsque les Français ont débarqué en Algérie, ils ont trouvé un désert implanté de quelques tentes où vivaient des autochtones à l’état primitif. Ne savez-vous donc pas que cette région a connu les civilisations amazighe, romaine et arabo-musulmane. Ignorez-vous que c’est à partir du Maghreb arabe que la civilisation arabo-musulmane a rayonné sur l’Europe occidentale. Vous avancez un chiffre de 4,8% d’étudiants musulmans inscrits à l’université d’Alger en 1929-1930. Trente longues années plus tard, 1960-1961, ce chiffre augmente timidement pour atteindre à peine 18,1% et vous le présentez comme bilan positif. La durée de temps ne vous dérange point ! C’est vous départir du sérieux qui sied à votre statut que de faire l’amalgame entre un bilan positif et des statistiques.
Un bilan, messieurs, c’est le rapport entre les opérations réalisées et celles qui auraient dû l’être, ou qui étaient programmées. Quelques pourcentages pour une population largement majoritaire est un bilan qui renseigne sur la ségrégation raciale pratiquée à grande échelle à cette époque. Par ailleurs, très rares étaient les enfants de paysans ou de simples ouvriers musulmans qui accédaient à ce niveau d’instruction.
« Quel palmarès ! »
Le bilan de la colonisation est un désastre. Mille fois non ! Le bilan de l’occupation française se résume ainsi : plus d’un million et demi de morts et de disparus, un taux d’analphabétisme excessivement élevé et un niveau d’instruction très limité, des milliers d’enfants privés de leurs parents et de femmes privées de leur mari, un sous-développement terrifiant, des richesses naturelles spoliées et, cerise sur le gâteau, toute une région du Sud algérien contaminée par un essai nucléaire.
Quel palmarès ! Quant aux infrastructures, je suis persuadé que si les Français pouvaient les amener dans leurs valises, ils l’auraient fait car elles ont été réalisées pour assurer leur confort dans l’optique d’une colonisation à vie. Vous prétendez que de 1830 à 1930, la superficie des terres cultivables appartenant aux musulmans a doublé. Passant sur le fait que les Algériens ont été spoliés des terres les plus fertiles, je suis surpris que la durée de temps, pourtant si évidente, vous échappe. Ne vous rendez-vous pas compte que la période que vous citez est énorme ; un siècle ! Mes bons messieurs, sans la politique des expropriations et de discrimination, ces terres auraient dû être multipliées par 100, voire plus, comme c’est le cas sous l’Algérie indépendante en deux fois moins de temps.
Aussi, je suis outré par tant d’impertinence à vouloir occulter que la majorité des Français s’accommodaient parfaitement d’une république à deux collèges. Le silence complice face à une injustice flagrante vis-à-vis de ce que vous appeliez « les indigènes » ne suffit-il pas pour interpeller votre conscience ? Défenseurs patentés de la colonisation, vous ne vous gênez même pas pour désigner de martyrs les criminels de l’OAS. En en faisant l’apologie, vous vous rendez coupable de soutien moral à des actes barbares qu’aucun être humain ne peut tolérer car rien ne pouvait les justifier.
« Le silence complice face à une injustice flagrante »
Comble de paradoxe, vous mettez au même niveau des gens au service d’un État d’occupation et des combattants qui luttaient pour recouvrir la liberté et les droits d’un peuple. Il est quand même ahurissant que la justesse de la cause de la Révolution algérienne et les rapports de forces extraordinaires déséquilibrés en faveur de vos paras et autres troupes belliqueuses ne vous gênent en rien dans votre analyse ?
Le FLN a mené la lutte comme le lui a imposé l’adversaire. De quels moyens disposait le FLN pour faire face à la puissante machine de guerre coloniale ? Le FLN n’a pas mené sa lutte comme il a voulu mais comme le lui a imposé son adversaire ; ce qui rend, par transitivité, ce dernier responsable du malheur des uns et des autres.
C’est là la différence fondamentale que vous savez parfaitement mais que vous vous obstinez à éluder. Les Français que vous fustigiez, comme Frantz-Fanon, Maurice Audin, Francis Jeanson, Gilbert Meynier, Henri Maillot, et bien d’autres, ne témoignent pas de la simple sympathie à la Révolution algérienne, bien plus, ils manifestaient de la noblesse d’âme et d’esprit à l’égard d’une cause juste. Jeanson écrivait en 1960 : « (…) Ce que nous avons fait, nous l’avons fait pour défendre une cause, sans doute juste mais pour défendre, je le répète, l’honneur de la France. »
« Toute honte bue »
Frantz-Fanon disait que chaque fois que la liberté et la dignité de l’homme sont en question, nous sommes tous concernés, Blancs, Noirs ou Jaunes. L’OAS et ses supporters ne se sentaient évidemment pas concernés et n’ont jamais défendu autre chose que leurs intérêts et leur confortable hégémonie finissante. Toute honte bue, vous citez en guise de comparaison, 2 410 pieds-noirs ou militaires français assassinés, selon vos dires, par le FLN durant la guerre. Vous n’êtes pas sans le savoir, rien que durant les six mois de la bataille d’Alger, la sinistre unité du général Aussaresse, dénommée « escadron de la mort », a arrêté 24 000 personnes dont 3 000 ont disparu. Je vous rappelle, entre autres, les événements de Sétif, Guelma et Kherrata, du 8 Mai 1945, ayant fait 45 000 morts. Je ne voudrais pas polémiquer au sujet des harkis et des tortionnaires.
Toutes proportions gardées, je vous dis simplement que si vous voulez honorer le général Bigeard et les harkis, vous devriez soutenir les nostalgiques de l’Allemagne nazie qui souhaiteraient ériger en héros national l’innommable Adolf Hitler et qui envisageraient de rendre hommage aux collaborateurs français durant l’occupation allemande. En ce qui concerne les poseuses de bombes, exemples de bravoure et de courage, je vous renvoie à la réplique faite par Larbi Ben M’hidi aux journalistes après son arrestation en mars 1957 : « (…) Donnez-nous vos bombardiers et on vous donnera nos couffins. »
Je passe sur le reste au risque de produire une lettre bien plus consistante que votre livre de petite poche. Apprenez, messieurs, que se remettre en cause par examen de conscience est une vertu. Manifestement, vous faites partie des gens à opinions figées pour l’éternité. Je ne suis donc pas surpris de vous voir verser votre venin sur l’Algérie à la fin de votre document à deux sous. N’en déplaise à vos soutiens, je serais peut-être l’un des rares Algériens désabusés en raison de ma curiosité intellectuelle, à l’avoir acheté.
« Le bas fond de l’absurdité intellectuelle »
Néanmoins, il a le mérite de me rappeler à quel point des hommes qu’on peut admirer un jour peuvent nous tirer le lendemain vers le bas fond de l’absurdité intellectuelle. Que vous demandiez réparation à l’État français au nom des pieds-noirs et des harkis, tout le monde vous l’accorde mais, de grâce, arrêtez de mettre, pêle-mêle, tout dans le même panier. Je compatis au malheur de ceux qui ont quitté leurs biens et leur confort, de manière subite, fussent-ils responsables ou complices de ma tragédie.
Ils ont emporté ce qu’ils ont pu comme argent, bijoux et meubles. Le minimum, gîte et nourriture, leur a été assuré par l’État français durant cette période transitoire. Pensez, quant à vous, à la misère dans laquelle ce même État a laissé les Algériens. Messieurs, c’est sous le regard impassible des pieds-noirs que l’armée française est venue me priver à jamais de mon père en ce triste jour d’hiver 1958. J’avais à peine deux ans. Nous étions cinq frères et sœurs dont l’aîné avait huit ans et ma petite sœur avait trois mois. Nous vivions au seuil de la pauvreté.
Avec la disparition de notre père, nous sommes entrés de plain-pied dans la misère extrême. Je n’attends pas de vous de manifester de la mansuétude envers les Algériens ou de faire pénitence pour les avoir offensés. Ayez au moins, si ce n’est de la pudeur, un peu de retenue et du respect pour les peuples qui se sont sacrifiés pour le droit et la liberté. »
Tahar Benabid, Professeur
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