Eric Toussaint, économiste... (DR)

Eric Toussaint : « la dette grecque, illégitime et insoutenable, a surtout profité aux banques »

La Commission d’audit sur la vérité de la dette grecque, mise en place par la présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, a rendu publiques ses conclusions préliminaires. Cette dette est illégitime et insoutenable affirme l’économiste Eric Toussaint en charge de la coordination de ces travaux. Entretien.

Quels sont les points forts du rapport préliminaire qui décortique la généalogie de la dette de la Grèce ?

Pour dresser ce rapport, nous nous sommes penchés sur les prêts consentis par les 14 Etats membres de la zone Euros qui s’élèvent 53 milliards d’euros, le prêt débloqué par le Fonds européen de stabilité financière de l’ordre de 130 milliards, les 27 milliards de titres détenus par la Banque centrale européenne (BCE) et les prêts octroyés par le FMI à hauteur de 27 ou 28 milliards. Nous avons analysé en priorité les dettes réclamées par les institutions que je viens de citer pour voir si on peut les considérer comme illégitimes, illégales ou insoutenables. Les résultats de nos investigations nous permettent de répondre clairement que c’est le cas.

En quoi, précisément, ces dettes sont-elles illégitimes ?

La raison est simple : ces dettes n’ont absolument pas bénéficié à la Grèce. Elles ont été en réalité octroyées pour favoriser les grandes banques privées, notamment françaises et allemandes, lesquelles étaient les principales créancières jusqu’au début de 2010. Nous estimons qu’une dette est illégitime dans la mesure où elle est accumulée sans respecter l’intérêt général, mais pour favoriser une minorité privilégiée. Les montants qui ont été octroyés par les 14 Etats membres de la zone euros dont la France (10 milliards) ne sont pas arrivés dans les caisses de l’Etat grec, ils n’ont pas servi à payer des retraites ou des salaires de fonctionnaires, à faire fonctionner des hôpitaux ou à maintenir en état des infrastructures, mais à remplir les coffres des banques, lesquelles étaient par ailleurs à l’origine de la crise.            

Dans quelle mesure les résultats de vos travaux peuvent-il inspirer et renforcer la position du gouvernement grec face à la pression de ses créanciers ?

Nous apportons aux autorités grecques des arguments très solides pour délégitimer les demandes des créanciers.

Mais concrètement comment est-ce possible, sachant que cela n’a pas de valeur juridique ?

Il n’y a effectivement pas d’instance juridique internationale qui peut donner raison à la Grèce, mais la négociation ne s’effectue pas uniquement sur cette base. Dans les discussions qui ont cours, chacun avance des arguments. La Grèce peut parfaitement se prévaloir d’un acte souverain en invoquant le caractère illégitime, et surtout, insoutenable de la dette. Un Etat qui se trouve dans cette situation peut valablement suspendre souverainement et unilatéralement le paiement de sa dette sans que l’on puisse lui réclamer des intérêts de retard et sans être en infraction au regard du droit international.

Au-delà de la question de la dette grecque, quelle peut-être la portée de ce rapport pour les autres pays européens et pour les pays du tiers monde ?

Il est clair que le cas Grec peut être comparable à des situations de pays en développement qui sont entrés sous le joug des institutions internationales (banque mondiale et FMI) à partir des années 80. La Grèce commence effectivement à ressembler fortement à ce que l’on a alors connu. C’est pourquoi il est important que le peuple qui a porté Syriza au pouvoir avec un plan anti-austérité impose sa souveraineté aux créanciers. L’enjeu a dans tous les cas une dimension internationale dans la mesure où Juncker, Merkel, Moscovici, Lagarde, Rajoy, veulent démontrer aux peuples d’Europe qu’il est impossible de rompre avec l’austérité. C’est cela qui est en réalité au centre des discussions. La dette est un instrument de subordination d’un pays et d’un peuple à la volonté des créanciers qui veulent poursuivre, comme François Hollande et Moscovici, l’orientation néolibérale. Si le peuple grec réussissait à obtenir de ses créanciers un changement de situation, cela ne pourrait qu’encourager d’autres peuples à relever la tête pour lutter contre l’austérité.

La sortie de la Grèce de la zone euros vous semble-telle envisageable ?

Je pense qu’il est parfaitement possible de trouver une solution à la dette grecque en mettant en place des mesures complémentaires, tels que le contrôle des banques, le contrôle du mouvement des capitaux et la relance des dépenses publiques afin de booster l’économie et de créer des emplois. Il est possible d’y parvenir sans sortir de la zone euro, en ayant peut-être recours à une monnaie complémentaire. Il y a d’ailleurs des discussions dans ce sens à Athènes.

 

Source Humanité Dimanche du 18 au 24 juin 2015