François Baraize (EELV) : « Notre position est celle d'un accord de gouvernement à gauche »
Par nicolas éthèvePublié le
Soutien de la première heure d’Éva Joly, la candidate d'Europe Ecologie-Les Verts, et candidat aux législatives sous cette étiquette (EELV) sur la 8ème circonscription de l'Hérault, François Baraize a accepté d'évoquer pour les lecteurs de Médiaterranée cette campagne présidentielle, où selon les derniers sondages, la candidate écologiste pointe désormais à 2,5% d'intentions de vote, après avoir longtemps stagné en dessous de la barre de 1%.
Chercheur en science politique de formation et consultant en analyse de politiques publiques spécialisé sur le secteur culturel, François Baraize a beaucoup de choses à dire sur tous ces sujets, du haut de ses 45 ans. D'autant qu'il est aujourd'hui membre du Comité fédéral d'EELV (son parlement national) et du Comité politique régional du Languedoc-Roussillon (son parlement régional) après avoir passé plusieurs décennies dans le sérail local du PS, à Montpellier. Entretien...
Quelle est votre analyse concernant le petit score d'EELV annoncé par les instituts de sondage à l'élection présidentielle française ? Même si les projections sondagières restent à confirmer dans les urnes, celles avancées pour la candidature d'Eva Joly font suite aux faibles résultats électoraux enregistrés lors des trois dernières élections présidentielles françaises avec les candidatures présentées par les Verts en les personnes de Dominique Voynet (3,4% en 1995), Noël Mamère (5,3% en 2002) et José Bové en 2007 (1,32%). Comment interprétez-vous ces récurrences électorales ?
« On verra dimanche soir, même si je ne m'attends pas à un miracle... Il est vrai qu'il y a cette récurrence : les candidats écologistes ne font pas des bons scores aux élections présidentielles. On peut voir que ce ne sont pas des accidents, il y a quelque chose qui se produit sur le long terme et qui nous pose question sur la façon dont on aborde cette élection, notre capacité ou pas à le faire. Il y a plusieurs choses là, je crois. D'abord, on a une campagne présidentielle qui est assez singulière dans laquelle on ne parle pas beaucoup d'enjeux de fond. Personnellement, je suis assez sidéré de voir que nous sommes en pleine crise, économique, écologique et sociale, mais que l'on n'en parle très peu en fait. Médiatiquement, on peut passer une semaine à parler du permis de conduire avant de se demander de quoi on va parler la semaine prochaine... Comme si l'essentiel, c'était de sortir le sortant et de s'être mis d'accord sur celui qui le sortait. Et puis, le reste, c'est du comptage de troupes, de la démonstration de force, du grand meeting, de la galvanisation de l'électorat et c'est vrai qu'au niveau d'EELV, nous ne sommes pas du tout là-dedans et nous n'arrivons pas à trouver notre place. Après, je pense qu'il y a aussi une énorme difficulté de notre candidate à jouer ce jeu-là de la personnalisation du pouvoir, à être efficace dans les médias. Car à partir du moment où on est attaqué de toutes parts comme Éva Joly l'a été dès le mois de juin dernier, c'est difficile de trouver la façon de résister à ça... Et on le voit bien, là, la capacité qu'a Éva Joly à représenter la justice, l'éthique ou la parole, finit finalement par prendre dans les quinze derniers jours de la campagne, à travers un frémissement des médias et de l'électorat. Jusque-là, ce n'était pas des choses qui accrochaient, alors que nous sommes dans une situation où le président sortant est « cerné par les affaires », comme le dit très bien Éva Joly. Dans n'importe quelle démocratie, il aurait été très difficile pour NIcolas Sarkozy de représenter son camps ! C'est notamment ce que m'ont fait remarquer des Français qui ont vécu 40 ans en Allemagne et qui me disaient effarés qu'outre-Rhin, pour la moitié du début de ce qu'il s'est passé avec un de ses amis, on l'aurait mis en cause et il y aurait eu un autre candidat à sa place. Ce n'est pas comme ça que les Français fonctionnent... Face à tout ça, on multiplie tout un tas d'embûches qui font qu'au final, le score va ressembler, s'il est bon, au cumul de Voynet en 2002 et de Bové en 2007. Et qu'on sera finalement toujours assez loin, dans le cadre de la présidentielle, du poids réel de l'écologie ou de la préoccupation de l'environnement dans l'esprit des gens : selon les différentes enquêtes d'opinion existantes, 6 à 10% des gens déclarent que la protection de l'environnement ou la sortie du nucléaire est la priorité, mais pour l'instant, on n'en est même pas là. L'autre paramètre à prendre en compte, un paramètre assez singulier dans notre électorat, c'est cette idée qu'il faut solder 2002 : on connaît beaucoup de gens, y compris, pour ma part dans mes proches, qui ne voteront pas Éva Joly, qui voteront François Hollande, dès le 1er tour, pour être sûr qu'il soit là au 2nd tour et pour être sûr de vider Sarkozy, puisque c'est ça leur mot d'ordre. Dans notre électorat traditionnel, on a énormément de gens très pragmatiques qui ont cette capacité à nous dire : « c'est super ce que vous dites, on se reverra aux législatives, mais pour la présidentielle, je vais faire un choix de sûreté, je ne veux pas revivre ce que j'ai vécu il y a dix ans ».
Cette forte velléité du vote utile en faveur du PS avait également été identifiée en 2007 chez l'électorat Vert. Mais au-delà de ces différents faits, est-ce que vous constatez également en 2012, ce qui a été souligné par de nombreux observateurs, quant à certaines difficultés internes d'EELV à être soudé autour de ses candidats à la présidentielle, en l’occurrence en 2012, sa candidate Éva Joly ? Pouvez-vous nous dire également pourquoi vous avez soutenu sa candidature dans la primaire d'EELV face à celle de Nicolas Hulot ?
J'ai soutenu Éva Joly à la primaire parce que j'avais envie de faire ce pari-là de l'intégrité et de la justice, dans un moment où il y avait énormément de signes de rabaissement moral au niveau de la présidence République. Et je pensais que c'était quelque chose qui pouvait passer auprès de l'électorat. Mais en même temps, c'était un drôle de choix : Hulot ou Joly, il n'y en avait aucun des deux dont je trouvais qu'il était un superbe candidat.
C'était l'authenticité d'Eva Joly contre les atermoiements de Nicolas Hulot ?
Oui. Du côté de Nicolas Hulot, il y avait sa pédagogie, sa capacité à communiquer et de l'autre côté, il y avait ses difficultés à être clair sur un certain nombre de positions qui étaient importantes en matière économique et sociale. C'était un drôle de choix. J'ai penché d'un côté, j'aurais pu pencher de l'autre sur d'autres choses, d'ailleurs, à EELV, on ne s'est pas beaucoup disputé là-dessus. Après, il est certain qu'il y a eu, chez les anciens leaders du mouvement des Verts, cette capacité à être complètement indisciplinés, ce qui est quelque chose de certainement structurel, ou, en tout cas, qui a été structurel chez les Verts, au nom de la démocratie interme, de la liberté d'expression, etc... Il y a cette capacité-là à publiquement prendre des positions à l'encontre des positions majoritaires qui se sont exprimées au sein du mouvement EELV ! Tout cela est quelque chose de très compliqué à vivre quand on mène une campagne, c'est aussi une certitude...
Au niveau d'EELV, où en êtes-vous par rapport aux regrets concernant la non-alliance contractée avec le Front de Gauche ? Et quelles sont les perspectives d'alliances entre ces formations dans la double perspective de la constitution d'un gouvernement de gauche et des législatives à venir ?
On a essayé de s'allier avec le Front de Gauche, mais le Front de Gauche n'a pas souhaité discuter avec nous. C'était une envie majoritaire à EELV. Cela, c'est pour répondre à votre question sur les velléités d'alliance avec le Front de Gauche... Concernant l'accord sur les législatives avec le PS, il y avait une minorité du mouvement contre cet accord. Donc, cet accord entre le PS et EELV, les deux partis le respecteront. Il y aura très certainement, dans quelques cas, des personnalités du PS qui voudront tenter des aventures solitaires, comme on l'a vu à Montpellier sur la 1ère circonscription de l'Hérault, où Frédéric Bort et Charles Khoury ont voulu tenter l'expérience - Bort a fini par abandonner, mais Khoury continue en dehors du Parti Socialiste. Il y aura d'autres gens comme ça, des gens pour qui l'ambition personnelle passera avant tout, mais l'accord sera respecté dans 99% des cas. Un accord législatif est un accord de majorité parlementaire. Est-ce que cela conduira obligatoirement à une présence des écologistes au gouvernement ? Non, ce n'est pas sûr... Nous, la position que l'on met aujourd'hui publiquement sur la table, c'est celle d'un accord de gouvernement avec l'ensemble des forces de gauche qui ont envie de participer au changement. Cela ne veut pas dire que l'on se met en dépendance de la réponse au Front de Gauche, mais que l'on va discuter, si la gauche gagne, de cette question : pourquoi participe-t-on au gouvernement et de quelle façon ? Est-ce que cela se fera ou ne se fera pas, à l'issue de la présidentielle ou à l'issue des législatives, dans le sens d'une dynamique, je ne peux pas l'affirmer, je n'en sais rien... Mais personnellement, je suis pour que l'on aille au gouvernement, parce que je suis toujours favorable à ce que l'on aille à l'endroit où l'on pèse le plus fortement possible dans le sens d'une transformation de la société.
Vous avez été un militant historique du PS, notamment au sein de l'UNEF. Pourquoi avez-vous quitté le PS ?
J'ai quitté le PS formellement en 2010, parce que cela faisait longtemps que je ne m'y sentais plus à l'aise. Je suis rentré au PS il y a 25 ans, parce que je voulais transformer la société et parce que je pensais que ce parti était le meilleur outil de transformation sociale. Je l'ai quitté pour deux raisons. La première, c'est que je pense depuis un paquet d'années maintenant, que les recettes et le programme économique et social du PS ne sont plus en capacité de répondre aux enjeux qui se posent au 21ème siècle. Et je pourrais dire la même chose du Front de Gauche... Ces deux organisations restent des partis issus du mouvement ouvrier qui réfléchissent en terme de croissance et de redistribution des fruits de la croissance. Mais on n'est plus dans un monde où la croissance peut porter la création de richesses, je pense qu'il faut réfléchir aux choses de façons radicalement différente ! Cela fait quelques années maintenant que je suis un compagnon de route du mouvement coopératif : j'ai été atterré par l'incapacité des collectivités locales gérées par le PS, ou la gauche, à aider cette autre forme d'entreprise que sont les coopératives, à favoriser un autre modèle économique que celui incarné par le CAC 40, d'un côté, et le patron de PME, de l'autre. Je pense que là, la gauche a failli depuis longtemps. Et puis, l'enjeu environnemental est devenu il y a une dizaine d'années quelque chose de prépondérant pour moi. On est dans un monde qui, depuis les Trente Glorieuses, est structuré autour d'un modèle de production dont la base, c'est : « l'énergie n'est pas chère, le pétrole n'est pas cher, l'électricité n'est pas chère, donc on peut produire à outrance en utilisant les ressources à outrance ». Et ces trente dernières années, le modèle de la mondialisation s'est généralisé. C'est quoi son modèle ? On va faire transiter des matières premières et des composants dans un pays, et puis, on les fait à nouveau transiter dans un autre, on va les transporter sur des dizaines de milliers de kilomètres pour finalement arriver dans la zone dans laquelle ils vont être pondus... Tout cela n'est tenable qu'à partir du moment où l'énergie n'est pas chère. Quand l'énergie est trop chère pour sous-tendre ce modèle mondialisé, tout cela se casse la gueule ! En travaillant notamment avec Pierre Laroutourou depuis plusieurs années, je me suis rendu compte qu'il fallait que l'on arrête de se battre contre des pans entiers de l'économie mondiale qui étaient déjà morts, moribonds, qui allaient agoniser. Et qu'il fallait immédiatement que l'on réfléchisse à une autre façon de produire des richesses et des biens, ainsi qu'à une autre façon de les partager.
La deuxième raison pour laquelle j'ai quitté le PS, c'est qu'au bout de plus de deux décennies passées dans le PS héraultais de manière souvent très difficile et solitaire face aux caciques locaux, notamment Georges Frêche, je ne voyais pas comment ce parti pouvait se régénérer localement. En 2009, 2010, j'en ai eu marre de jouer à l'idiot utile et d'être l'alibi démocratique de cette fédération de l’Hérault où, finalement, ça arrangeait tout le monde que je sois là pour contester et perdre des élections internes qui la plupart du temps étaient trafiquées dans les votes. A force que cela soit pratique pour tout le monde de dire : « regardez, on est démocrates puisqu'on laisse Baraize se présenter contre nos candidats », j'ai décidé de partir ; après avoir passé 25 ans dans les motions minoritaires du Parti Socialiste localement, je me suis dit : « stop, on arrête ». Le front d'EELV venant juste de se créer, avec la dynamique qu'il portait et qu'il porte toujours, j'ai décidé de m'inscrire dans ce mouvement pour pouvoir porter une autre façon de faire de la politique et de représenter les gens.
Si vous êtes élu député, quelles seront vos premières priorités, outre celles que vous venez de nous énoncer ?
Pour moi, être député, c'est pouvoir influer directement sur le sens de la société. Et je souhaite influer dans un sens écologique et durable, comme vous l'avez bien compris. L'autre raison pour laquelle j'aspire à être député, c'est que je crois que localement, un député peut avoir un rôle de médiateur entre toutes les collectivités territoriales et toutes les forces associatives et politiques. C'est ce qui nous manque énormément dans cette région du Languedoc-Roussillon où les collectivités territoriales se font la guerre très régulièrement, où l'expertise citoyenne est la plupart du temps ignorée ou bafouée. Et pour moi, le rôle d'un député, c'est aussi ça : cette capacité à mettre ensemble toutes les forces du territoire. Sinon, si je suis élu, je m'attellerais à deux propositions de loi en priorité : l'une qui permettrait de donner les moyens aux collectivités et aux agriculteurs de recréer une agriculture de proximité dans la perspective d'alimenter des circuits courts ; et l'autre qui permettrait d'accorder une priorité aux entreprises locales dans l'attribution des marchés dépendant des commandes publiques afin, encore une fois, de favoriser la dynamisation de l'économie locale et globale ».