Frédéric Bort a été le dir'cab de Georges Frêche pendant près de sept ans

Frédéric Bort : « Frêche, c'était la rupture »

Directeur de cabinet de Georges Fêche entre 2004 et 2010, d'abord à Montpellier Agglomération, puis en 2007, à l'hôtel de Région, Frédéric Bort a accepté d'évoquer la mémoire de Georges Frêche pour Médiaterranée Languedoc-Roussillon. Aujourd'hui dir'cab de Jacques Bascou, député-maire socialiste de Narbonne, dans l'Aude, il a également accepté de porter son regard sur l'année écoulée, depuis le décès de Georges Frêche, le 24 octobre dernier. Entretien...

Le 24 octobre 2010, vous aviez-vu Georges Frêche quelques heures avant son décès. Quel souvenir gardez-vous de cette journée ?
« Le souvenir d'une journée très paradoxale. Georges Frêche revenait de Chine après un grand déplacement et j'avais pris le petit-déjeuner avec lui comme nous le faisions souvent. Nous discutions des affaires, de la politique, du dernier bouquin... Je l'avais trouvé particulièrement en forme, ce jour-là. On avait arrêté un programme de travail d'enfer et nous nous sommes quittés tout à fait contents, tous les deux. Quand en fin d'après-midi, son chauffeur m'a appelé pour me dire qu'il était au plus mal, je suis tombé de ma chaise. C'est un jour que je ne suis pas prêt d'oublier, ça, c'est certain. Même si ça fait partie des choses de la vie.

Voir la bande d'annonce du film Le Président, consacré à Georges Frêche et son équipe par Yves Jeuland :

Quel regard portez-vous sur la situation en Languedoc-Roussillon et à Montpellier, un an après son décès ?
Aujourd'hui, c'est le chaos. Malheureusement, l'un des plus grands défauts de Georges Frêche, c'est ne pas avoir travaillé à l'héritage qu'il laissait. Donc, du coup, on a une situation qui est chaotique, on peut le dire, sans fâcher personne : on vit une situation compliquée qui est celle de l'après-Frêche, parce qu'il n'y a pas de régulateur, pas de leader politique. C'est normal, en même temps : il faut une transition, nécessairement, avant qu'on retrouve un nouveau souffle, sans doute une nouvelle génération politique qui soit capable à nouveau de canaliser et d'enthousiasmer Montpellier. Mais, bon, aujourd'hui, c'est quand même le vide et dans ce vide, on assiste à des guerres picrocholines à gauche qui sont inquiétantes pour la suite...

Et ce n'est pas parce que les primaires se sont achevées que ces guerres picrocholines semblent devoir s'achever...
Non, c'est certain... Frêche a accédé à la mairie avec dans la tête une rupture. Il fait passer la Ville de droite à gauche, bien sûr, mais en même temps, il arrive avec des lunettes qui lui permettent de dire : l'avenir de Montpellier réside globalement dans sa croissance démographique et sa croissance urbaine. Avec cette certitude, il bâtit tout un programme qui va être accompli dans les 30 ans qui suivent, autour de cet axe. Quand Georges Frêche arrive à la Région, il crée aussi la rupture, avec Jacques Blanc : la Région passe là-aussi de droite à gauche, mais on arrête surtout le saupoudrage, la micro-subvention, l'accompagnement des petits élus... On vient sur les grands projets, on favorise l'essor métropolitain de Montpellier. Mais aujourd'hui, le programme Frêche, en tout cas sur Montpellier, il est réalisé : l'expansion urbaine de Montpellier est faite et le développement du secteur immobilier comme locomotive de la ville, est au bout du voyage... On sent bien que dans les années qui viennent, on va avoir sur ces sujets-là des difficultés à continuer notre croissance. Il va falloir trouver d'autres secteurs où porter l'investissement public, il va falloir regarder Montpellier avec d'autres lunettes. La disparition de Georges Frêche est frappante pour ça : en même temps qu'un grand homme politique disparaît, on est obligé de repenser la manière dont on doit faire de la politique, dont on doit voir l'avenir de Montpellier. Aujourd'hui, force est de constater que les visions et les analyses qui sont faites sont quand même assez creuses. Donc, il y a tout un travail à faire : une génération politique doit se relever les manches sur ces sujets. J'imagine que j'en fais partie, mais je suis loin d'être le seul. Il y a en tout cas quelque chose à saisir, sinon, nous allons au-devant de difficultés politiques majeures.

Le thème de la communauté urbaine peut être un axe de projection, pour vous ?
Oui... Mais sans oublier qu'une communauté urbaine ou une communauté d'agglomération, ce sont, au fond, des outils : il faut que ces outils soient mis au service d'une vision, d'une politique, qui permettent à Montpellier de franchir les difficultés de la crise financière. Aujourd'hui, tout le monde parle déjà de cette crise financière, mais dans les mois qui viennent, à Montpellier, on va la sentir terriblement ! Parce qu'à Montpellier, nous avons une économie qui repose principalement sur le secteur immobilier. Ce secteur fonctionne grâce à des mécanismes d'accès aux prêts : plus le prix de l'argent va grimper, plus les difficultés d'accès aux crédits vont être importantes, plus le secteur immobilier va ralentir ! Il va en découler une période de très grand flottement, un relâchement de la croissance à Montpellier qui va être considérable. La question c'est : comment on fait pour substituer un autre moteur à ce moteur de l'immobilier qui va ralentir ? C'est ça la vraie question. Du coup, j'en vois beaucoup qui, de manière compulsive, disent : « on continue le programme de Frêche ». Mais Frêche, c'était tout sauf la continuité, c'était la rupture, quelqu'un qui était capable d'analyser les choses et d'adapter son comportement au monde qu'il voyait, comme il était. On arrive à la fin d'un cycle sur Montpellier, et sa mort correspond à ce moment-là, même si elle n'est pas liée à la fin de ce cycle... Mais il va bien falloir que l'on repense la manière d'agir, de mener des politiques publiques sur Montpellier. Aujourd'hui, personne n'en parle de ça...

A cet égard, quelle est votre analyse, votre proposition ?
Frêche, c'était d'abord une capacité à rompre. Donc, il faudrait arriver collectivement à avoir cette capacité à rompre. Rompre avec la manière dont on pense les choses et dont on les faits pour pouvoir donner à Montpellier toutes ses chances, dans les années qui viennent. L'héritage que laisse Frêche, ce n'est pas nécessairement Antigone ou la grande Médiathèque Émile Zola, qui sont bien sûr à mettre à son actif. C'est surtout cette capacité à rompre, à mettre un peu d'intelligence en politique. C'était quelqu'un qui liait en permanence le combat politique, la rudesse des affrontements électoraux et en même temps l’intelligence : la capacité à penser les choses, donc à proposer une vision, à définir une stratégie, à avancer une lecture de la situation. Aujourd'hui, c'est désespérément vide sur ce point. Quand un grand leader s'éteint, nécessairement, derrière, il y a des querelles de succession, mais en même temps, on vit une crise intellectuelle. Parce qu'on doit réformer notre manière de penser Montpellier, mais aujourd'hui, on voit bien qu'il n'y a pas de proposition alternative à la manière dont il faut penser Montpellier. La nature ayant horreur du vide, j'imagine que dans les mois qui viennent, nous verrons apparaître un certain nombre de choses, et les prochaines municipales seront sûrement intéressantes, de ce point de vue-là. Mais, aujourd'hui, il y a une vraie crise intellectuelle. Georges Frêche était peut être l'arbre qui cachait la forêt et cette crise intellectuelle avait peut être commencé avant sa disparition, mais ceci étant, aujourd'hui, c'est vraiment le vide sidéral.

Malgré les différents projets qui sont présentés, ici ou là ?
Les projets qui sont présentés n'ont rien de neuf, ils ne sont pas en liaison avec la situation que nous vivons. Poursuivre l'extension du réseau de tramway, c'est très bien, mais ce n'est pas la 3ème ou la 4ème ligne de tram qui vont nous protéger et faire en sorte que les Montpelliérains soient moins appauvris qu'ailleurs, par rapport à ce qu'il est en train de se passer au niveau européen ou international.

Je pensais aux différents projets de ville qui sont élaborés, notamment par Hélène Mandroux et Jean-Pierre Moure, pour ne citer que ces deux exemples...
Moi, je ne suis pas en liaison directe avec eux en permanence... Ce que je crois, c'est que le moteur qui a été celui de la carrière de Georges Frêche, ça a été l'extension urbaine. Est-ce que ce sera celui des années qui viennent, je n'en suis pas sûr. Parce qu'il y a aujourd'hui des conditions qui ont changé pour faciliter la réalisation de grands projets urbains. La raréfaction de l'accès au crédit, ce n'est pas un mythe, aujourd'hui, et le secteur immobilier va être le premier touché. Donc, il faudra que l'on accroche Montpellier à un autre moteur que celui-là. Et de ce point de vue, j'avoue que je ne vois pas particulièrement d'analyse. On ne peut pas considérer que c'est une analyse que de dire à Montpellier, on va construire un éco-quartier : on fait ce que font d'autres villes, on construit avec des matériaux HQE, on donne une signature développement durable à une excroissance urbaine à tel ou tel endroit, c'est très bien, mais ce n'est pas de nature à aider les gens de ce pays à vivre un peu mieux la situation très délicate que nous allons vivre. Les comptes publics sont dramatiquement touchés aujourd'hui et l'équipe de François Hollande avec laquelle je travaille un petit peu s'attend à trouver, quand elle sera aux responsabilités, une situation encore pire que ce qu'elle est assumée par le gouvernement... Nous allons vivre des moments de grande disette des crédits publiques et les banques vont de moins en moins financer l'économie. Tout cela va générer d'énormes difficultés. Dans ce contexte, je pense que nous avons besoin d'une analyse qui torde le bâton avec les habitudes que nous avons prises sur Montpellier, avec Georges Frêche.

Quand vous dites que Georges Frêche n'a pas préparé sa succession, il a cependant plusieurs fois adoubé Jean-Pierre Moure pour lui succéder à la tête de l'Agglomération... Et il a également plusieurs fois déclaré publiquement qu'après lui, « le temps des Catalans » serait venu pour diriger la Région...
Frêche a dit plusieurs fois qu'« il n'y a pas d'héritage en politique », donc que le pouvoir se prend. Il n'a pas préparé sa succession, mais libre à chacun d'apprécier si aujourd'hui les gens qui lui ont succédés dans les mandats qu'il occupait le remplacent dans l'espace public ou pas. Moi, j'étais son bras droit quand j'étais son directeur de cabinet à la Région, j'ai bien pris attention à ne pas faire un commentaire tous les matins sur ce que faisait Christian Bourquin à la Région en comparant Christian Bourquin à un mètre-étalon que serait Georges Frêche. Je fais attention à ne pas m'exprimer sur ce sujet, le temps viendra où on fera un bilan de l'action de Bourquin en 2014 et où il y aura un débat sur les élections régionales, ce n'est pas le moment aujourd'hui. En tout cas, ce n'est pas parce qu'on succède juridiquement à la tête de collectivités locales que dirigeait Georges Frêche, que l'espace politique qu'il occupait, son épaisseur, a suivi, c'est une évidence.

Où en est votre projet de livre sur Georges Frêche ?
J'y travaille un petit peu, mais je prend le temps de le faire. Pour plusieurs raisons... La première, c'est que je ne voulais pas être dans le concours Lépine de la commémoration, entre ceux qui vont vouloir poser une rose à Puylaurens, ceux qui voudront faire une minute de recueillement, ceux qui dévoileront une plaque, etc. Deuxièmement, je suis engagé dans un combat sur Montpellier qui est d'essayer de conquérir une circonscription législative. Je ne suis pas persuadé que les gens votent sur un souvenir. Si Frêche avait beaucoup de sens pour les Montpelliérains, c'est parce qu'il avait cette capacité d'anticiper l'avenir et d'être au-dessus de la mêlée. Je ferai donc mon livre sur Georges Frêche un peu plus tard, dans un moment qui ne sera pas une utilisation de ce que l'on peut tirer comme conséquences de son parcours politique à des fins bassement électorales et momentanées. C'est pour ça que j'ai voulu dissocier les choses. J'ai eu la chance pendant sept ans de le fréquenter de très près, nous étions très proches - le film Le Président de Yves Jeuland le montre -, donc moi je ne me sens pas obligé d'en faire des tonnes pour dire : c'est moi qui était le plus près, c'est moi qui ait le label « Frêchiste ». Je ne me sens pas obligé de rentrer dans cette course à la proximité. Je sais ce que j'ai fait, beaucoup de gens savent où j'étais avec lui, à quel endroit il me plaçait auprès de lui...

Voir cet extrait du film Le Président, d'Yves Jeuland :

Quels étaient les points forts de votre entente ?
Nous avions une complicité intellectuelle certaine et, au fond, un parcours semblable, toutes proportions gardées. Georges Frêche vient d'un milieu rural du Tarn et de l'Ariège : ce n'est pas un milieu qui le prédestinait à faire des études, il les a faites. Il n'était pas non plus d'un milieu qui lui avait ouvert les portes de la notabilité montpelliéraine... Je me suis un peu retrouvé dans ça : je suis un fils de vigneron, j'étais boursier, j'ai fait des études, je n'étais pas prédestiné à les faire. J'ai envie de faire de la politique, j'en fais et je n'avais pas les réseaux familiaux qui pouvaient m'autoriser à penser que je pourrai en faire avec facilité. C'est pour tout cela que je me suis retrouvé dans Georges Frêche. Ses côtés que certains pouvaient trouver un peu violents des fois, moi je les comprenais bien, j'étais assez facilement en empathie avec lui. Et puis, au-delà de tout cela nous avions un bon ressenti. On ne sait pas toujours pourquoi avec une personne ça passe bien et une autre ça passe mal. Avec Georges Frêche, ça passait admirablement bien.

Concernant votre combat pour la conquête d'une circonscription, vous ne précisez pas vouloir vous présenter sur la 1ère circonscription ?
Il y a une option qui est mise sur la 1ère circonscription, mais dans l'Hérault, le Parti Socialiste va sûrement décider, au niveau national et à mon grand regret, de ne pas faire voter les militants sur la désignation des candidats. Donc, il va y avoir à Paris une négociation, qui commence d'ailleurs, pour arbitrer qui va être positionné sur les neuf circonscriptions. Une sûrement pour les partenaires, quatre pour les femmes, quatre pour les hommes. Dans cette négociation, j'ai de bons atouts pour obtenir une investiture, mais je fais attention à ne pas trop préciser les choses, parce que cette négociation se faisant très loin du terrain sur lequel les uns et les autres finiront par être candidats, elle peut aboutir à des choses un peu inattendues. C'est pour ça que je n'ai pas précisé les choses, mais je suis candidat aux législatives avec fermeté et envie. D'autant plus que le discours qui va légitimer les candidatures socialistes est un discours sur le renouvellement, le non-cumul des mandats, et sur toutes ces questions-là, j'ai le bon profil. Maintenant, dans les couloirs de Solférino, des fois, Dieu sait ce qu'il peut se passer... »