Affaire Dupont de Ligonnès : La version de la sœur du suspect
Par jcsPublié le
Le 21 avril 2011, les corps de la femme de Xavier Dupont de Ligonnnès et de ses quatre enfants étaient retrouvés ensevelis dans la maison familiale, à Nantes. Le père de famille, soupçonné du quintuple meurtre était vu pour la dernière fois le 15 avril 2011 à Roquebrune-sur-Argens, dans le Var. Depuis, l’enquête piétine, ouvrant la porte à toutes les hypothèses.
Quand l’affaire éclate, les premier éléments semblent accablants pour Xavier Dupont de Ligonnès. La thèse du meurtre familial suivi de la fuite est la piste privilégiée. Deux ans plus tard, l’homme est resté introuvable, littéralement volatilisé.
S’est-il suicidé, a-t-il réussi à échapper aux mailles de la police, pour refaire sa vie ailleurs, en France ou à l’étranger ? Ou bien y-a-t-il une autre explication envisageable ?
Christine Dupont de Ligonnès, la sœur du suspect, en est persuadée. La thèse qu’elle défend peut paraître des plus farfelues. Mais l’absence de la moindre trace de son frère, vivant ou mort, ne peut que la conforter dans ses certitudes. Et sa version des faits, compte tenu du peu d’avancées de l’enquête officielle, mérite aussi d’être analysée.
Intime conviction ou déni ?
Il est certain que le désarroi de cette femme peut la guider dans son refus d’accepter la réalité. Imaginer son frère commettre un tel acte est si inconcevable qu’il est compréhensible qu’elle cherche tous les moyens pour trouver une autre issue, quitte à s’enfoncer dans un déni obstiné.
Cet aspect psychologique existe sans aucun doute, le procureur de Nantes l’a mis en avant pour rejeter en bloc les hypothèses formulées par Mme Dupont de Ligonès. Pourtant, même en considérant ce contexte psychologique, certains éléments avancés par la sœur du suspect ont de quoi surprendre. Et la thèse qu’elle défend n’a peut-être pas été suffisamment exploitée.
Depuis plusieurs mois, Mme Dupont de Ligonnès et son mari, Bertram de Verdun, tiennent un blog consacré à l’affaire. Ils y livrent leur version des faits.
C’est essentiellement Mme Dupont de Ligonnès qui s’y exprime. Elle y écrit des lettres à son frère, elle communique littéralement avec lui par l’intermédiaire de ce blog, convaincue que son frère, sa femme et leurs quatre enfants sont en sécurité quelque part aux Etats-Unis. Pris en charge par un service de protection de témoins. Tel que Xavier Dupont de Ligonnès l’avait écrit dans une lettre peu avant que n’éclate l’affaire.
C’est à cette version des faits que croit Mme Dupont de Ligonnès. Plus qu’une croyance, c’est une conviction absolue. Entre la volonté de se rassurer ainsi, et la crédibilité de cette hypothèse, il est permis de s’interroger.
La lettre hallucinante
Avant de disparaître, Xavier Dupont de Ligonnès a adressé un courrier à plusieurs de ses proches, dans lequel il donne cette explication farfelue à sa disparition et à celle de toute sa famille. Il se dit en lien avec la Drug Enforcement Agency (DEA), sorte de brigade des stups made in USA.
Il assure travailler pour la DEA depuis 2003, en tant qu’informateur en France, et prétend que, compte tenu du danger qui le guette dû à cette activité, lui et sa famille doivent être “transférés” aux USA, et seront pris en charge sur place par le “Programme Fédéral de Protection des Témoins.”
La situation professionnelle de Xavier Dupont de Ligonnès, liée au domaine des loisirs et faite de déplacements fréquents, ainsi que le fait qu’il ait séjourné aux USA, pourraient justifier ses relations avec les services américains.
Rien ne dit toutefois que Xavier de Ligonnès soit l’auteur de cette lettre dactylographiée. Rien ne dit encore moins que cette explication soit crédible. Mais Mme Dupont de Ligonnès s’y est raccrochée comme à une bouée. Et à force d’y croire, elle est parvenue à rassembler des éléments qui peuvent étayer cette thèse.
Un article paru sur Slate, en mai 2011, et repris sur le blog de Mme Dupont de Ligonnès, décortique cette hypothèse. La DEA existe, elle a des bureaux en France, et il se peut que Xavier Dupont de Ligonnès ait été l’un de ses informateurs.
Le “Programme Fédéral de Protection des Témoins”, ou “Witness Protection Program”, existe également. Il peut être appliqué pour des étrangers, comme cela a pu avoir lieu pour des Colombiens, précise Slate. En tout, près de 20 000 personnes en ont bénéficié depuis 1971, apprend-on sur ce document officiel du Département de la Justice américaine.
Mais les rédacteurs de l’article indiquent que ce programme prend en charge les témoins après leur témoignage, non pas avant. En outre, selon les auteurs, il est impossible que Xavier Dupont de Ligonnès, s’il était vraiment un informateur du DEA, pris dans un tel processus, ait été autorisé à écrire ce courrier faisant part de tous ces détails.
Le mail étonnant
Toutefois, le fait d’avoir élaboré un scénario rocambolesque, mais relativement plausible, autorise le doute. Mme Dupont de Ligonnès se raccroche d’autant plus à ce doute quand elle mentionne un mail assez étonnant, que son frère aurait adressé à deux amis en juillet 2010.
Dans ce courriel, il évoque des accidents, qui pourraient survenir à sa famille, et conclut par ces mots : “Je souhaite enfin que, même après enquête de police, on ne puisse jamais laisser croire à mes parents, frères et sœurs, que ces accidents ont été volontairement provoqués par moi (même si les preuves sont formelles.)”
Ces propos ouvrent deux hypothèses : celle d’un scénario macabre nourri de longue date par le suspect, ou bien celle que veut croire sa sœur : une histoire préparée et programmée, dans le but de protéger son frère et sa famille.
Incohérences et mystères
Toujours sur son blog, Mme Dupont de Ligonnès apporte d’autres éléments troublants :
Les mensurations de certains corps retrouvés dans les fosses ne correspondraient pas à la réalité, ce qui implique, selon elle, que ce ne sont pas les membres de cette famille qui étaient enterrés là. La taille des fosses à creuser, qui semblent être un ouvrage colossal pour un homme seul, conforte également son scepticisme.
Autre point intrigant : la chronologie des visites de la police dans la maison de Nantes. Entre le 13 avril et le 21 avril, la police se rendra à cinq reprises au domicile de la famille.
Avant la découverte des corps, le 21 avril, les rapports de police des autres jours établissent que des objets sont déplacés dans la maison, indiquant qu’il y a du passage entre le 13 et le 21.
Or, les relevés bancaires de Xavier Dupont de Ligonnès attestent qu’il a quitté Nantes le dimanche 10 avril, et qu’il a dormi dans un lieu différent chaque nuit jusqu’au 15 avril, date de sa disparition, à Roquebrune-sur-Argens.
Le fait qu’il y ait eu du passage dans la maison n’est pas forcément surprenant, Xavier Dupont de Ligonnès avait indiqué dans son courrier à une dizaine de proches où se trouvaient les clefs. Certains ont pu s’y rendre entre les visites de la police, déplacer des objets, ranger ou déranger des choses, bien que cela puisse sembler étonnant.
Ce qui est plus troublant, c’est que quand les policiers découvrent les deux fosses où sont entreposés les corps, ils constatent qu’elles sont recouvertes de ciment encore assez frais, donc coulé récemment. Pourtant le suspect se trouvait dans le Var six jours avant le découverte des corps, et n’a plus été vu nulle part depuis.
Christine Dupont de Ligonnès développe bien d’autres éléments, plus ou moins fiables, pour accréditer sa thèse, et remettre en question l’enquête menée. Nous avons repris ici ceux qui semblent les plus probants, et qui permettent de s’interroger sur la version officielle.
Ce genre de dossiers criminels fascine et intrigue. L’affaire Dupont de Ligonnès fait partie de celles qui ont en plus une dimension qui sort du rationnel. Deux ans après, son mystère reste entier, et ses zones d’ombres sont encore nombreuses.
Tant que le suspect, vivant ou mort, demeurera introuvable, toutes les versions seront envisageables. Et tous les doutes sont permis...