KAMEN - les pierres - de Florence Lazar, primé à la 36ème édition du Cinéma du réel 2014
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Cinéaste, professeure, photographe, Florence Lazar a été primée par l'Institut français lors de la 36ème édition du Cinéma du Réel qui a eu lieu à Beaubourg. Son documentaire intitulé "Kamen", les Pierres, a obtenu le prestigieux Prix Louis Marcorelles" et une récompense de 7000€. Florence Lazar connue pour son recours à l'enquête historique et la notion de transmission de cette même histoire a également exposé au Musée d'Art moderne ses "Instants Donnés", au Centre Georges Pompidou, au Centre brestois elle a montré l'art des passerelles. "And the Moral of the story is a Wife de With" est le titre de l'exposition présenté à Rotterdam.L'artiste a été invitée à Berlin, Vienne, Grenoble, Villeurbanne, Noisy-le Sec.
Issue de la famille serbe Simic, la réalisatrice est la fille de Maurice Lazar, fondateur de l'Association Sarajevo, qui a longtemps fréquenté des hautes sphères de l'Etat français. "Les Pierres" est une féroce mais très fine analyse des mythes identitaires de l’ex-Yougoslavie, le territoire bien connu de la réalisatrice qui regrette de ne pas avoir appris la langue maternelle, comme elle le souligne dans l'interview qu'elle a bien voulu nous accorder.
- . "Je n'ai pas eu le temps de bien maîtriser le serbe mais je le comprends. Assez pour raconter avec ma caméra l'histoire de remodelage du sol bosnien et son recouvrement par des pierres qui signifie une tentative de faire disparaitre un peuple en occurrence bosniaque par un autre peuple, serbe !»
- . "Votre film ressemble à une mosaïque ; des personnages partagent le même espace mais ne l'appréhendent pas de la même manière cette période post conflictuelle dite transitoire depuis plus de deux décennies. Pourtant, ils vivent dans le voisinage, parlent des langues très proches, de l’avis de spécialistes reconnus, variantes d'une même langue, appelé Nas jezik (Notre langue). Selon vous, d'où vient cette si puissante détermination des uns à anéantir et exterminer d'autres populations autochtones de la région» ?
- . "Après les crimes et viols il y a la construction d'un passé fictif dans la République Serbe de Bosnie-Herzégovine. Certains habitants de cette entité bâtissent des églises et monastères qui ressemblent aux édifices kosovars, comme une sorte de récompense du "berceau perdu de la Serbie». Kosovo est aujourd'hui un État souverain et indépendant.
Ils vont plus loin en "exhumant" de fausses ruines archéologiques en détruisant une vielle tour autrichienne au dessus de la ville de Trebinje, en Herzégovine, pour utiliser ses pierres proclamés authentiques ailleurs, à Visegrad où ils ont construit une ville "ancienne" Andricgrad appelée aussi Kamengrad à la place d'un stade.
A cet endroit furent rassembles des milliers de Bosniaques, avant d'être assassinés en été 1992. J'étais intéressé par leurs nouvelles bases religieuses et nationalistes et le déni qui, ensemble produisent un vouloir fort, d'effacement de la mémoire des Bosniaques, suivi par la falsification d'une histoire serbe, complètement imaginé et fabriqué.
J'ai fait parler des survivants de Trebinje et de Visegrad qui donnent des preuves valables du remodelage d'une partie du paysage bosnien. Cet acte est devenu un puissant moyen de construction du mythe d'un héritage uniquement serbe. Face à ce recouvrement, ce que je souhaite révéler, ce sont des gestes individuels et politiques qui récompensent une mémoire collective. Pour abréger : je présente une micro-société qui résiste à son extermination, longtemps préparé et minutieusement organisé".
- .Vous accueillez des confidences de la population serbe, comme celles de ce jeune homme d'origine monténégrine qui parle de l'histoire commune soulignant son devoir religieux, ou divin, de défendre son peuple. Une habitante d'Andricgrad évoque une énergie positive sortie des pierres "originales" de la ville artificielle due à la représentation de plusieurs époques et de différents styles architecturaux. Apparemment, cette personne est loin de comprendre ses propres propos, appris par cœur. Comment avez vous réussi à les faire parler» ?
-. "Je suis Serbe et la barrière n'existe pas ! Immédiatement j'ai été membre de la famille et parmi les miens ! J’ai étudié les Beaux-Arts, pas la politique ni l'histoire. Je m'intéresse aux êtres, à leurs corps dans l'espace, leurs réactions, la sensibilité... Des tailleurs de pierre m'ont laissé filmer de près car ils donnent une essence aux origines. J’ai dit de vouloir filmer les gestes du travail. Les spectateurs me demandent au sujet de la longue scène de procession, cette marche infinie des religieux très décorés des avatars d'un autre temps, des soldats qui les accompagnent dont le sérieux provoque des sourires amers. Nous l'avons filmé des heures cette marche de sacralisation et ce peuple qui se croit unique, l'élu de dieu"!
- . Le réalisateur Emir Kusturica est l'initiateur et fondateur d'Andricgrad. Lui, un Bosniaque converti qui s'est trouvé des origines serbes, chrétiennes. C'est un paradoxe unique ou autre chose ?
-." Tous les Bosniaques ont des racines chrétiennes. Nombreux descendent des Bogomiles, ces hérétiques semblables aux Cathares. Le pape Innocent III les avait chassés, d’autres aussi. Au fond, c'est cela qui gêne… Les hérétiques étaient dérangeants, mal vus. Il fallait qu'ils disparaissent. Kusturica comme l'individu ne m'intéresse pas, il n'est pas le sujet de mon film mais il m'a attaqué quand même"!
- . "Comment avez-vous connu l'existence de la politique de falsification territoriale en Bosnie-Herzégovine ? "
- . "C'est la fille d'Edgar Morin qui la première m'en a parlé. Si son père a écrit un livre magistral intitulé « Fratricides», une vraie référence sur les événements qui se sont passés aux Balkans, elle s'est engagée depuis le début de la guerre, pour faire connaître la vérité et des enjeux de ce conflit horrible qui aurait pu être évité ou vite suspendu. Mais j'ai suivi des mouvements avant et élaboré des documentaires concernant l'arrêt des hostilités en 1999, l'effacement de Milosevic avec un film sorti un an plus tard et l’établissement d'une Cour spéciale pour crimes de guerre à Belgrade était le thème principal de mon œuvre présenté en 2004. Au départ de chaque film j'ai une petite histoire ou récit surprenant qui me mènent jusqu'aux événements plus compliqués et plus graves".
- ."Le Prix Louis Marcollé est une grande reconnaissance de vos activités. Quoi d'autre?"
- . "Il est aussi la preuve qu'il faut continuer de filmer et il me garantit que mon documentaire circulera un temps, dans les cercles privilégiés".