Lu dans la presse (L’Humanité) L’hommage de Moissac à Slimane Azem
Vingt-cinq ans après sa disparition, la ville où il repose a consacré un week-end au poète et musicien algérien.
Il y a vingt-cinq ans, une grande voix s’est tue. Celle du poète et musicien kabyle Slimane Azem. L’assourdissant silence officiel, lors de la disparition de ce pionnier de la chanson contestataire kabyle, contrasta alors avec la peine de son peuple qui en avait fait, de son vivant, une véritable légende, des deux côtés de la Méditerranée.
C’est qu’il s’était inscrit dans cette tradition de la poésie populaire qui forge l’âme du peuple algérien et des Kabyles en particulier. Nourri des isefra (1) de Si Mohand U M’hand, comme des fables de La Fontaine apprises à l’école coloniale, il sut, comme aucun autre, affûter la métaphore pour mettre en mots et en musique le froid au coeur de l’exil, les injustices et la difficile condition des travailleurs immigrés.
Au point qu’il n’est pas rare, au détour d’une conversation en kabyle, d’entendre ses paroles citées comme des adages ou des aphorismes à la valeur universelle. Héritier de la sagesse et de l’insoumission véhiculées par la poésie orale kabyle, il fut aussi le porte-parole incontesté de ce peuple ouvrier et immigré dont il partagea la condition, les douleurs, les révoltes, le déchirement.
une reconnaissance populaire immense
Comme des milliers de compatriotes, Slimane Azem quitta tôt sa terre natale, d’abord pour travailler chez un colon de Zeralda, puis pour rejoindre, en 1937, ce qui était alors encore la métropole. Arrivé en France en 1937, il travailla comme ouvrier, avant d’être enrôlé de force, sous l’occupation allemande, pour le STO.
Après-guerre, dans les cafés de la capitale, de La Chapelle à Alésia, son répertoire, d’une richesse lexicale, d’une finesse et d’une habileté rhétorique inouïes, conquit très vite un large public. Slimane Azem chanta et connut un succès jamais démenti pendant près d’un demi-siècle. Une reconnaissance populaire immense, qui n’empêcha pas le pouvoir algérien d’interdire d’antenne le poète, sans doute trop libre à ses yeux, et de l’expulser du pays en 1967.
Cet anathème n’y fit rien : « Quand on parle au peuple dans sa langue, il ouvre grand les oreilles », disait Kateb Yacine. Les cassettes passèrent sous le manteau, les complaintes et ritournelles furent fredonnées clandestinement. Elles furent transmises, aussi. Que d’enfances bercées par ces fables à double tranchant, par ces mélodies tantôt déchirantes, tantôt enjouées et malicieuses…
Slimane Azem est aujourd’hui comme une madeleine de Proust pour des milliers d’enfants de France. En Algérie, il inspira Aït Menguelet aussi bien que Matoub, perpétuant cette tradition séculaire qui veut que les poètes occupent une fonction tribunicienne.
Il y a vingt-cinq ans, cette grande voix s’est tue. Sa ville de Moissac dans le Tarn-et-Garonne, qui recueillit son dernier souffle, lui a rendu ce week-end un hommage vivant, en accueillant Idir et le groupe Origines contrôlées, qui donne à ses chansons une émouvante et joyeuse seconde vie.
Durant trois jours se sont succédé concerts, tables rondes, projections du documentaire de Rachid Merabet, Slimane Azem, une légende de l’exil (2). À l’occasion de cet hommage, un jardin public portant le nom du poète a été inauguré. Puisse sa terre natale, qu’il aimait à survoler, comme une hirondelle, en songe, réparer la blessure et l’honorer à son tour un jour.