La bataille de l’Unesco
La bataille de l’Unesco est terminée, l’honorable institution a un nouveau directeur général en la personne de la Bulgare Irina Bokova. Le poste est donc dévolu à l’Europe, et à une femme, ce qui est une première historique.
L’institution va maintenant redevenir cette maison discrète, des bords de la Seine, dont personne ne parlait jamais, sauf pour la critiquer car elle est notoirement budgétivore, et à laquelle, en vérité, personne ne s’intéressait vraiment, pas plus ceux qui ces derniers temps se sont mobilisés à fond pour faire élire tel candidat, que ceux qui se sont mobilisés autant pour empêcher qu’il soit élu.
Bref, la bataille fut sans pitié, elle compta cinq tours de scrutin, un record, et souleva une tempête politico-médiatique planétaire. On a même vu l’inimaginable, un candidat, Mohamed Bedjaoui pour ne pas le nommer, ancien ministre des Affaires étrangères de l’Algérie (2004-2008 ?), se présenter sous les couleurs du Cambodge, contre le candidat soutenu par le gouvernement algérien, en l’occurrence le candidat égyptien.
Jusque-là, l’élection d’un DG d’une agence onusienne n’avait jamais soulevé de problèmes particuliers. On faisait tout pour éviter qu’il y en ait : les candidats étaient des spécialistes reconnus, ayant une réputation irréprochable, et les Etats les soutenaient selon les bonnes vieilles règles de la diplomatie : discrétion et élégance.
On se demande ce qui explique un tel changement: est-ce la personnalité du candidat égyptien ou faut-il y voir des raisons plus profondes ? A mon avis, les deux explications vont de pair.
Ce qui a changé, c’est que ces postes internationaux sont subitement devenus des enjeux très importants. Ils l’étaient avant mais le processus de désignation des DG était entre les mains des seules puissances occidentales, les USA et l’Europe (essentiellement la France et l’Angleterre). C’est elles qui décidaient qui serait le patron de quoi : le FMI, l’Unesco, l’OMS, la FAO, le BIT, l’ONUDI, la Cnuced, l’OMC, etc. Les autres pays s’alignaient sur l’un ou l’autre. La raison est bien sûr le rapport de force qui prévalait à l’époque, c’est le plus fort qui décide, mais aussi le fait que ces grandes puissances finançaient ces institutions et la règle en l’occurrence est : qui paye décide.
Avec la mondialisation, la carte a changé, de nouvelles forces sont apparues, les pays émergents, mais aussi des pays qui pour une raison ou une autre se sont trouvés en position de faire entendre leurs voix sur la scène internationale, l’Arabie saoudite par exemple en tant que 1er pays producteur de pétrole dans le monde, gardien des lieux saints de l’islam et vecteur du wahhabisme, et d’autres comme l’Egypte, la Libye, l’Iran, le Venezuela, qui croient pouvoir prétendre à un rôle important, à l’échelle mondiale, en jouant sur des leviers sensibles, qui le nationalisme panarabe, qui la religion, qui le pétrole, la révolution bolivarienne, ou le nucléaire.
Dans cette recherche d’une nouvelle carte, les pays arabes et musulmans, ont très tôt été parmi les plus revendicatifs. Ils s’appuyaient pour cela sur de nombreuses considérations, très légitimes au demerant : leur nombre, 350 millions d’arabes répartis sur 22 pays, 1,3 mil-liard de musulmans dans le monde, et font valoir leur histoire, leur culture, leur civilisation qui furent brillantes, leurs richesses et leurs potentialités qui sont énormes, les progrès, bien réels dans certains cas, qu’ils ont accomplis en matière de développement économique et social.
Mais cet argumentaire a finalement joué contre eux, tant il paraissait être motivé par des considérations raciales et religieuses, en contradiction avec l’idée d’ouverture et de liberté politique et religieuse qui anime la mondialisation. Débouté, le monde arabe et musulman s’est replié sur lui-même et s’est doté de ses propres organisations, l’OCI (l’Organisation de la Conférence Islamique), la Ligue arabe avec ses structures calquées sur celles de l’ONU (l’Alesco comme pendant de l’Unesco, l’OAT pour le BIT…).
Mais très vite, passée la fièvre des inaugurations, il s’est avéré que ces structures étaient des coquilles vides et le resteraient. Le monde arabo-musulman est une chimère politique, les pays qui le composent sont aussi différents les uns des autres que le sont tous les pays, et ont des intérêts divergents, et la preuve est qu’ils sont plus souvent en opposition qu’en accord entre eux.
Certains ont cependant compris : l’enjeu, dans le contexte de la mon-dialisation qui n’attend personne, est de s’affirmer par soi-même et pour soi-même sur la scène internationale, plutôt que se liguer dans des organisations régionales sans pouvoir réel, construites sur un dis-cours creux, ethnique et religieux, inféodées aux pouvoirs en place, des dictatures anachroniques décriées par leur peuples. A l’inverse, et pour des raisons tout aussi sectaires, le monde occidental tenait le monde arabo-musulman en très grande suspicion. On a parlé de choc des civilisations.
Dans cette optique, occuper des postes-clés au sein des organisations mondiales est apparue à certains pays arabes et musulmans, comme un moyen de promotion et de reconnaissance internationales plus effi-cace. Or, pour beaucoup, et pas seulement les pays occidentaux, les pays arabes et musulmans ne sont pas des partenaires fiables, et en-core moins dans des institutions culturelles sensibles comme l’Unesco, sensées travailler au bénéfice de toutes les cultures et toutes les sensibilités.
Et le fait que les pays arabes et musulmans aient soutenu un homme d’appareil controversé comme Farouk Hosni, décrié par les intellec-tuels de son pays, et accusé par les occidentaux d’antisémitisme, a été perçu comme la preuve de leur immaturité ou comme une tentative d’occuper la prestigieuse Unesco pour en faire un instrument de pro-pagande des régimes arabes.
C’est tout cela qui a été derrière l’agitation qui a caractérisé l’élection du DG de l’Unesco. Le débat autour de la personnalité de Farouk Hosni n’avait qu’un but, occulter ce débat : les monde arabo-musulman peut-il jouer un rôle efficace et bénéfique pour l’humanité, au sein en particulier des institutions internationales ? La réponse est non, si l’on juge par le rejet cinglant de leur candidat à la direction de l’Unesco.