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Manu Dibango : tempo à l'infini d'un magicien de la musique

Sur scène, à près de 77 ans, et plus de 60 ans de carrière musicale, Manu Dibango souffle toujours dans son saxophone avec fougue et superbe, pour célébrer les 50 ans d'Indépendance du Cameroun: "le temps de Dieu, c'est le vrai temps... "

Sa vie, aime-t-il à dire, est une vie de hasards, une énigme qu'il teinte de son humour et ponctue de ses éclats de rire tonitruants.

Pour preuve, le formidable succès de "Soul Makossa ", qui n'était à l'origine qu'un générique dédié à la 8ème Coupe d'Afrique des nations (CAN) de football organisée par le Cameroun en 1972.

"Un succès, tu ne t'y attends pas. C'est ce qu'on appelle un tube. Un morceau qui arrive au bon moment, au bon endroit. Ce morceau est sorti au moment où les Noirs-Américains cherchaient leurs racines, où c'était black is beautiful, où Alex Haley a écrit "Racines"...", confie-t-il.

"D'ailleurs, c'est les Américains qui en avaient fait un tube au départ. Ils sont arrivés en France, ils cherchaient la musique africaine qu'on pouvait trouver en France dans toutes les maisons de disque : les Kabasélé, Rochereau, Franco, Akendengué, Francis Bebey ...".

Le triomphe de Soul Makossa

Le triomphe de cette composition avant-gardiste, et précurseur de la fameuse world music qui ne sera consacrée comme déferlante qu'à l'aube des années 2000 aux Etats-Unis, sera tel qu'en 1973, Manu Dibango, de son vrai nom Emmanuel Ndjockè Dibango, né le 12 décembre 1933 à Douala, se produit devant 40.000 spectateurs au Yankee Stadium puis 354.000 autres au Madison Square Guarden de New-York.

Il avait alors déjà gravé la même année "O Boso ", "Saxy Party" en 1969 marqué par un simple succès d'estime en France et "African Soul", premier album solo dont la sortie a eu lieu en 1963, un mélange de jazz, de rumba et de musiques latinos.

"J'enregistre depuis 1961. J'ai été le dernier à faire des 78-tours avec Kabasélé et l'un des derniers à commencer avec les 45-tours, jusqu'au vinyle, jusqu'aux CD. Maintenant, il doit y avoir peut-être une quarantaine d'albums"..

Parti à l'âge de 15 ans pour étudier en France, par une décision de son père, il a commencé la musique en Europe:

"On jouait la musique tropicale, la mambo, le cha cha, le boléro, ...La musique africaine, il n'y en avait pas. Sauf au Congo. La rumba, c'était le retour du bateau. Donc, j'ai aimé. J'ai fait beaucoup de disques avec eux. Ces disques ont du succès".

"J'étais parti là-bas pour un mois, poursuit-il, je suis resté deux ans. C'est là que j'ai appris à faire la musique africaine, faite par des Africains en Afrique. Effectivement dans ce cas-là, c'était une école. Parce qu'ils savaient soulever, faire bouger les gens".

Entre 1961 et 1963, c'est le séjour à Kinshasa dans l'ex-Zaïre (actuelle République démocratique du Congo), dans le mythique African Jazz du respectable Joseph Kabasélé, qui avait composé "Indépendance cha cha", transformé en générique des indépendances africaines.

Avec ce maître à penser, il enregistre une quarantaine de morceaux dans un studio de Bruxelles en Belgique pendant 15 jours. A Kinshasa, il bâtit sa propre réputation en lançant la mode du twist, "Twist à Léo", couronnée d'un énorme succès.

"Chacun est chacun. Moi, on ne m'a pas forcé à faire de la musique. L'essentiel, c'est d'avoir la passion de ce qu'on fait. Quand tu fais un truc avec passion, tu acceptes de souffrir parce qu'au moins tu sais pourquoi tu souffres".

Son aventure débute en France où, attiré par le jazz secrété par Sydney Bechet ou encore Louis Armstrong, ses idoles, le jeune Manu Dibango laisse éclore le virus de la musique, au détriment de ses études abandonnées suite à son échec au baccalauréat, son père ayant décidé de lui couper les vivres.

Il débarque en 1949 à Saint-Calais, petit village de l'Ouest de la France qui le célèbre aujourd'hui comme l'un des siens et où lui-même a lancé en 1998 un festival "Soirs au village ", et s'inscrit au lycée de Chartres où il se frotte à la mandoline puis au piano, avant de découvrir plus tard le saxophone.

Pui il prend son envol dans la capitale belge où il rencontre Kabasélé, alias grand Kallé, et fait la connaissance d'un ex-mannequin,  Coco,  qui deviendra son épouse.

   
Un voyage à travers  d'innombrables univers musicaux

Ce magicien du son a la particularité de s'adapter à l'air du temps, surfant sur les influences contemporaines du rap en fusion avec le jazz, le blues, le soul, le folk, le rock, et bien d'autres musiques.

Sa musique, baptisée "soul makossa" par le show-business se fait l'écho de ces standards musicaux qui ont jalonné la carrière de ce multi-instrumentiste et véritable métronome.

Aux yeux des amateurs, "Gon Clear " est son disque le plus abouti. Il fut enregistré dès 1979 pour partie en Jamaïque où il rencontra Bob Marley et pour partie à New-York puis il fut  mixé à Londres, avec la participation des célèbres Robbie Shakespeare, Sly Dunbar, Geoffrey Chung, Willie Lindo, Ansel Collins, Randy Guthrie et Ullanda Mac Cullouch.

Cet album vient d'être réédité sous le titre "Choc'n Soul" et sera dans les bacs fin mai 2010.

"Il y a aussi un album ("CubAfrica", sorti en 1998) que j'ai fait avec Cuarteto Patria, les gens de Buena Vista, qui reste un de mes plus beaux souvenirs et un de mes disques préférés, même s'il n'a pas eu une longue carrière, parce que la maison de disque a fait faillite."

En dehors de son pays où il a dirigé l'orchestre de la police et participé à la création de l'Orchestre national, le Grand Manu, comme l'appellent ses fans, a partagé ses expériences avec l'orchestre de la Radio-Télévision ivoirienne de 1975 à 1979 à Abidjan, à l'invitation du président Félix Houphouët-Boigny.

"Quand je suis trop longtemps dans un endroit, je sens qu'il est temps de partir et de recommencer"

Le tour du monde, il l'a fait en globe-trotter. Et pourtant, il reste sur sa faim: "j'aurais bien voulu aller jouer à Cuba, ça ne s'est jamais arrangé", regrette-t-il.

Pour lui, Cuba "c'est quand même très fort, côté culturel... C'est des gens qui ont une histoire, une identité forte, ils n'ont pas été avalés par les Américains, malgré la Baie des cochons. La musique latino, c'est eux qui donnent le tempo. Et puis, il y a la musique savante cubaine. Quand tu as affaire à des gens comme Chucho Valdés, c'est la virtuosité au maximum".

Artiste de l'UNESCO pour la Paix

Nommé en 2004 artiste de l'Unesco pour la paix, Manu Dibango aligne les récompenses et les distinctions honorifiques : nomination à l'Oscar à Hollywood en 1974 pour le meilleur album de l'année, Trophée d'Or à l'Olympia en 1977 pour l'ensemble de sa carrière, Victoire du meilleur album de musique de variétés instrumentales de l'année 1992, artiste du siècle au Cameroun en 2000, premier musicien africain à recevoir en 2003 le Grand Prix de l'Académie Charles Cros.

Plagié à deux reprises par le défunt roi de la pop Michael Jackson et la jeune chanteuse américaine d'origine barbadienne Rihanna, "Soul Makossa" a inspiré le musicien américain Joshua P. Thompson qui en a fait un hymne de soutien à Barack Obama pour sa campagne en 2008 : "Vote Obama!".

Manu Dibango fut aussi animateur de radio, dont Africa numéro 1 depuis 2001 avec une émission intitulée "40 ans de musique africaine"; il a également fait des émissions de télévision (France 3 et Muzzik entre 1992 et 1993).

Il a composé des musiques de films, comme le célèbre "Comment faire l'amour avec un Nègre sans se fatiguer" adapté du roman de l'écrivain haïtien Dany Laferrière, publié en 1985. Ou encore "Kirikou et les bêtes sauvages".

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