La justice italienne bloque à nouveau le transfert de migrants vers l’Albanie, un revers pour Meloni
Par red avec agencesPublié le
La politique migratoire du gouvernement italien dirigé par Giorgia Meloni subit un nouveau revers. Vendredi 31 janvier, la cour d’appel de Rome a refusé d’autoriser le transfert de 43 migrants vers des centres de rétention gérés par l’Italie en Albanie, confirmant une jurisprudence déjà établie par les tribunaux italiens en octobre et novembre 2023.
Cette décision, qui s’inscrit dans un contexte de tensions croissantes entre le pouvoir exécutif et la magistrature, relance le débat sur l’externalisation des procédures d’asile, pierre angulaire de la stratégie de Meloni.
Les migrants détenus rapatriés en Italie
Les 43 migrants concernés – 35 Bangladais et 8 Égyptiens – avaient été interceptés en Méditerranée alors qu’ils tentaient de rejoindre l’Italie. Conformément à l’accord signé en novembre 2023 entre Rome et Tirana, ils avaient été transférés vers le centre de Gjadër, en Albanie, mardi dernier. Toutefois, la cour d’appel a suspendu leur maintien en rétention, suivant l’exemple des juges de première instance qui avaient déjà rejeté deux transferts précédents.
Les magistrats ont préféré saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), chargée de se prononcer le 25 février sur la légalité de la liste des 19 pays considérés comme « sûrs » par l’Italie, permettant un traitement accéléré des demandes d’asile. En attendant ce verdict, les migrants seront rapatriés en Italie dès samedi.
Ce blocage judiciaire s’ajoute à une série d’obstacles rencontrés par le gouvernement Meloni. En novembre 2023, un premier groupe de migrants avait été renvoyé d’Albanie après que les juges eurent invoqué un arrêt de la CJUE : selon cette jurisprudence, les États membres ne peuvent désigner des pays entiers comme « sûrs ». Une subtilité juridique qui fragilise la stratégie italienne, fondée sur une liste nationale de pays d’origine « sûrs », principalement en Afrique et en Asie.
La décision des juges romains a immédiatement provoqué des réactions contrastées. Elly Schlein, dirigeante du Parti démocrate (opposition), a fustigé « l’échec » des centres albanais, exigeant l’abandon du projet. À l’inverse, dans le camp gouvernemental, le député d’extrême droite Galeazzo Bignami (Fratelli d’Italia) a dénoncé « une magistrature qui s’érige contre la sécurité du pays », reflétant l’exaspération d’une coalition qui pensait avoir contourné les résistances judiciaires en transférant la compétence migratoire des tribunaux civaux aux cours d’appel.
L’extrême-droite en échec
Pourtant, les tensions entre l’exécutif et la justice ne datent pas d’hier. Elles ont été exacerbées par l’enquête ouverte après la libération et le rapatriement à Tripoli du commandant libyen Osama Almasri Najim, interpellé à Turin. Le dernier rebondissement juridique risque d’envenimer davantage ces relations, alors que Meloni mise sur son accord avec l’Albanie pour montrer à l’Union européenne sa détermination à contrôler les flux migratoires.
L’enjeu dépasse les frontières italiennes. Le projet d’externalisation des demandes d’asile vers l’Albanie, présenté comme une innovation, est observé avec attention par d’autres pays européens tentés par des solutions similaires. Conclu avec le Premier ministre albanais Edi Rama, l’accord prévoit l’ouverture de deux centres financés et gérés par l’Italie, censés accueillir jusqu’à 3 000 personnes par an. Opérationnels depuis octobre 2023, ces structures devaient permettre un tri rapide entre migrants éligibles à une protection et ceux devant être expulsés.
Mais le modèle se heurte à des objections juridiques et éthiques. Les associations de défense des droits dénoncent des conditions de rétention « précaires » et une procédure accélérée privant les demandeurs d’asile de garanties élémentaires. Surtout, la désignation unilatérale de pays « sûrs » par l’Italie – incluant des États comme la Tunisie ou le Nigeria, où persiste une instabilité politique – est contestée. La CJUE, saisie à plusieurs reprises par des tribunaux italiens, pourrait invalider cette approche, remettant en cause toute l’architecture du projet.
Une impasse stratégique
Pour Giorgia Meloni, ces revers judiciaires sont politiquement coûteux. La cheffe du gouvernement, qui avait fait de la lutte contre l’immigration irrégulière son cheval de bataille, se retrouve coincée entre les exigences de sa base électorale et les limites du droit européen. Les critiques internes pointent l’écart entre les annonces médiatiques et les résultats concrets : depuis novembre 2023, moins d’une centaine de migrants ont été transférés en Albanie, et tous sont finalement revenus en Italie.
L’affaire des 43 migrants illustre cette impasse. Parmi eux, six personnes vulnérables – une femme ivoirienne, une Gambienne et quatre Égyptiens – avaient déjà été rapatriées en Italie avant la décision de la cour, soulignant les failles logistiques et juridiques du dispositif. Alors que la CJUE doit trancher fin février, le gouvernement espère un avis favorable, mais les précédents jurisprudentiels incitent à la prudence.
Dans l’immédiat, ce feuilleton judiciaire renforce les doutes sur la viabilité du modèle albanais. Entre défis légaux, résistances institutionnelles et mobilisations associatives, le projet de Meloni ressemble de plus en plus à un symbole sans réalité opérationnelle.