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« Les Israéliens ne veulent pas vraiment la paix, ils lui préfèrent la terre »

Sous le titre, «l’année où les masques sont tombés», le journaliste israélien Gideon Levy signe dans le journal Haaretz un article qui revient sans complaisance sur les positions politiques et idéologiques qui ont prévalu dans la société israélienne durant l’année 2010.

Selon lui, la paix n’a plus été à l’ordre du jour, rejetée au second plan, comme en témoigne d’ailleurs l’obstination de Nétanyahu à poursuivre la colonisation.

Gideon Levy pointe la montée en puissance du nationalisme et du racisme, de la répression et de l’exclusion des arabes israéliens, de l’influence croissante des courants d’extrême droite, dont le leader Avigdor Liebermann est à la tête de la diplomatie, et des rabbins intégristes.

Ce journaliste clairvoyant fait le vœu de voir ses concitoyens prendre enfin conscience en tirant les tristes leçons de l’année 2010, celle «de la vérité» où «les masques sont tombés».

L’année de vérité…

L’année qui s’achèvera ce soir par un baiser a été l’année où a pris fin la mascarade israélienne, l’année où les déguisements ont été arrachés et où la vérité s’est fait jour. Où le vrai visage s’est révélé. Ça été l’année où nous sommes finalement sortis du placard – finis les propos sirupeux et les discours creux sur la justice et l’égalité, finis les enjolivements et les paroles superficielles à propos de la paix et de deux états. Cette année, la vérité a été entendue en public, avec un retentissement fort et clair d’un bout du pays à l’autre, inquiétante et déprimante.

Personne ne parle plus de paix ; cette année, nous avons même mis entre guillemets le «processus de paix», pour nous en gausser comme il le mérite. Tout ce qu’il reste de la paix cette année, c’est l’envoyé spécial des U.S.A., George Mitchell. Et dans les enquêtes d’opinion rien ne subsiste de la vision de deux états chez le premier ministre ou dans la majorité. Cette année, le gouvernement israélien a dit NON, même à un gel temporaire de la construction de colonies, et les Israéliens se sont tus.

Après cette année de vérité, nul ne pourra sérieusement prétendre qu’Israël recherche la paix avec les Palestiniens, ou avec les Syriens, qui ont parlé de paix mais qu’on a laissés sans réponse. Toutes les excuses ont perdu leur valeur – le terrorisme palestinien s’est arrêté et il reste au moins un demi-partenaire, qui est plus modéré qu’aucun autre.

Nationaliste et raciste

Néanmoins, nous campons sur nos positions. Et la vérité est criante : les Israéliens ne veulent pas vraiment la paix, ils lui préfèrent la terre. Les fonctionnements internes de la société israélienne ont aussi été démasqués. L’apparence d’une société démocratique et égalitaire s’est trouvée soudainement remplacée par un portrait authentique, terriblement nationaliste et raciste. Des rabbins et leurs femmes, des maires et des parlementaires ont tous chanté ensemble dans un chœur discordant : non aux Arabes et non aux étrangers. Au cours des années qui ont précédé cette année de vérité, il était encore d’usage d’excommunier les racistes.

En cette année de vérité, nous avons déclaré sans vergogne que Meir Kahane avait raison. Quasiment la moitié des Israéliens s’opposent à la location d’appartements à des Arabes ; plus que la moitié d’entre eux sont favorables à un serment d’allégeance à l’Etat ; des femmes de rabbins s’associent à leurs maris pour conjurer les chastes filles d’Israël de ne pas fréquenter d’Arabes ; un membre de la Knesset déclare qu’à ceux qui font clandestinement entrer des « infiltrateurs » - ainsi qu’on a appelé cette année les travailleurs migrants et les réfugiés de guerre – on devrait faire sauter la cervelle ; et l’un de ses collègues fait porter sur les Russes le blâme des habitudes israéliennes d’ivrognerie.

Dans le même temps, nous avons proposé une loi appelant à l’expulsion d’étrangers critiques à l’égard d’Israël s’ils y viennent en visite ; un directeur d’école de Jaffa n’autorise pas ses élèves à parler arabe ; un militant contre l’occupation a été incarcéré pour avoir pris part à une manifestation protestataire à vélo ; et un défenseur des droits des Bédouins s’est vu jeter en prison pour une durée encore plus longue, pour le délit d’avoir un garage illégal.

Telle est jour après jour la pléthore de comptes-rendus sur la vie du pays au cours de la dernière partie de cette année maudite. De tels rapports nous ont été presque quotidiennement jetés à la figure. L’étranger répand les maladies et la criminalité, et les étudiants arabes veulent nous déshériter pour le prix de location d’un deux pièces. Nous avons également lancé des campagnes d’intimidation et semé la peur de celui qui est autre et différent, qui n’auraient pas fait honte aux régimes les plus douteux du passé. Nous avons tenu des manifestations scandaleuses contre les réfugies et les Arabes, avec les encouragements d’une partie de l’institution et le silence des autres, desquels une tonalité peut être entendue – une tonalité d’arrogance et de nationalisme.

Faire bouger cette nation engourdie

Cela aura aussi été l’année d’Avigdor Liebermann d’Yisrael Beiteinu, qui n’est plus un loup habillé en agneau mais une brute du voisinage qui n’a cure des conséquences. Une tentative pour dénouer la crise avec la Turquie, et Boum ! un bon coup sur la tête. Au lieu des sempiternels discours du président Shimon Peres sur la paix, le ministre des affaires étrangères, cette année, a de manière répétitive giflé le monde entier de notre part. Ce n’est pas seulement Kahane qui avait raison, mais Lieberman aussi. Il dit la vérité, la vérité sur Israël.

Il n’y a rien de tel que le soleil pour désinfecter, de sorte que ç’aura été une plutôt bonne année. Il se peut précisément que ce déluge de douteux sentiments nationalistes émergeant des profondeurs de l’âme, latent depuis des années, va au bout du compte faire bouger cette nation engourdie. Peut-être que, après cette année, la minorité qui pense autrement va enfin ouvrir les yeux. Peut-être que, tandis que les flammes nous encerclent tous, nous allons comprendre que telle n’est pas la société dans laquelle nous avons envie de vivre. Et peut-être que le monde va comprendre ce qui est en jeu.

Ce soir à minuit, quand le champagne français va couler comme de l’eau et que nous embrasserons à pleine bouche nos êtres chers, peut-être allons-nous comprendre que l’année prochaine sera décisive. Ce sera la dernière année où nous pourrons encore sauver quelque chose. Si un miracle se produit et que cela arrive en effet, nous serons reconnaissants à l’année écoulée, l’année de vérité pour Israël."

Par Gideon Levy

Les intertitres sont de la rédaction

Source : http://www.haaretz.com/print-edition/opinion/the-year-of-truth-1.334416#send-friend-popup

(Traduit de l’anglais par Anne-Marie PERRIN) pour CAPJPO-EuroPalestine