Le formidable bond constitutionnel de la Tunisie
Par N.TPublié le
Dans une interview accordée au journal Le Monde en date du 01 février 2014, le juriste Yadh Ben Achour revient sur les formidables avancées de la Constitution Tunisienne. Des acquis dont on attend qu’ils fassent tache d’huile sur les autres pays du Maghreb et les pays arabes.
Yahd Ben Achour était à la tête du comité d’experts qui a travaillé sur le nouveau texte. Au lendemain de la chute de Ben Ali, il a présidé la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution. Le juriste n’en était pas à ses premiers combats. Membre du Conseil constitutionnel sous Ben Ali, il avait démissionné pour protester contre la loi sur les associations. En 2002, il n’avait pas hésité à dénoncer la révision constitutionnelle qui permettait à Ben Ali de se représenter.
L’article 6 qui protège la liberté de conscience…
« Cette Constitution est révolutionnaire pour son article 6 qui instaure la liberté de conscience, et c'est bien ce mot, dhamir, " conscience ", qui figure en arabe. Pour moi, à elle seule, cette disposition est une Constitution dans la Constitution. En effet, autant l'islam n'a pas de difficulté à reconnaître la religion des autres, autant il a imposé comme règle aux musulmans qu'ils n'avaient, eux, pas le droit de changer de religion. Ou bien ils risquent la peine de mort, selon un hadith - un " dit " - du Prophète dont on peut discuter l'authenticité mais qui a été admis par tous. Cette règle est encore appliquée dans bien des pays, comme l'Arabie saoudite, le Pakistan ou l'Afghanistan. Par conséquent, poser comme principe la liberté de conscience est quelque chose de tout à fait inédit dans le monde arabe, voire au-delà. La liberté de conscience n'est inscrite que dans deux anciennes républiques soviétiques, l'Ouzbékistan et le Tadjikistan ».
L’échec des islamistes…
« Cet acquis de la modernité a été gagné alors que les islamistes étaient majoritaires au gouvernement et à l'Assemblée. En vérité, un gouvernement laïque n'aurait jamais pu faire cela car il aurait été immédiatement suspecté d'être contre l'islam. Seul un parti comme Ennahda pouvait le faire. C'est un parti qui, au fond de lui-même, n'aime pas la liberté de conscience, mais il a dû transiger pour se montrer défenseur de la démocratie, des libertés et du droit. Une interprétation libérale de quelques versets coraniques a fait que ces élus ont pu l'admettre. L'article qui instaure la liberté de conscience a soulevé beaucoup de résistance d'imams, d'associations religieuses qui pensaient avoir le soutien populaire, mais ils ont échoué »
Les piliers de la Constitution…
« Le premier pilier, on l'a dit, c'est l'affirmation d'un Etat civil, le deuxième, la liberté de conscience. Le troisième pilier concerne les droits de la femme. Les citoyens et les citoyennes sont égaux devant la loi. Quatrième pilier : la limitation du Parlement en matière de restriction des libertés et des droits fondamentaux. Nous avons toujours souffert, sous Bourguiba et sous Ben Ali, d'être soumis à des lois liberticides qui vidaient les textes constitutionnels de leur substance (…) Le législateur est surveillé, il peut être censuré par une Cour constitutionnelle qui n'existait pas jusqu'ici. Il y avait seulement un Conseil constitutionnel consultatif ».