Le terreau de l’Islamisme radical dans l’Algérie des années 90
Par MeyePublié le
L’École du Journalisme de Nice organisait les 23 et 24 mars, un colloque pluridisciplinaires, sur le thème de « Médias et radicalisations: approche trans-méditerranéenne ». Parmi les nombreux intervenants, Hassane Zerrouki - grand reporter à l’Humanité et auteur de « La nébuleuse islamiste en France et en Algérie » Horria Saihi - grand reporter à la télévision Algérienne auteure de « Voix sans voile ». Ils ont notamment pu débattre de la montée de l’islamisme radical en Algérie dans les années 1990.
Hassane Zerrouky, ancien reporter du quotidien algérien « Le Matin » et du journal français « l’Humanité », témoin d’une guerre civile qui a déchiré le pays trente ans à peine après son indépendance, est notamment revenu sur les causes de la montée de l’islamisme radical en Algérie. Il a apporté son analyse sur les éléments qui ont pu favoriser l’émergence d’un fléau, qui a gangréné le pays durant ce que l’on a appelé la « décennie noire »: « Plus de 200 000 morts, des milliers de disparus, un million de déplacer et vingt milliards de dollars de dégâts. Sans compter les 126 journalistes exécutés, les 2000 cadres syndicaux assassinés, les imams et les femmes tués ».
"Médias et radicalisations", le témoignage d'Hassane Zerrouky
Ce journaliste, qui déplore la disparition de nombre de ses confrères assassinés, rappelle que le conflit entre la presse et les intégristes, a commencé bien avant le début de la guerre civile : « Mourad Si Ahmed, chef du GIA, le Groupe islamique armé, nous avait prévenu à la fin des années 1980; celui qui combattra par la plume périra par la lame. Ils ont placardé les noms de journalistes et d’intellectuel(le)s à l’intérieur des mosquées. Puis cela a été des appels nominatifs et des lettres de menace aux rédactions. Ensuite ils ont commencés les assassinats ciblés. Ils tiraient au fusil à canon scié ou au gros calibre sur le visage des victimes pour qu’on ne puisse pas les identifier. C’est dire leur degré de violence ».
Au retour des djihadistes algériens d’Afghanistan, à la fin des années 1980, partis combattre l’armée soviétique aux côtés de Ben Laden, la situation a bel et bien basculé, comme l’explique Hassane Zerrouky: « L’économie du pays est touchée de pleins fouet par un plan d’ajustement du FMI. Cela pousse 300 à 400 000 cadres, enseignants et artistes à s’exiler. La nation se vide de ses élites. Un pouvoir, un peuple, mais aucun relais entre les deux ». Djemila Benhabib, écrivaine et essayiste algérienne, également présente au colloque de Nice, ajoute: « Il y a eu une islamisation de la société à travers le système éducatif dans les années 1980. Certains ont légitimé la violence par le texte religieux».
Une victoire électorale financée
Après l’ouverture démocratique en septembre 1989, avec la légalisation du Front Islamique du Salut (FIS), les islamistes remportent les élections locales de juin 1990. Hassan Zerrouky analyse cela comme une tentative de déstabilisation de la part de certains pays: « Ils avaient des moyens financiers plus importants, grâce aux donations faites par certaines monarchies du Golfe (...) ils ont ainsi pu développer des chaines de télévision pour propager leurs idéaux et faire campagne aisément dans les foyers. Aucune revendication démocratique dans leur programme. Ils parlaient de dieu, seulement de dieu. Ce fut une élection truquée, avec le soutien des pays occidentaux comme la France, qui ne considérait pas comme menaçante la montée de l’islamisme radical en Algérie ».
Confiant et renforcé, le FIS appel à une grève illimitée pour exiger une élection présidentielle anticipée. Tout va alors très vite. Refus du gouvernement. Affrontements, morts puis arrestations des dirigeants du parti de dieu. Malgré cela, le 26 décembre 1991, le FIS remporte le premier tour des législatives. Un mois plus tard, le président Chadli Bendjedid démissionne. Le second tour du scrutin est annulé. Nouvelle vague de violence meurtrière, instauration de l'état d’urgence et dissolution du parti radical.
Le GIA reprend le pas de manière sanglante
Le GIA prend le pas sur le Front Islamique du Salut. Ils assassinent en juin 1992 celui qui portait les espoirs d’une Algérie moderne, démocratique, laïque et intègre, le président Mohamed Boudiaf. Selon Hassane Zerrouky « la décennie noire a commencé bien avant; à la fin des années 80, au début de la crise économique et au retour des« Afghans ». Cela a donné un argument de plus aux islamistes pour déstabiliser le pays ». Plusieurs milliers de djihadistes, opèrent grâce aux techniques de combats apprises dans les montagnes afghanes, et rejoignent maquis et forêts. « Ils massacrent ainsi des milliers de civils », souligne-t-il.
Sans oublier le travail des forces de sécurité qui ont joué un rôle important dans la lutte contre le djihadisme, Hassane Zerrouky rappel un point important: « En massacrant, en pillant, en torturant, en soumettant, ils ont échoué à rallier la paysannerie; ils se sont décrédibilisés aux yeux des gens ». En 1994 le GIA déclare la guerre au FIS, qui négociait avec le gouvernement en place. La violence ne cesse de s’amplifier. Les années 1997-1998 sont marquées par deux massacres d'ampleur : à Bentalha (dans la banlieue d’Alger) et à Relizane (à 250 km de la capitale). Les islamistes décident d’un commun accord de conclure un cessez-le-feu avec le gouvernement, alors que le GIA continu son périple meurtrier, qui amènera petit à petit à sa ’’perte’’.
Bouteflika sexiste
Hassane Zerrouky affirme qu’avec l’élection d’Abdelaziz Bouteflika à la présidence de la république en 1999 - qui élabore une nouvelle loi amnistiant la plupart des combattants - l’influence islamiste reste toujours très présente dans la société algérienne. Et de rappeler cette chose incroyable: « Bouteflika a demandé aux femmes de cesser de fumer et d’arrêter les tenues dites ‘’provocantes’’, pour les djihadistes qui ont accepté de quitter le maquis ». Il conclut son intervention avec l’idée qu’un modèle républicain, séparant l’État du reli- gieux, est une alternative, une solution à l’instauration d’un régime démocratique et égalitaire dans le pays.
Vingt ans après la fin de la guerre civile, l’ Algérie reste contrôlée d’une main de fer par le gouvernement et l’armée. Les violences ont nettement diminué, mais la situation économique et sociale reste toujours très préoccupante, véritable terreau pour l’islamisme. Dans quelques jours auront lieu les prochaines élections législatives. La santé déclinante du président Bouteflika est inquiétante pour la stabilité d’un pays au rôle régional majeur. Riche de gaz et de pétrole, l’Algérie est aussi frontalière, outre le Maroc et la Tunisie, avec la Libye, le Mali, la Mauritanie et le Niger. Autant de pays où sévissent les groupes djihadistes et notamment Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) et l’organisation dite de l’Etat islamique (EI ou Daech selon son acronyme arabe), qui multiplient les incursions et les trafics en territoire algérien. C’est dire si le danger existe toujours !
Auteur : Tanguy Barbancey