ANALYSE. Reconstruction de Gaza : les pays arabes à petits pas, avec une arrière-pensée

Analyse. Reconstruction de Gaza : les pays arabes à petits pas, avec une arrière-pensée

Le plan arabe pour la reconstruction de Gaza est, indiscutablement, à la hauteur des enjeux et des besoins. L’initiative, saluée par l’ONU, a été immédiatement rejetée par les États-Unis et Israël, qui ont pour seul objectif le déplacement des habitants vers l’Égypte et la Jordanie, ainsi que l’annexion de l’enclave. Les dirigeants arabes ont-ils réellement les moyens d’imposer la mise en œuvre de leur projet, ou accomplissent-ils seulement une formalité pour se racheter auprès de leurs opinions ?

On ne les aura pas entendus pendant toute la durée de la dévastation de Gaza et de l’extermination de centaines de milliers de Palestiniens, dont une grande majorité d’enfants, de femmes et de personnes âgées. Surprise ! Réunis mardi 4 mars au Caire sous le signe de l’urgence, ils ont proposé un programme de grande envergure de 53 milliards de dollars sur cinq ans, en trois phases.

La première étape, sur six mois, cible l’urgence : déblaiement des débris, neutralisation des engins non explosés et relogement temporaire de 1,5 million de personnes dans des unités préfabriquées. La deuxième phase (2024-2027), dotée de 20 milliards de dollars, priorise la reconstruction des infrastructures essentielles (routes, réseaux d’eau, électricité) et la construction de 200 000 logements permanents pour 1,6 million de personnes. Elle inclut également la réhabilitation de 810 000 hectares de terres agricoles, cruciales pour l’autonomie alimentaire. Enfin, la troisième phase (2027-2030), avec 30 milliards de dollars, ambitionne de finaliser les infrastructures et de développer des zones industrielles, un port de pêche, un port commercial et un aéroport, afin de relancer l’économie locale.

La vie pourrait reprendre son cours

Sur le plan politique, les pays arabes rassemblés tablent sur la réunification des Palestiniens sous l’égide de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). Théoriquement, il est question de ne pas impliquer le Hamas. Durant une transition de six mois, un comité de technocrates indépendants administrerait Gaza avant que l’Autorité palestinienne (AP) n’en reprenne le contrôle.

Si une telle perspective venait à se concrétiser réellement, sans que les États-Unis et Israël ne parviennent à la torpiller, la vie reprendrait alors son cours à Gaza, laissant l’Histoire conserver la mémoire de la terrible épreuve subie par ses habitants, pris en étau entre le Hamas, maître absolu de l’enclave, et la sauvagerie des soldats israéliens sous un blocus épouvantable. Sans oublier le supplice des Palestiniens de Cisjordanie occupée, traqués par l’armée et les colons, opprimés, dépouillés, assassinés…

Pas un seul mot pour qualifier les crimes israéliens

La confrontation à la réalité des événements laisse, hélas, peu de place à un tel optimisme. La façon dont s’est déroulé le sommet, tout autant que l’annonce du projet de reconstruction de Gaza, porte l’empreinte de la faible détermination des dirigeants arabes à le défendre. Ils ont d’ores et déjà exprimé leur impuissance. Alliés stratégiques des États-Unis, le prince héritier saoudien Mohammed ben Salmane et le dirigeant des Émirats Mohamed bin Zayed n’étaient pas parties prenantes. Dans leur déclaration finale, les pays présents n’ont pas eu un seul mot pour qualifier l’horreur infligée aux Gazaouis. Épuration ethnique, déchaînement génocidaire ? Ils n’ont rien vu. Pas un mot non plus de soutien à la lutte palestinienne au cas où Tel-Aviv venait à remettre le feu avec l'aide militaire habituelle de Washington pour imposer la déportation des survivants. Tout juste a-t-on murmuré une timide opposition à ce crime.

Marquer le coup auprès de la « rue arabe »

Qui peut donc vraiment croire que ce sommet du Caire constitue une alternative crédible, puissante, en mesure de faire échec aux caprices démentiels de Donald Trump, qui veut transformer Gaza en vaste station balnéaire, et à la fureur expansionniste d’Israël ? Rien n’est moins sûr. Le fameux sommet a livré ses résultats comme s’il s’agissait d’une formalité. Comme s’il fallait juste marquer le coup auprès de la « rue arabe », stupéfaite devant le silence de ses dirigeants, sans prendre le risque de froisser l’allié américain et de compromettre de futures relations avec Tel-Aviv. Les dés étaient pipés.

Seule voix discordante dans ces arrangements, celle de l’Algérie. Soutien historique inconditionnel des Palestiniens, le pays s’est tenu en marge de l’initiative. Son président ne s’est pas rendu au Caire. Une décision motivée par les « déséquilibres » et les « lacunes » dans la préparation de la rencontre, « monopolisée par un groupe limité et restreint de pays arabes », ont expliqué des sources proches du pouvoir à l’agence de presse officielle (APS).

« Le danger aujourd’hui est celui d’effacer un peuple de l’histoire », a dénoncé le chef de la diplomatie algérienne, présent au sommet. « Les souffrances du peuple palestinien sont indescriptibles, et les défis demeurent immenses, mais ce qui se dresse sur son chemin aujourd’hui est bien plus grave et plus dangereux : c’est l’OPA que certains tentent d’exercer sur son avenir », peut-on lire dans l’éditorial du jeudi 6 mars d’El Moudjahid, organe de presse du pouvoir algérien. Tout est sans doute dit dans cette phrase sur le sort qui pourrait être réservé à la cause palestinienne. Les Arabes avancent à petits pas, mais non sans arrière-pensée.