France : le meurtre raciste et prémédité de Djamel Bendjaballah par un militant d’ultradroite

France : le meurtre raciste, mais non reconnu comme tel, de Djamel Bendjaballah par un militant d’ultradroite

Les faits sont rapportés par le journal L’Humanité dans son édition numérique du vendredi 7 février. Le 31 août 2024, Djamel Bendjaballah, un éducateur de 43 ans, a été violemment fauché par Jérôme D., un militant identitaire membre de la Brigade française patriote, un groupuscule d’ultradroite. Cet acte, qualifié d’« homicide volontaire » par les autorités judiciaires, soulève de graves questions sur les motivations racistes et préméditées du crime, ainsi que sur le traitement institutionnel de cette affaire.

Ce soir-là, Jérôme D., au volant de sa puissante Chrysler, percute Djamel à Cappelle-la-Grande, près de Dunkerque. Après avoir fait descendre ses enfants du véhicule, il fait demi-tour et fonce à nouveau sur sa victime. Le choc est si violent que le corps de Djamel rebondit sur le toit de la voiture. Jérôme D. avouera plus tard aux policiers avoir roulé sur « quelque chose », avant de repartir en trombe. Il contacte ensuite les secours en déclarant : « Je crois que j’ai tué quelqu’un. » Ce « quelqu’un » était Djamel Bendjaballah, un homme respecté, éducateur charismatique d’enfants sans famille et père fusionnel d’une petite fille de 10 ans.

Dans le coffre de la Chrysler, les enquêteurs découvrent une machette, un drapeau français et une pochette cousue d’un écusson « Brigade française patriote – Se préparer à résister », contenant dix-sept cartouches de calibre « 38 short colt ». Au domicile de Jérôme D., une dizaine d’armes à feu, des grenades et des quantités de munitions sont saisies, bien qu’il ne dispose d’aucun permis de port d’armes. Lors de son interrogatoire, Jérôme D. minimise son acte : « Si j’avais voulu le tuer, j’aurais pu le faire bien avant. »

Des insultes : « bougnoule » et « Sarrasin »

Les proches de Djamel sont convaincus que ce crime est motivé par le racisme et la préméditation. Djamel, d’origine algérienne, était en couple depuis trois ans avec Véronique, l’ex-compagne de Jérôme D. et mère de ses deux enfants. Depuis le début de leur relation, Djamel subissait des insultes racistes de la part de Jérôme D., qui le traitait de « bougnoule » ou de « Sarrasin ». Il avait même reçu un cochon en peluche et un saucisson barré du mot « hallal ».

Djamel avait déposé quatre plaintes pour « injure non publique en raison de l’origine, l’ethnie, la nation, la race ou la religion » en 2023, toutes visant Jérôme D. Dans l’une d’elles, il confiait à un policier : « Je n’en peux plus de ses provocations incessantes et j’aimerais qu’il évite de mettre ses enfants dans ses délires de raciste.» Malgré ces signalements répétés, les plaintes ont été classées sans suite par le parquet de Dunkerque, au motif que les faits étaient prescrits. Pourtant, pour les injures à caractère raciste, le délai de prescription est d’un an, et non de trois mois.

Le motif raciste non retenu

L’enquête ouverte pour « homicide volontaire » ne retient pas, pour l’instant, le motif raciste comme circonstance aggravante, ce qui révolte les proches de Djamel. Me Alexandre Demeyere-Honoré, l’avocat de la mère de Djamel, estime que Jérôme D. doit être jugé pour ce qu’il est : un raciste. « D’une peine encourue de trente ans de réclusion, on passerait alors à la perpétuité », souligne-t-il. Morad, le meilleur ami de Djamel, dénonce également l’inaction des institutions : « Sa dernière plainte aurait dû allumer tous les voyants au rouge. »

Le meurtre de Djamel s’inscrit dans un contexte local marqué par la montée du racisme et de l’extrême droite. Benjamin, un militant du Parti communiste local, témoigne de cette radicalisation : « Des gens disent ouvertement qu’il faut tuer des Arabes et que ceux qui les soutiennent seront les prochains sur la liste. » Les stickers et affiches d’ultradroite envahissent l’espace public, et plusieurs faits divers récents, comme l’empoisonnement d’un point d’eau pour migrants, illustrent cette tendance.

Bernard Champagne, de la Ligue des droits de l’homme (LDH), s’inquiète de cette parole raciste décomplexée, exacerbée par la montée du Rassemblement national (RN) lors des élections européennes de juin 2024. « On a parfois l’impression que les chiens sont lâchés », constate-t-il.

Le parquet de Dunkerque, déjà débordé par la lutte contre les passeurs de migrants, affirme ne pas avoir minimisé ou dissimulé les faits. Charlotte Huet, la procureure en charge de l’affaire, explique que deux des plaintes de Djamel ont été versées à la procédure. « Le racisme et la préméditation pourront, si de nouveaux éléments sont mis au jour, être retenus ultérieurement », précise-t-elle.

Zohra, la mère de Djamel, classe et reclasse les plaintes, photos et témoignages dans l’espoir de voir justice rendue. Dans le silence de son pavillon de Grande-Synthe, elle attend, le regard perdu, que la lumière soit faite sur la mort de son fils. « On a l’impression d’un profond abandon », murmure-t-elle