La fin d’une époque pour le Dock des Suds, emblème culturel marseillais
Par La rédactionPublié le
Depuis près de trente ans, le Dock des Suds a rythmé les nuits marseillaises, accueillant concerts, expositions et fêtes mémorables. Mais ce chapitre touche à sa fin : le 31 mars 2025, ce lieu mythique fermera ses portes. L’ancien hangar portuaire, situé dans le quartier d’Arenc, sera transformé en école de formation au numérique, gérée par La Plateforme, avant une éventuelle reconversion culturelle. Une décision qui sonne comme un adieu à un symbole de liberté artistique et de mixité sociale.
Jacques Lantelme, président de l’association Latinissimo, qui anime les lieux depuis 1997, évoque avec amertume cette fin précipitée. "On n’allait pas partir comme ça…", murmure-t-il, tandis que les équipes préparent une ultime fête pour clore l’aventure. Malgré les promesses de la ville de préserver une vocation culturelle, le propriétaire, Euroméditerranée, a choisi une transition pragmatique. Pour Lantelme et son équipe, c’est la fin d’un combat épuisant. "On va tout démonter et partir."
Un lieu chargé d’histoire et d’émotions
L’âme du Dock réside dans ses murs, imprégnés de mille souvenirs. Le hall principal, avec son lustre rococo et son ambiance postindustrielle, a vu défiler des générations d’artistes et de festivaliers. La salle des Sucres, le Cabaret rouge aux airs de club berlinois, ou encore le bar à coquillages installé dans un pointu traditionnel : chaque recoin raconte une histoire. Ninie, technicienne depuis trente ans, confie : "Quand il va fermer, une partie de mon âme va partir avec lui."
Tout commence en 1997, quand Latinissimo, organisateur du festival nomade Fiesta des Suds, s’installe dans ce hangar désaffecté. À l’époque, Arenc est une friche industrielle, terrain de jeu idéal pour des militants associatifs comme Bernard Aubert ou Florence Chastanier. "On avait un élan, un esprit. Tout était possible." Le Dock devient un laboratoire culturel, mêlant musiques du monde, électro, raï, et même des défis improbables entre la Force basque et les dockers marseillais.
Un lieu de toutes les audaces
La programmation éclectique attire autant les stars internationales que les talents locaux. Patti Smith, Gilberto Gil, IAM, Manu Chao ou encore Alain Bashung, dont le concert sous une passerelle autoroutière reste gravé dans les mémoires. En 2005, un incendie ravage les lieux, mais l’équipe relève le défi en rouvrant quarante-quatre jours plus tard. "On était totalement inconscients", sourit Marc Aubergy, ancien président.
Cette insouciance a aussi été un point faible. La gestion financière, parfois bohème, a fragilisé le projet. Pourtant, l’esprit du Dock a marqué bien au-delà de Marseille. Didier Varrod, directeur musical de Radio France, se souvient : "Cette utopie marseillaise, ce brassage intergénérationnel… Des amis disaient que le Dock me donnait une vision faussée de la ville. Mais j’ai adoré ce lieu magnétique."
La fin d’une utopie dans une ville en mutation
Aujourd’hui, le quartier d’Arenc n’a plus rien de son passé industriel. La tour CMA CGM domine désormais l’horizon, entourée de résidences modernes et d’une cité scolaire flambant neuve. Pour Euroméditerranée, le Dock est devenu "un bunker inadapté". Le projet de Cité du cinéma, un temps envisagé, a été abandonné au profit d’investissements plus rentables.
Olivier Rey, de la nouvelle génération de Latinissimo, analyse avec lucidité : "C’était le temps des pionniers. Leur insouciance n’est plus viable." Nathalie Solia ajoute : "On comprend la logique : que vient faire cette verrue dans un quartier résidentiel ?"
La fermeture du Dock des Suds cristallise un débat plus large sur l’évolution urbaine et culturelle de Marseille. Comme le souligne le sociologue Nicolas Maisetti, "la carte culturelle a servi de marketing territorial, avant que les villes ne se tournent vers des modèles plus lucratifs."