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Batailles rangées et édifices détruits : récits de deux folles nuits d’Alger

Le quotidien Le Soir d’Algérie publie, dans son édition du samedi 8 janvier, un reportage sous le titre «récit de deux folles nuits d’Alger » (mercredi et jeudi). L’article donne la juste mesure de la violence des affrontements dans les quartiers populaires d’Alger. Les jeunes manifestants se sont systématiquement attaqués à des locaux d’entreprises, opérateurs téléphoniques, concessionnaires de véhicules… signe de leur exaspération devant l’impasse du chômage.

Les efforts engagés par les agents de Net Com en charge du nettoyage n’ont pu effacer les traces des violentes émeutes de la veille. Les traces sont visibles partout. Que ce soit à Bab El-Oued, Bachjarrah, les Eucalyptus, Bordj-El-Kiffan ou Dar-El- Beida, les «traces» des affrontements ayant opposé, des heures durant, des émeutiers aux forces de l’ordre sont perceptibles. Fait rarissime : seul Alger- Centre a échappé à la «casse». Récit de deux folles nuits à Alger.

Le sujet domine toutes les discussions, en ce vendredi 7 janvier. On évoque des batailles rangées, des magasins pillés, des arrestations massives, des tentatives de récupération par des islamistes. Enfin tout ce qui s’est passé durant les deux nuits de mercredi et jeudi. En effet, le quartier populaire de Bab El-Oued n’a pas dérogé à la règle. La «révolte» n’a pas épargné la place des Trois-Horloges. Il était 19h45, lorsque l’émeute éclata dans ce quartier. Les sièges des agences de Mobilis et d’Algérie Télécom ont été vite la cible d’actes de sabotage. Les abribus sont également saccagés, des pneus brûlés et la route coupée dans les deux sens. La tension est montée très vite. Les services de police entrent en action. Le siège de la Sûreté de daïra, qui se trouve à une centaine de mètres de la place des Trois-Horloges, est quadrillé. Le périmètre de sécurité est engagé. Les émeutiers, des jeunes, dont l’âge ne dépasse pas la vingtaine, gagnent du terrain. L’idée de lancer un assaut contre le siège du commissariat a gagné l’esprit d’un grand nombre d’entre eux. «L’intifadha» prend de l’ampleur. 20h35. L’affrontement est général. De véritables batailles opposent les services de l’ordre aux émeutiers de Bab El-Oued. 20h45. Arrivée de renfort. Les policiers engagent les gros moyens. Bombes lacrymogènes et jets-d’eau. Pour les policiers l’enjeu est de taille. Il faut circonscrire l’émeute.

Le siège de Renault incendié
Les affrontements de la place des Trois-Horloges sont signalés dans toute la daïra de Bab-El-Oued. Les premières vidéos sont aussitôt diffusées sur le web. Les jeunes de Triolet entrent en scène. Situé entre Bab El-Oued, Oued-Koriche et Bouzaréah, le quartier de Triolet est en ébullition. Les premiers affrontements entre les forces de l’ordre et les émeutiers sont déjà signalés. Les premiers slogans de la «révolte» sont également entendus. «Y en marre de la cherté de la vie. A bas le pouvoir ! Nous voulons notre pétrole.» Le ton est donné. On évoque le nom de Ali Belhadj. «Le cheikh va arriver», indique un jeune. En effet, le chef du parti dissous avait fait irruption une demi-heure auparavant à Bab-El-Oued, avant qu’il ne soit interpellé par les forces de police. 21h15. L’affrontement est général. Acculés, les forces de police se replient. La présence d’un barrage fixe de la Sûreté nationale à ce croisement n’a vraisemblablement pas dissuadé les manifestants de mettre à sac le showroom du concessionnaire Renault et de celui du label chinois Geely. Les rideaux métalliques des deux espaces mitoyens sont carrément arrachés. Des véhicules, maintenus dans leurs box d’exposition, sont complètement incendiés. Le pillage est total. Les voitures sont toutes désossées. D’autres sont ramenées dans la rue où elles ont subi un sort aussi triste. Pare-brise brisés, capots et portières arrachés. Les pièces de motorisation sont irrémédiablement hors service. Les carcasses ne reposent plus que sur les essieux.

Belouizdad, Bachjarrah et les Eucalyptus en feu
Le propriétaire de la concession, qui est arrivé sur les lieux, aurait laissé sa vie n’était l’intervention des forces de police. «J’ai voulu leur parler, juste pour leur dire de ne pas brûler le siège de mon magasin. Mais hélas, on a voulu plutôt me tuer !» nous explique Mohamed Chetouane. Les axes desservis par ce carrefour (Bologhine, Bab-El-Oued-Centre, Chevalley et Fontaine- Fraîche) sont désertes. Le syndrome de Bab-El-Oued se propage. La tension est pesante. La rumeur prend de l’ampleur. Les quartiers de Belouizdad (Belcourt) entrent en scène. Un embrasement est signalé depuis trente minutes. Il est 22h35. Les premiers affrontements sont signalés. Même constat à El-Harrach, à Bachjarah et aux Eucalyptus. L’est de la capitale est en feu. Aux Eucalyptus, dans la commune de Baraki, les manifestants ont incendié le siège de l’APC en début de soirée. Ils ont fermé la RN 8 menant vers Larbaâ, provoquant ainsi une paralysie totale de la circulation routière. Il a fallu l’intervention de la police, qui a usé de bombes lacrymogènes pour que la situation soit «débloquée». Dans d’autres quartiers, on parle de blessés. C’est le cas à Hussein-Dey et Kouba, où sont recensés, dit-on, des dizaines de blessés. Comme à Bab-El- Oued, les édifices publics et mêmes privés sont les cibles d’attaques et de pillages. Jusqu’à minuit, on signale des affrontements dans plusieurs quartiers de la capitale. Au centre-ville, plus exactement au niveau des rues Didouche-Mourad et Larbi-Ben-M’hidi, c’est le calme plat.

Psychose à Alger-Centre
En ce second jour de «révolte», la psychose était générale. A 9h30: dans leur majorité, les magasins situés à Didouche-Mourad, Larbi-Ben-M’hedi et Hassiba-Ben-Bouali sont encore fermés. «Les affrontements sont annoncés à dix heures», nous explique un commerçant. Au niveau de la Grande- Poste, le dispositif de sécurité est impressionnant. Même constat au niveau des sièges de l’Assemblée nationale, du Sénat et de la wilaya d’Alger. A Alger-Centre, une tension extrême a commencé à se faire sentir en fin et début d’après-midi, sur fond de rumeurs quant à l’éclatement d’émeutes dans plusieurs quartiers de la capitale et «surtout la volonté des jeunes de Bab-El-Oued de marcher vers le centre-ville ce soir». On annonce même une reprise des affrontements à Bab-El-Oued et à Belouizdad. A 14h30, les quelques magasins ouverts décident de baisser rideau. En moins de trente minutes, les rues Larbi Ben-M’hidi et Didouche-Mourad sont désertées. La circulation automobile est inhabituellement fluide dans le centreville. Peu de voitures circulent. Les directeurs des établissements scolaires ont, a-t- on appris, reçu l’ordre de libérer les élèves à midi. Sécurité oblige, souligne-t-on. Les rues étaient presque vides. Les banquiers ont reçu l’ordre de prendre toutes les précautions nécessaires pour éviter des vols en cas d’émeutes. La menace d’une nouvelle «folle» nuit est de nouveau brandie. La peur s’installe de nouveau.

Renforts de la gendarmerie
A 20h30, l’entrée d’Alger du côté est est fermée à la circulation. Des jeunes du quartier des Dunes, relevant de la commune d’El- Mohammadia, ont décidé de bloquer la route. Une forme de protestation que les émeutiers ont engagée en cette seconde nuit de protestation.