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Edito: Tunisie: la peur est en train de changer de camp

Chaos, tirs de snipers postés sur les toits, forces de police tirant sur des cortèges funèbres, forces spéciales, milices parallèles, escadrons de la mort, cadavres éventrés, à la cervelle éclatée… les témoignages qui échappent au filet de censure tissé à la hâte par le pouvoir tunisien décrivent des scènes d’horreur dans des villes martyres.

Ben Ali fait la guerre aux jeunes laissés-pour-compte, seulement coupables d’avoir crié leur désespoir dans une société qui ne leur fait aucune place. Il fait la guerre à la société civile qui ose leur apporter son soutien. Etat d’alerte maximum contre les terroristes! dit-il pour justifier la mobilisation de tous les flics et barbouzes en préparant un déploiement à grand renfort d’unités de l’armée. Vous aurez des emplois, et par centaines de milliers, promet-il, pour faire bonne figure aux yeux de ses soutiens occidentaux, à commencer par la France, qui veut s’offrir le luxe d’une «analyse» de la situation alors que le sang coule à flot. Ben Ali a gagné une première manche : celle du «silence on tue !»

Mais jusqu’où peut-il encore aller pour défendre un système de pouvoir clanique fondé sur le culte de sa personnalité, un Etat policier et une économie construite sur des poches de pauvreté ? Quelques morts plus loin, il faudra bien stopper, de gré ou sous pression internationale, la machine répressive et tirer les leçons de cette page d’histoire tachée de sang. Une chose est sûre d’ores et déjà: rien ne sera plus comme avant sous le ciel de cette dictature dorée en surface.

De Gafsa à Kasserine, Sidi Bouzid et à présent la banlieue de Tunis, syndicalistes, militants associatifs et des droits de l’Homme, intellectuels, artistes, universitaires, étudiants, journalistes, avocats, ont dressé en l’espace d’une semaine un mur d’opposition au système Ben Ali. Le fait est sans précédent, qui, quelle que soit l’intensité de la répression, donne l’avantage à la frange progressiste de la société Tunisienne.

Ben Ali pourra toujours tenter de continuer à quadriller la population de flics en civil, d’engraisser son armée, de gâter la nomenklatura et la clientèle dévouée à son clan, d’étouffer les libertés, il lui faudra bien désormais composer avec ces espaces d’expression conquis au prix du sang des enfants de Kasserine, de Sidi Bouzid et d’autres lieux de répression aveugle. La peur est en train de changer de camp.