La France semble perdre patience dans le bourbier sahélien
Par belkacemgPublié le
Paris vient d’annoncer qu’elle soutenait les mesures prises par la CEDEAO, le 9 janvier dernier. Ces mesures ont pour objectif de faire pression sur la junte militaire malienne afin de passer le pouvoir aux civils.
Avec un ton ferme et clair, le président Emanuel Macron dit soutenir l’entreprise de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) et de l'Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Il annonce que d’ici la fin du mois, l’UE imposera également des sanctions.
Rappelons qu’après une réunion extraordinaire à Accra, la CEDEAO a entériné une série de sanctions contre la junte militaire au pouvoir. L’organisation sous régionale a décidé de retirer les ambassadeurs de ses membres du Mali, de geler les avoirs maliens au sein de la Banque centrale des États d'Afrique de l'Ouest (BCEAO), de boucler les frontières entre le Mali et les États membres de l'organisation et d'instaurer un moratoire sur les échanges commerciaux avec Bamako, à l'exception des produits médicaux et des produits de première nécessité.
Le gouvernement malien a rapidement réagi à travers son porte-parole, le colonel Abdoulaye Maiga. Ce dernier a notamment qualifié les mesures prises par la CEDEAO d "illégales et illégitimes".
Entre la France et le Mali, rien ne va plus depuis quelques mois déjà
Le rapprochement de Bamako et de Moscou a vivement contrarié Paris. La présence des troupes privées russes de Wagner a rebattu les cartes géopolitiques au Sahel. Voyant son influence menacée, Macron a d’ailleurs annulé un déplacement au Mali en décembre dernier. Officiellement, pour des raisons sanitaires, néanmoins pas besoin de sortir de Saint Cyr pour reconnaitre que c’est bel et bien les tensions entre Macron et Goïta qui ont fait capoter le déplacement. De plus, le mercredi 12 janvier, les relations, déjà délétères, entres les deux pays ont franchi un cap lorsque l'organisation de gestion des espaces aériens a émis un signalement aux autorités malienne leur indiquant une violation de leur espace par un avion militaire français. Dans un communiqué publié dans la foulée, Bamako dénonce cette violation de son espace aérien par Paris. Le communiqué n'a pas manqué de rappeler que la France soutiens les mesures de la CEDEAO qui a décidé de fermer les frontières terrestres et aériennes de ses membres avec le Mali.
La junte au pouvoir annonce qu'elle "décline toute responsabilité relative aux risques auxquels les auteurs de ces pratiques pourraient s'exposer, en cas de nouvelle violation de son espace aérien".
Aujourd’hui les sujets de discorde sont légion : le recours éventuel, par Bamako, aux mercenaires russes de Wagner, la fin de la transition politique menée par le militaire et la mise en place d’un calendrier électoral et la réorganisation de la mission de Barkhane. Autant de sujets de contreverse qui devraient dégrader des relations déjà tendues entre les deux pays.
Un sentiment anti-français ravivé suite aux sanctions contre Bamako
Paradoxalement, les mesures internationales contre la Mali ont ravivé un sentiment anti-français au sein du peuple malien. Cela a également engendré un engouement nationaliste autour du gouvernement de Goita. En effet, les sanctions infligées toucheront principalement le peuple malien. Déjà très précaire, le pouvoir d’achat sera fortement affecté par cet embargo et favorisera les pénuries des produits essentiels, ce qui pourrait créer une crise humanitaire difficile à endiguer.
Accusé de néocolonialisme, la France a été très critiquée sur les réseaux sociaux du pays. On accuse Paris de vouloir maintenir le Mali sous sa domination et d’empêcher son développement. Dans ce contexte, le chef de la junte, le colonel Assimi Goïta, est ainsi considéré comme l’agent émancipateur qui libèrera le Mali de l’influence française.
Par ailleurs, en bon opportuniste, le pouvoir militaire malien compte capitaliser sur cette vague nationaliste et a déjà appelé la population à manifester demain vendredi à Bamako contre la CEDEAO.
Le Mali résistera-t-il longtemps face à l'embargo imposé ?
Le pays n’ayant aucun accès a la mer, il risque de ne pas tenir longtemps face aux sanctions économiques imposées. Factuellement, le pouvoir en place, sans grande réserve financière, devra payer les salaires de ses habitants, assurer les services sociaux et mener des transactions commerciales. Ainsi, il faudra trouver des liquidités et des débouchés économiques dans un délais très courts. Selon toute vraisemblance, seule l’Algérie pourrait, à court terme, constituer une bouée de sauvetage au pouvoir malien. Dès lors, on risque bien de voir dans les prochaines semaines une offensive diplomatique malienne pour amadouer son voisin du nord. Néanmoins, il n’est pas certain qu’Alger soit disposée a le faire. En effet, le voisin du nord a encouragé le gouvernement malien à avoir une attitude responsable et constructive. Le président Abdelmadjid Tebboune a proposé une période de transition allant de 12 à 16 mois pour remettre le pays sur les rails.
Autre solution, la Russie, déjà présente sur le territoire malien via la société de sécurité Wagner, pourrait bien pallier l’absence de la CEDEAO et combler le vide politique et économique de la France. Si cela se produit, ça marquera un encrage a long terme de Poutine dans la région. Par ailleurs, un texte du Conseil de sécurité de l'ONU soutenant les sanctions de la CEDEAO, proposé par la France, a été bloqué mardi 11 janvier par la Russie et la Chine.