France. « Examen civique » pour les étrangers : le legs d’exclusion de Retailleau.
Signé deux jours avant sa démission, l’arrêté du 10 octobre 2025 par l’ex-ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau institue un « examen civique » obligatoire pour tous les candidats à la nationalité française et aux titres de séjour longue durée.
À compter du 1er janvier 2026, ces candidats devront répondre à un questionnaire à choix multiples de 40 questions en 45 minutes, avec un taux de réussite fixé à 80 %. Ce test portera sur l’histoire, la géographie, les institutions, la culture et la vie sociale française. En cas d’échec, il pourra être repassé, mais les exigences sont telles que juristes et associations y voient avant tout une machine à écarter plutôt qu’à intégrer.
Les thématiques prévues par l’arrêté sont vastes : article 1er de la Constitution, principe de laïcité, rôle des pouvoirs publics, préfectures et régions, mandats électifs, construction européenne, fleuves, gastronomie ou encore Charte de l’environnement. « Quand on lit l’arrêté, on se demande quel Français n’ayant pas un bac + 5 serait capable de répondre aux questions », ironise Danièle Lochak, professeure émérite de droit public et membre du Gisti, citée par le journal Le Monde. Elle s’interroge : «Qui connaît la Charte de l’environnement ?» En d’autres termes, la France exige de ses futurs nationaux et résidents une connaissance encyclopédique que la majorité de ses propres citoyens ne possède pas.
Une surenchère politique sur l’immigration
Cette mesure s’inscrit dans une logique politique bien précise. Elle ne répond pas à une réelle nécessité administrative -des entretiens individuels d’assimilation existent déjà- mais participe d’une surenchère politique centrée sur l’immigration. Sous couvert de « renforcer l’intégration », elle nourrit l’obsession migratoire promue par l’extrême droite, dont le gouvernement a largement intégré les thématiques depuis la loi immigration de 2024, adoptée avec les voix du Rassemblement national. Entre octobre 2024 et août 2025, les naturalisations par décret ont d’ailleurs chuté de 28 %, résultat d’instructions restrictives adressées aux préfectures.
En réalité, poser comme condition une connaissance exhaustive de la géographie ou de la gastronomie française pour obtenir un titre de séjour ou la nationalité relève de l’absurde. Les motivations à devenir français ou à vouloir s’installer durablement en France sont d’un autre ordre : liens familiaux, volonté de participer à la société, adhésion aux principes républicains, projet de vie commun. Ignorer quel fleuve traverse telle région ou l’origine d’un plat ne préjuge en rien de l’adhésion à ces valeurs. Exiger une telle érudition revient à dresser une barrière supplémentaire, souvent insurmontable pour des personnes qui travaillent, élèvent des enfants ou apprennent déjà le français à un niveau avancé.
Une mesure dépoussiérée
Le test n’est pas nouveau. Il s’inspire directement d’une mesure instaurée sous Nicolas Sarkozy et Claude Guéant, puis abandonnée par Manuel Valls en 2012, qui avait alors déclaré : « On ne devient pas Français en répondant à un QCM ! » Treize ans plus tard, la boucle est bouclée : ce dispositif, symbolique d’une politique de sélection, est remis au goût du jour par un gouvernement démissionnaire, dans une continuité idéologique frappante.
L’exigence est d’autant plus discutable qu’elle s’ajoute au relèvement du niveau de français requis, de B1 à B2, prévu également pour 2026. Ce niveau avancé représente déjà une difficulté majeure pour de nombreux candidats, bien plus pertinente pourtant que la connaissance d’anecdotes historiques ou culinaires. En combinant les deux dispositifs, l’État semble moins vouloir favoriser l’intégration que filtrer et réduire drastiquement le nombre de nouveaux Français ou résidents de longue durée.
Ce QCM révèle ainsi la fonction politique d’une telle mesure : non pas encourager la citoyenneté partagée, mais marquer une frontière culturelle et symbolique. Derrière une apparente neutralité technocratique se cache une stratégie d’exclusion. Exiger des étrangers ce que l’on n’exige pas des nationaux, c’est construire une citoyenneté à deux vitesses, au service d’un discours de fermeture plutôt que d’ouverture.