Pas d’état d’âme pour les dictateurs !

Et voilà des sirènes qui sonnent l’alerte de l’ingérence dans les affaires intérieures de la Libye, d’une atteinte à sa souveraineté, voire d’un affront à la «nation arabe». Voila que de l’encre coule abondamment pour dénoncer les frappes ciblées sur le territoire Libyen dans des éditoriaux aux accents "patriotiques" de grands titres du Maghreb et du Moyen Orient. Admettons.

Mais au fait, de quels arabes parle-t-on ? De ces centaines de millions d’individus écrasés sous des régimes chape de plomb depuis des décennies, privés du moindre souffle de libre expression, condamnés à la pauvreté et à l’obscurantisme, regardant passer les richesses du pays sans jamais en voir la couleur dans les secteurs clé de la santé, de l’éducation, du logement, risquant une vie durant l’emprisonnement et la torture pour le moindre écart politique ?

Parle-t-on au nom de ceux-là, ou des despotes, monarques et autres princes, qui ronronnent sur des tapis de pétrodollars, se construisent des empires colossaux, entretiennent des couches de clientèles fidèles et des armées bien équipées avec la bénédiction des grandes puissances ?

Au diable cette revendication ethnique ! Plus que d’Arabes, il s’agit avant tout d’êtres humains enfermés dans des rapports de domination et d’injustice, et si intervention extérieure il y a pour aider à briser ce système diabolique, elle est la bienvenue.

Au nom de quoi peut-on contester aux populations de Benghazi et des autres villes rebelles de Libye le droit de demander et de se réjouir de l’intervention étrangère, six milles morts après et alors même que se préparait en plus une tuerie à huis-clos si les troupes de Kadhafi s’étaient emparées du fief de l’opposition ?

Bien sûr, nul n’est dupe, du point de vue des puissances intervenantes, il n’y a rien pour rien. La controverse autour des frappes, de leur conformité à la résolution de l’Onu est significative de la bataille souterraine autour des futurs enjeux économiques, au moment où se profile un probable effondrement, sous une forme ou sous une autre, du régime Kadhafi.

Mais peut-être n’est-ce pas là le plus important pour l’instant. Pas plus important en tout cas que la lame de fond qui secoue les pays arabes et dont il faut souhaiter qu’elle fasse tomber un à un les despotes véreux qui règnent sans partage, pour chacun d’eux depuis des décennies, avec ou sans le concours de l’étranger, peu importe.

Au diable les élucubrations sur le devenir de ce monde nouveau qui pointe contre vents et marrées, sur les conditions de son intégration dans la « communauté internationale » !

L’essentiel est que fleurissent les libertés, que s’épanouissent enfin une génération arabe sous le soleil de la démocratie, celui dont rêve, les yeux ouverts, la jeunesse de Tunis, d’Alger, de Casablanca, de Tripoli, de Benghazi, du Caire, de Sana… En attendant, pas d’état d’âme pour les dictateurs.