Washington s’improvise faiseur de paix au Maghreb : la manœuvre américaine derrière le mirage algéro-marocain
Washington s’improvise faiseur de paix au Maghreb : la manœuvre américaine derrière le mirage algéro-marocain
La déclaration de Steve Witkoff, envoyé spécial du président américain pour le Moyen-Orient, a surpris dans les chancelleries. En annonçant qu’un accord de paix entre l’Algérie et le Maroc pourrait être conclu « dans les 60 prochains jours », Washington s’invite bruyamment dans un dossier miné depuis un demi-siècle : le conflit du Sahara occidental.
Les États-Unis, qui ont reconnu en 2020 la souveraineté du Maroc sur ce territoire en échange de la normalisation entre Rabat et Israël, s’érigent désormais en « médiateurs » entre les deux voisins maghrébins. L’offensive diplomatique est spectaculaire, la communication parfaitement calibrée : Witkoff se présente en faiseur de paix, porteur d’un calendrier précis, presque messianique. Pourtant, derrière les mots et les sourires, la manœuvre américaine interroge, tant elle semble servir d’abord les intérêts du royaume chérifien et, plus largement, ceux du duo israélo-américain dans la région.
Le « miracle » des 60 jours
Dans une interview accordée à CBS News, Steve Witkoff s’est voulu catégorique : « Notre équipe se concentre sur ce sujet, et un accord de paix sera conclu dans les 60 prochains jours, à mon avis. » Il n’en fallait pas plus pour que les milieux diplomatiques s’enflamment. L’homme, peu connu du grand public, n’est pourtant pas novice : promoteur immobilier devenu proche de Donald Trump, il représente cette diplomatie d’affaires où les deals remplacent la diplomatie d’État.
Son entourage évoque un plan « ambitieux » soutenu par Massad Boulos, conseiller de Trump pour les affaires africaines et beau-père de son fils. Boulos a récemment rencontré le président algérien Abdelmadjid Tebboune, affirmant avoir trouvé un interlocuteur « ouvert à reconstruire des ponts de confiance ». Les deux hommes insistent sur la « fraternité » entre les peuples algérien et marocain, une rhétorique mielleuse qui masque mal le déséquilibre fondamental du projet : Rabat, solidement adossé à Washington et Tel-Aviv, aurait tout à gagner d’une telle « normalisation », quand Alger, elle, risquerait d’y perdre ses principes et sa crédibilité diplomatique.
Une paix sur mesure pour Rabat
Cette offensive américaine intervient à un moment où le Maroc traverse une crise sociale profonde. Le chômage massif des jeunes, la flambée des prix et la répression des voix critiques ont terni l’image du royaume. En interne, la monarchie cherche à redorer son blason. À l’extérieur, elle mise sur la diplomatie pour masquer la tension sociale. L’annonce de Washington tombe donc à point nommé.
Les États-Unis, eux, consolident leur position stratégique : maintien de leur influence militaire dans la région, renforcement du partenariat sécuritaire avec Rabat et soutien à Israël, dont la coopération avec le Maroc s’est intensifiée depuis les accords d’Abraham. Le royaume est désormais un quasi-protectorat israélo-américain. Les discussions en cours sur l’acquisition d’avions de chasse F-35 et de nouveaux Boeing illustrent cette intégration croissante du Maroc dans l’orbite occidentale.
Quant au Sahara occidental, il devient la monnaie d’échange d’un marché politique : enterrer définitivement la cause sahraouie en échange d’une paix « symbolique » avec Alger. Peu importe, pour Washington, que ce soit au mépris du droit international et des droits fondamentaux du peuple sahraoui.
Le silence prudent d’Alger
Face à cette agitation médiatique, Alger garde le silence. Aucune réaction officielle n’a été enregistrée depuis les déclarations de Witkoff. Les autorités algériennes ne s’emballent pas, laissant les spéculations enfler. L’histoire diplomatique du pays plaide pour la prudence : l’Algérie ne négocie pas ses principes. Soutenir le droit à l’autodétermination du peuple sahraoui n’est pas un simple réflexe idéologique, mais une constante de sa politique étrangère.
Accepter un accord de paix « forcé » reviendrait à renier cette ligne de conduite historique. Comment imaginer que le pays de Novembre sacrifie la cause sahraouie sur l’autel d’une réconciliation imposée par Washington ? Une telle hypothèse paraît impensable, voire offensante, au regard du passé anticolonial de l’Algérie et de son refus de toute tutelle étrangère.
Cette initiative s’inscrit dans un contexte mondial où Washington tente de redéfinir son influence. Après les fiascos afghan et irakien, et la montée en puissance de la Chine, les États-Unis cherchent à se repositionner dans des zones jugées « stables mais stratégiques ». Le Maghreb offre, à ce titre, un terrain propice : ressources énergétiques, couloirs commerciaux, coopération sécuritaire et influence sur le Sahel.
Une diplomatie américaine à double fond
Mais cette diplomatie du « deal » s’apparente à une mise sous tutelle des équilibres régionaux. En prétendant rapprocher Alger et Rabat, Washington installe en réalité un rapport de dépendance. Le Maroc devient la tête de pont de ses intérêts, pendant que l’Algérie, riche en gaz et proche de la Russie, représente un contrepoids à neutraliser.
Le discours de Witkoff et de Boulos, en exaltant la « fraternité maghrébine », escamote la question centrale : celle du droit des Sahraouis. Les États-Unis ne cherchent pas à résoudre un conflit, mais à le clore selon leurs propres termes. Or, une paix véritable ne peut naître que du respect du droit international, pas d’un diktat diplomatique.
Le Sahara occidental reste reconnu par l’ONU comme un territoire non autonome. Sa population attend toujours un référendum d’autodétermination, sans cesse repoussé. L’Algérie, en refusant de se plier à la rhétorique américaine, rappelle que la paix ne se décrète pas depuis Washington. Elle se construit par la justice, la reconnaissance et la vérité.
L’Amérique en sauveur autoproclamé
En définitive, cette sortie de Steve Witkoff révèle moins une ambition pacificatrice qu’une offensive politique soigneusement orchestrée. Washington se présente en arbitre, alors qu’il est partie prenante. Il s’improvise « sauveur du Maghreb » au moment même où il consolide l’axe Rabat-Tel-Aviv.
Sous couvert de paix, c’est un scénario d’influence qui se dessine : étendre la normalisation, renforcer le contrôle économique et sécuritaire du Maghreb, et marginaliser l’Algérie sur la scène internationale.
Le message américain est clair : la paix, oui, mais à condition qu’elle soit rentable. L’Algérie, pour l’heure, refuse d’acheter cette illusion. Car derrière les promesses de « réconciliation » se profile une paix sans justice, une paix d’intérêts.
Et dans cette partie d’échecs où le Sahara reste l’enjeu central, Washington joue ses propres pions, pendant que les peuples du Maghreb, eux, attendent toujours que la parole donnée vaille plus qu’un contrat d’armement.
Photo: (DR)