France-Algérie : qui est derrière le calvaire humiliant des voyageurs algériens débarquant dans les aéroports parisiens ?

France-Algérie : qui est derrière le calvaire humiliant des voyageurs algériens qui débarquent dans les aéroports parisiens ?

La presse algérienne dénonce avec vigueur les conditions d’accueil réservées aux voyageurs algériens dans les aéroports parisiens, notamment à Charles-de-Gaulle et Orly. Des témoignages font état de contrôles frontaliers perçus comme discriminatoires, d’attentes interminables et d’interrogatoires humiliants. Ces situations, qualifiées de « calvaire » par les concernés, s’inscriraient dans un contexte de tensions diplomatiques persistantes entre Alger et Paris, ravivant des blessures historiques et politiques.

L’épisode du 27 janvier 2024 a cristallisé l’indignation. Ce jour-là, des voyageurs algériens munis de visas en règle ont été soumis à des procédures d’une rigueur exceptionnelle. À leur descente d’avion, un dispositif singulier les attendait : tous les guichets étaient fermés, à l’exception d’un seul, dédié exclusivement à leur nationalité. Les files d’attente se sont rapidement transformées en cauchemar.

Un traitement « méthodique » et « déshumanisant »

« Nous avons passé trois heures debout, après un vol de deux heures, sans explication », relate un voyageur, épuisé. Les témoignages se multiplient, comme celui du cinéaste Bachir Derrais, publié sur Facebook, décrivant une logique de « tri méthodique » et de «suspicion généralisée». Une mère de famille, visiblement bouleversée, confie : « J’ai eu l’impression d’être traitée comme une criminelle. Mes enfants étaient affamés et fatigués. Ils pleuraient, mais les agents de l’aéroport n’ont pas bronché. » Un quinquagénaire venu rendre visite à sa famille en France ajoute : « Ce n’est pas ma première visite, mais ce que j’ai vécu cette fois est indigne. Ces contrôles excessifs m’ont fait comprendre que je ne suis pas le bienvenu. »

Des médias algériens dénoncent une « politique délibérée »

Pour la presse algérienne ces incidents ne sont pas isolés. Ils s’inscriraient dans une stratégie française de restriction ciblée, liée aux récentes frictions diplomatiques. La réduction drastique des visas accordés aux Algériens par la France en 2021-2022, les désaccords sur la mémoire coloniale, ou encore les positionnements géopolitiques de la France sur le Sahara occidental alimenteraient cette escalade.

« Ces contrôles renforcés sont un message politique », analyse un éditorialiste, pointant du doigt des figures françaises hostiles à l’immigration maghrébine, évoquant notamment Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, sénateur Les Républicains, connu pour ses propos racistes et son animosité à l’égard de l’Algérie.

Le calvaire imposé aux voyageurs algériens n’est pas le fruit du hasard si l’on compare aux situations qui prévalaient dans le passé. En novembre 2024, près de 2,9 millions de passagers internationaux ont transité par Roissy-Charles-de-Gaulle, dont 85,2 % ont passé moins de 10 minutes aux contrôles. À Orly, le flux est décrit comme « encore plus fluide », avec 90,7 % des voyageurs contrôlés en moins de 10 minutes.

La France « règle ses comptes » avec Alger

Ces incidents surviennent dans un climat déjà tendu. En Algérie, associations et députés dénoncent des pratiques « contraires aux accords bilatéraux » et « humiliantes ». Certains appellent à des « représailles symboliques », comme un renforcement des contrôles sur les ressortissants français, ou à une médiation européenne.

« La France instrumentalise des citoyens lambda pour régler ses comptes avec Alger », déplore un militant des droits humains. Du côté français, les autorités invoquent habituellement des impératifs de sécurité et de lutte contre l’immigration irrégulière. Pourtant, le motif de «présomption de risque migratoire », souvent avancé pour refuser l’entrée à des Algériens, reste flou. « Ce critère subjectif ouvre la porte à tous les abus », critique un avocat spécialisé dans le droit des étrangers.

Derrière ces tensions, c’est la relation complexe entre la France et l’Algérie qui se rejoue. Les appels récents à l’apaisement, notamment via l’envoi d’émissaires français à Alger, peinent à masquer la défiance. «Utiliser des citoyens comme des pions dans un jeu politique est immoral», tranche un éditorial du Quotidien d’Algérie, soulignant les liens familiaux, culturels et historiques qui unissent les deux peuples.

En Algérie, l’émotion est d’autant plus vive que ces contrôles ravivent le souvenir de décennies de discriminations postcoloniales. « La France parle de réconciliation mémorielle, mais sur le terrain, rien ne change », regrette un universitaire algérien.

Des voyageurs respectueux des lois

Reste une question : ces mesures renforcées sont-elles efficaces ? Si elles visent à dissuader l’immigration irrégulière, elles frappent surtout des voyageurs respectueux des lois, alimentant un ressentiment préjudiciable aux deux pays. Comme le résume un diplomate européen sous couvert d’anonymat : « Quand la politique s’attaque aux individus, elle ne crée que des perdants. »

Alors que les réseaux sociaux bruissent de colère et que les gouvernements évitent soigneusement l’escalade verbale, les voyageurs algériens, eux, retiennent une leçon amère : les portes de la France, autrefois symbole de liberté, se ferment peu à peu, au gré des calculs politiques. Une réalité qui, au-delà des chiffres et des discours, laisse des traces profondes dans les mémoires.