Algérie. L’avant-projet de réforme constitutionnelle confronté à la répression et au chômage
Par N.TPublié le
L’ébauche de réforme constitutionnelle évoque les libertés dans un contexte marqué par la répression des opinions et les arrestations arbitraires dans une économie plombée par l’inflation et le chômage des jeunes.
Le texte est supposé jeter les bases d’une Algérie nouvelle fondée sur les aspirations populaires portées par le Hirak… l’avant-projet de réforme Constitutionnelle fait une entrée discrète dans l’actualité algérienne, sous la cloche du confinement durant le mois de Ramadan.
Un simple toilettage autour des grandes questions
Les « experts » à l’origine des propositions, finement choisis – le président de la commission avait conduit la même mission en 2014 sous l’ère Bouteflika —, n’avaient pas pour mandat de décliner un changement de régime précisent-ils en préambule. Il s’agit donc sans surprise d’un toilettage autour de grandes questions dont on estime qu’elles cristallisent les attentes : les libertés publiques, l’indépendance de la Justice, la lutte contre la corruption et les élections. En résumé, s’agissant du chapitre le plus sensible des droits fondamentaux, il est question de liberté de réunion, de rassemblement public, de création d’associations sur simple déclaration, de liberté de la presse sans contrôle préalable, de droit à la réparation pour toute arrestation et garde à vue…
Sur le plan institutionnel, l’avant-projet prévoit un chef de gouvernement responsable de son programme devant le Parlement, ainsi qu’un vice-président. Le chef de l’État ne peut rempiler qu’une seule fois et ne peut légiférer par ordonnances quand les députés sont au vert, pratique courante sous le règne de Bouteflika. Une Cour constitutionnelle veille en théorie sur la légalité du fonctionnement de tout cet appareil.
Libéré du poids du ministère de la Justice, un Conseil supérieur de la magistrature à la composante plus autonome (magistrats, représentants syndicaux…) est supposé ouvrir la voie à l’indépendance de la Justice.
L’armée algérienne enfin, pourra sortir des casernes pour participer « à des opérations de maintien de la paix sous les auspices des Nations unies, de l’Union africaine et de la Ligue arabe… » La Constitution actuelle ne l’autorise pas.
Un avant-projet, loin des aspirations exprimées par le peuple algérien et par l’opposition
Les dirigeants politiques ont réagi à la publication du texte. Rassemblés autour d’un Pacte pour l’alternative démocratique (PAD), les partis et associations du camp démocrate dénoncent un « replâtrage » et « juste un gain de temps pour acquérir une certaine légitimité ». Les islamistes multiplient de vagues critiques leur permettant surtout de faire bonne figure auprès de l’opinion : pouvoir personnel et immunité, lutte contre la corruption, caractère « hybride » du régime… « Cet avant-projet est loin des aspirations exprimées par le peuple algérien avec ses différents courants lors des manifestations du Hirak », estime le Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste).
Le Parti des travailleurs (PT) de Louisa Hanoune, tire, quant à lui, à boulets rouges. « Par-delà la phraséologie et les contradictions dont est truffé le projet, il ressort clairement que pour ses rédacteurs il s’agit d’introduire des réformettes qui, en aucun cas, ne modifient la nature présidentialiste foncièrement antidémocratique du régime qui se trouve renforcé par de nouvelles prérogatives au profit du président de la république », martèle-t-il. « La révision constitutionnelle est réactivée dans une situation marquée par la fermeture quasi-totale du champ politique et médiatique, le musellement de la presse publique et privée dont des journalistes sont emprisonnés, l’arrestation et la condamnation à tour de bras de nombreux activistes dans des procès expéditifs », constate surtout le PT.
Pour l’instant, le texte de réforme fait en effet l’économie d’un large débat dans l’opinion. Les Algériens confinés et dont le pouvoir d’achat est plombé par l’inflation tentent péniblement de joindre les deux bouts à la fin du mois de Ramadan. L’économie informelle à l’arrêt laisse une grande majorité de jeunes sur le carreau. Le toilettage de la Constitution offre au Hirak l’opportunité de rebondir sur le terrain politique et aussi social cette fois. Cinq mois après son élection, très controversée, à la tête de l’État, le président Tebboune est à l’heure des choix, entre régression et avancée historique.
Source: https://www.humanite.fr/lavant-projet-de-constitution-algerienne-confronte-la-realite-de-la-repression-et-du-chomage-689340