L’Algérie commémore Novembre 54, ce «fleuve détourné»
Dans la nuit du 31 octobre 1954, l’Algérie est secouée par une série d’attentats commis en divers endroits du territoire, qui font sept morts. L’insurrection de la «Toussaint rouge» menée par le FLN marquera le déclenchement de la guerre d’Algérie. La commémoration de l’évènement par la presse publique offre invariablement l’occasion de faire l’éloge du pouvoir en place en jouant sur la fibre nationaliste.
Sous le titre, « 56e anniversaire du déclenchement de la glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954 », le quotidien public El Moudjahid publie un texte truffé, dès l’attaque et comme de coutume, d’expressions grandiloquentes. Novembre 54, c’est ainsi "la flamme qui continue de brûler (…) ce phare qui n’a cessé de guider, d’orienter depuis la nuit coloniale… " . "Novembre est venu pour briser le joug du colonialisme, pour mettre fin à 132 années de spoliation, d’exploitation, d’humiliation, d’acculturation, Novembre est venu pour redonner aux Algériens leur dignité, leur personnalité, leur liberté et l’indépendance de leur pays".
Passées ces envolées habituelles, le rédacteur s’empresse de revenir à l’Algérie d’aujourd’hui, en empruntant le raccourci fort commode que l’on peut se permettre dans un «papier» de commémoration.
Peut-être l’avait-on oublié, mais «Novembre nous revient en une étape cruciale et charnière traversée par l’Algérie dans sa quête de développement», est-il rappelé. Et s’ouvre ainsi une voie royale pour une autre envolée, en l’honneur du président de la République cette fois, lui dont « le programme de développement (…) s’en inspire (de Novembre), lui, cet homme de Novembre qui s’était engagé solennellement devant le peuple pour construire une Algérie forte et prospère, une Algérie unie et stable, ouverte sur la modernité, une Algérie comme en ont rêvé les Martyrs de sa Glorieuse Révolution».
Et de dresser un tableau merveilleux de l’Algérie d’aujourd’hui sous l’ère Bouteflika. «Le gourbi de sinistre mémoire, ce symbole de la nuit coloniale n’existe plus. Le Rif resplendit, des dizaines de milliers de logements ont poussé, équipés de toutes les commodités. Des routes ont remplacé les sentiers de mule, des structures sanitaires, éducatives, culturelles et sportives y ont été injectées. Des structures satellitaires en aval desquelles se trouvent routes et autoroutes, polycliniques et hôpitaux, universités et écoles supérieures».
Ajoutons, pour compléter cette description mirifique, que la jeunesse vit sereinement le temps bénit du plein emploi et que les "haragas" n’ont jamais existé, que les soins de santé sont à la portée de tous les Algériens, tout autant que le logement, que le filet social réduit les risques de paupérisation, que le système éducatif est au top, soigneusement protégé de l’intégrisme religieux, avec un corps enseignant comblé d’estime et correctement rémunéré, que l’économie n’est pas rongée par la corruption de bas en haut, que l’expression démocratique est devenue une règle d’or qui rythme la vie de toutes les institutions, que la presse savoure une liberté chèrement acquise… Bref, que Novembre 54 n’est pas un «fleuve détourné ». Et que les martyrs ne se retournent pas dans leurs tombes à chaque commémoration.