Opinion: Algérie- Égypte, histoire d’une occasion de but raté ?
Jamais depuis l’indépendance le peuple algérien n’a été aussi solidaire dans le soutien à une cause nationale ni aussi uni dans une vindicte populaire. Cette dernière n’a pas été dirigé contre des membres du gouvernement ni encore moins contre des terroristes, mais principalement contre l’opérateur de téléphonie égyptien (Djezzy) implanté en Algérie. Les attaques contre les locaux de cet opérateur ont commencé avec le caillassage du bus de l’équipe nationale algérienne en Égypte avant la rencontre qui les a opposé à l’équipe nationale d’Égypte, le 14 novembre 2009 comptant pour les éliminatoires de la coupe du monde 2010.
Pour comprendre ce mécanisme, il faut aller chercher dans l’irrationnel et dans les écrits du philosophe René Girard. Tout commence avec le mimétisme ou l’imitation du désir de l’autre: « Je désire cet objet non pas spontanément, mais parce qu’un autre à côté de moi le désir…Je m’approche donc de cet objet en même temps que mon médiateur se rapproche de moi. Il devient alors mon modèle, au point que je finis par oublier totalement l’objet que je croyais désirer au départ. Comme toute action est réciproque mon rival vit le même drame….Il se met à désirer à nouveau cet objet, que l’absence de rival lui avait fait oublier… ».
Quand cette rivalité atteint le paroxysme nous détournons la violence contre un bouc émissaire réprouvé par tout le monde et qui servira d’exutoire à la violence de ce mimétisme. Cette situation est celle qu’ont vécu l’Algérie et l’Egypte au cours de leur confrontation footballistique, puisqu’il n’existait qu’un seul ticket pour la coupe du monde et que le rapprochement des deux acteurs, déjà très proche l’un de l’autre culturellement, a fait oublier aux populations l’objet de cette rencontre de football.
L’imitation du désir de l’autre s’est donc transformé en rivalité, et plus ils ont essayé de se chercher une différence, plus le mimétisme s’est accentué jusqu'à lynchage d’un bouc émissaire (personnes, bus, drapeaux...). Il faut faire remarquer ici que la foule ne peut pas échapper à sa propre violence qu’à travers des représentations persécutrices qui ne sont autre que les symptômes d’une crise mimétique.
Les foules des deux nations se sont donc crées des « mensonges » qu’ils pensaient être vrais pour justifier une violence collective. Avec la lapidation des locaux de la compagnie de télécom égyptienne en Algérie(Djezzy), la foule s’est apaisée, canalisant toutes les pulsions violentes sur cet objet. Toutefois, une autre victime émissaire aurait pu être imaginée, l’idéologie islamiste. Comme il est possible de lire dans beaucoup de forums algériens, les Égyptiens sont accusés par une large partie de la population d’être le «cheval de Troie » des islamistes en Algérie, ce qui est bien entendu faux.
Cette représentation s’explique par l’assimilation de la langue arabe enseignée par Égyptiens durant les années 1970 dans les villes algériennes à la montée de l’islamisme, mais pas seulement. L’image de Hassan Al-Bana (1906-1949) le fondateur des frères musulmans égyptien est elle aussi superposé à cette représentation.
La crise mimétique qui a eu lieu pendant ce match aurait pu donc avoir comme bouc émissaire l’idéologie de l’islamisme radical (salafisme) et non la compagnie égyptienne de télécom Djezzy. Bien entendu, la foule ne peut se « défouler » sur des personnes qui pourraient se venger, mais pointer du doigt leur idéologie tout en faisant d’un autre objet l’exutoire, pourrait érafler la légitimité de ce dogme auprès de la population. Il est évident que cette représentation est fausse, mais elle reste vraie du moment que la foule le pense.
Certes, cette situation peut mener à une stigmatisions, voir à la xénophobie, ou à la consolidation des mouvements berbères extrémistes, mais il pourrait aussi porter un coup, petit soit-il, à la base idéologique des derniers groupes terroristes. La crise mimétique était là, il aurait fallu peut être mieux l’encadrer ?