"31, rue de la République"(1), un livre métis
31, rue de la République: un tel titre pour ce texte autobiographique est comme un clin d’œil adressé à tous les lecteurs qui se sentent, réellement ou intellectuellement, appartenir à une sorte d'identité complexe et problématique de l’entre-deux rives.
Il décline une adresse postale qui paraîtra familière à bon nombre d'entre nous. En effet, quelle ville de France n’a-t-elle pas une «rue de la République»?
Instinctivement donc, avant même d’entamer la lecture de ce livre, chacun pensera à sa rue de la République , voire, par économie de langage, à sa République, la particularité étant ici l’incontournable majuscule érigeant en nom propre un nom commun ô combien idéalisé.
On voit d'ores et déjà la construction du sens à l’œuvre dans ce titre qui, par un jeu presque purement formel de la langue et de la graphie, annonce l’intrusion de la diversité dans l’unité.
Un nom propre n’est-il pas à la fois général et particulier, collectif et individuel, singulier et pluriel ?
Et, comme pour faire écho à ce titre, l’auteur nous délivre, en guise d’exergue, un petit poème intitulé : « République ».
Ce poème est, lui aussi, une adresse. Non pas au sens propre d’indication d’un lieu précis, mais au sens figuré d’une déclaration faite à un interlocuteur réel ou fictif . En l’occurrence, ici, il s’agit d’une interlocutrice : la République personnifiée.
L’articulation du poème s’effectue par des repères temporels qui comptent dans le vécu de l’auteur.
Ainsi le poème s’ouvre sur un « Très tôt j’ai prononcé ton nom / sans en connaître la signification » qui évoque cette période d’enfance où les mots sont avant tout une question de prononciation.
Puis il se centre sur un «Maintenant je sais qui tu es, je sais d’où je suis» qui sanctionne une phase d’apprentissage avec l’acquis d’un savoir existentiel où la connaissance de soi-même va de pair avec celle de la République.
Enfin il se conclut sur l’affirmation d’une permanence de la République avec cette note finale : «Ma rue, ma voie, mes premiers pas, depuis toujours tu étais là ».
Ainsi ce petit "poème-exergue" délivre aux lecteurs les principales caractéristiques qu’ils retrouveront en filigrane tout au long du récit autobiographique de Abderrhamane Boufraïne : un récit de vie individuel, en corrélation très étroite avec une vision collective indissociable de la pluralité des parcours. Et dans lequel la conscience des origines de chacun est indispensable à la configuration des identités collectives tant elle contribue fondamentalement à leur vitalité.
Il nous dit aussi toute la convivialité d’un récit qui dans son titre même affiche cette adresse à noter comme pour répondre à une invitation à franchir le seuil d’un maison familiale où la vie, bien que loin d'être toujours facile, est nombreuse, foisonnante et surtout hospitalière et amicale.
Et c'est là une dimension essentielle dont ce récit de vie est l'illustration.
Ponctué de très belles photos souvenirs, il concrétise le travail commun de deux amis, Abderrhamane Boufraïne et Vincent Migeat, qui lui donnent son esthétique textuelle et iconographique.
Ainsi, tous deux ensemble, ils en font, selon la formule d’Edgar Morin (qui le préface),un «beau livre lui-même métis puisque fruit de la collaboration et de l’amitié du Corse –Ardéchois et du Maghrébin, également français l’un et l’autre »…
(1) ABDERRHAMANE BOUFRAÏNE et VINCENT MIGEAT: 31, rue de la République, Editions Actes sud, 2009 (Préface d' Edgar Morin)