sfy39587stp17
Aller au contenu principal

Kamilya Jubran : Une voix de Palestine

Chanteuse et compositrice palestinienne, Kamilya Jubran, vient d'éditer un nouvel album intitulé Makan (lieu) ; un titre qui fait écho à l'exil, cet ennemi intime qui habite son peuple depuis la Nakba (la Catastrophe) de 1948. Elle y chante neuf poèmes.

Ce n'est pas sans émotion, ni sans plaisir que l'on écoute une voix tantôt chaude, tantôt douce, tantôt vibrante, accompagnée de luth, déclamer : « J'ai une route qui ne mène nulle part / J'ai un lieu qui est ma mélodie / C'est pourquoi je parcours le monde et je chante», dans un extrait de Makan, un poème du Palestinien Salman Massalha ; ou bien : « Tu est venue à moi en portant le monde dans tes yeux / Et quand la chambre s'est refroidie, je me suis glissé avec toi dans la chaleur de la balançoire », extrait du poème "Orjouha" (Balançoire), du Marocain Hassan Najmi.

L'auditeur écoutera avec une émotion et un plaisir intactes d'autres paroles que Jubran a mis en musique tels que Suwar (photographies), Lafz (mot) et Samt (Silence) de Massalha ; Yaday (Mes Mains) et Rafif (Bruissement) de Najmi ; Quawafel (Caravanes) de l'Irakien, Fadhil Al-Azzawi ; et Nabd (Souffle), du Sénégalais Birago Diop.

D'autres poèmes chantés figurent dans ce répertoire, tels ceux de son compatriote, Hussein Barghouti (décédé en 2003), du Libanais Paul Shaoul, de la Syrienne Aïcha Arnaout, de la Jordanienne Sausan Darwasa, cinéaste et écrivaine...

Notre chanteuse est née en 1963, à Akka, ex-Saint-Jean d'Acre, et a grandi à Rame, près de Haïfa. Son père était ouvrier et mélomane. Un jour, il se fabriqua son propre oud (luth), et devint luthier. Il donnait également chez lui des cours de musique et de chant arabes aux enfants du village, avec lesquels il se produisait dans les mariages et les autres fêtes familiales de la région. C'est avec eux que notre artiste apprit les bases de son futur métier. Elle s'était mise ensuite d'elle-même à jouer du oud et du qanoun (cithare).

Elle a été aussi fortement imprégnée par les chansons de Mohamed Abdel Wahab, Zakarya Ahmed, Riadh Sombati, Oum Kaltoum, ainsi que des chanteurs des pays voisins : la Syrie, le Liban, la Jordanie, l'Iran et la Turquie, qu'elle écoutait à la radio égyptienne Sawt El-Arabe (la Voix des Arabes).

Issue d'une famille orthodoxe grecque, elle a été également bercée par les cantiques à l'église du village, ainsi que par les récitations du Coran de son environnement culturel islamique. Dans les années 1970, elle découvre la chanson arabe engagée à travers le Libanais Marcel Khelifa, l'Egyptien Cheikh Imam, l'Irakien Khaked Al-Haber, ou encore Ahmed Kaabour...

A 15 ans, elle s'éveille à la politique et découvre sa vocation : devenir chanteuse des causes nobles. Elle voulait pour cette raison parfaire d'abord sa formation musicale. Mais à l'époque, il n'existait pas de conservatoire de musique arabe en Israël. Elle ne pouvait pas, non plus, étant donné sa nationalité israélienne, l'étudier dans un pays arabe, sauf en Egypte et en Jordanie. Pourtant, Kamilya Jubran déclare volontiers : « J'ai le cœur palestinien, mais je suis israélienne de naissance. »

Voici le temps des colombes

En 1982, alors âgée de 19 ans, elle fit une rencontre capitale pendant ses études d'assistante sociale à Jérusalem : celle de Sabreen (les Patients), un groupe de rock arabe. Cette alliance dura près d'une vingtaine d'années. Elle quittera le groupe en 2002, pour d'autres expériences. En tant que chanteuse, elle y avait introduit des poèmes de Mahmoud Darwich, de Fadwa Touqan... Pour contourner les tracasseries de la censure, et même la répression, qui peuvent entraîner l'interdiction pure et simple d'exercer, voire l'emprisonnement, elle et ses camarades expurgeaient leurs textes de mots tels que «pierres», « soldats », « guerre », etc.

Cela ne les empêche nullement d'aborder les thèmes relatifs aux droits de l'homme, à la justice sociale, à la liberté d'expression, à la dépossession de leur patrie et à la paix. C'est ainsi que les accords d'Oslo de 1993, et le grand espoir qu'ils avaient soulevé, leur inspirèrent, l'année suivante, l'édition d'un album intitulé : Voici le temps des colombes.

Athée, elle n'aime ni les intégristes, ni les extrémistes. C'est pourquoi elle a le cœur gros, après l'élection de l'extrême droite en Israël, comme elle l'a eu lors de la victoire des islamistes du Hamas, en 2006, dans les Territoires de l'Autorité palestinienne.

Elle s'installe en 2002 à Berne (Suisse), initialement pour une résidence artistique de deux mois. Elle a collaboré à deux projets, mariant musique orientale et sons électroacoustiques. Il s'agit de Mahattat (Stations), un spectacle visuel et sonore, en collaboration avec Werner Hasler et le vidéaste Michael Spahr ; et d'un CD de musique intitulé Wamid (Lueur) avec Hasler.

Désormais à Paris, ne se sent-elle pas dépaysée en Europe ? « Mais j'étais aussi étrangère à Jérusalem ! » En Europe, elle se sent comme « sortie de la cage ». « Ici, je suis libre de penser, de circuler, de partager tout ce qui fait défaut dans un pays comme le mien. Je me sens comme quelqu'un qui sortirait de prison et découvrirait ce qui lui a manqué, sans même qu'il s'en rende compte, tellement il était enfermé : le manque de rencontres culturelles, de croisements artistiques, de métissage. » De plus, elle peut rencontrer de nombreux artistes et intellectuels arabes dans la capitale parisienne ; mais n'oublie pas pour autant ses coéquipiers suisses, car elle se rend régulièrement à Berne.

Hakim Arabdiou

 

Video

sfy39587stp16