KIOSQUE ARABE: Comme c'est dur d'être logique!
Les Israéliens ont un vrai multipartisme. Toutes les formations politiques, en lice pour la conquête du pouvoir, travaillent à un même objectif : rendre Israël plus fort et, si possible, plus grand. Gagner du temps et de l’espace, c’est le slogan non proclamé commun à toutes les formations. Il y a juste quelques divergences sur les méthodes et la chronologie des actions à entreprendre pour réaliser le rêve de «Eretz Israël».
On sait maintenant que les Arabes ont désormais renoncé au projet cher à Choukeïri de «rejeter les Juifs à la mer». Ils se sont même arrangés, au fil des conflits, pour élargir les frontières territoriales de l’Etat sioniste. Par contre, Israël ne s’est jamais engagé à ne pas lorgner vers les eaux du Nil et de l’Euphrate, par-delà les rives du Litani et du Jourdain.
En face, les choses sont beaucoup plus simples : il n’y a pas d’objectif commun ni de stratégie commune. Les armes se sont provisoirement tues à Ghaza après trois semaines de «combats acharnés» entre des défenseurs virtuels et des assaillants bien visibles et d’un réalisme mortel.
Le Hamas reprend le sceptre de la souveraineté en «nationalisant» les camions de ravitaillement de l’UNRWA. Le Hamas est fier de ses pertes légères face aux soldats israéliens : il n’a eu que 48 tués, pardon «martyrs». Toujours fidèle à ses habitudes, le Hamas ne demande pas leur avis aux habitants de Ghaza lorsqu’il lance ses pétards mouillés sur Israël.
Le parti intégriste aurait cependant ses «colombes», à en croire les analystes arabes. Ce sont eux qui mèneraient actuellement les négociations du Caire pour la consolidation du cessez-le-feu et l’imposition d’une trêve. En l’absence de stratégie fiable et viable, le parti intégriste fait la politique de ses moyens.
Il participe activement à la duplication du monde arabe en deux blocs, forcément antagoniques. Il est dans son rôle lorsqu’il propose la création d’une entité palestinienne, représentative du nouveau rapport de force, une OLP bis, fatalement opposée à l’OLP historique siégeant à Ramallah.
Pendant ce temps, les alliés respectifs des deux factions palestiniennes fourbissent leurs armes.
La direction damascène du Hamas, conduite par Khaled Machaal, se concerte avec Ahmadinedjad, le prochain secrétaire général adjoint de la Ligue arabe (1).
Branle-bas de combat aussi au Qatar où l’on se prépare à convoquer une conférence pour la reconstruction de Ghaza. Une façon de torpiller le projet que l’Egypte envisage après les négociations indirectes de sécurité entre le Hamas et Israël.
Ce que les va-t-en-guerre arabes ne peuvent admettre, c’est que l’Egypte, frontalière de Ghaza, ne peut pas encourager l’irrédentisme du Hamas. Même s’ils le voulaient, les dirigeants égyptiens ne seraient pas en mesure de mener une guerre contre Israël. Et c’est ce qu’on leur demande de faire, même au prix de la destruction de l’Egypte.
D’où l’intensité de la campagne menée actuellement par le camp irano-syrien, via certains dirigeants du Hamas et du Hezbollah libanais. Le parti des ayatollahs qui a regardé Ghaza brûler sans frémir, lance des attaques d’une rare violence contre Le Caire. Il est heureux que l’Egypte n’ait pas de frontières communes avec le Hezbollah, sans quoi les fusées iraniennes auraient trouvé une cible facile.
C’est ce qu’a dû penser vendredi dernier le rédacteur en chef d’ Al-Ahram, Oussama Sarraya, en lançant une nouvelle diatribe contre Hassan Nasrallah.
Selon l’éditorialiste du quotidien gouvernemental égyptien, le Hezbollah serait plus ou moins complice de l’assassinat de Rafik Hariri, le Premier ministre libanais, il y a quatre ans à Beyrouth. L’attentat à l’explosif perpétré contre Hariri n’aurait jamais pu avoir lieu à l’insu du parti de Nasrallah, voire sans sa contribution.
Après avoir détruit le Liban, à l’instigation de son protecteur iranien, le Hezbollah a joué les boutefeux à Ghaza. Il a sciemment poussé les militants du Hamas à ne pas reconduire la trêve et à lancer des obus sur Israël.
Il est clair pour tous, également, que les Iraniens ont exécuté un autre complot contre l’Irak occupé, pour se venger de leur défaite militaire, ajoute Al-Ahram. Aujourd’hui l’Iran s’attache à détruire la cohésion arabe et à accentuer les divisions, après avoir entraîné la Syrie dans son axe.
Le régime des ayatollahs fait donc le forcing pour isoler l’Egypte et l’empêcher de jouer les premiers rôles dans la région.
Or, conclut avec justesse Oussama Sarraya, personne ne peut contester le rôle stratégique et dirigeant de l’Egypte et personne ne peut se substituer à l’Egypte comme avant-garde du monde arabe (2). Il n’y a que l’Iran qui persiste à vouloir combattre Israël jusqu’au dernier souffle arabe, comme le résume la presse du Caire.
L’Egypte dans un rôle de leader, c’est ainsi que les Frères musulmans voient aussi leur pays mais dans une optique différente. Eux voient l’Egypte, «Oum Eddounia», comme la matrice du futur khalifat islamique qui étendrait ses ramifications au-delà de Poitiers.
Le comportement des Frères musulmans pendant les évènements de Ghaza est stigmatisé par l’hebdomadaire Rose-al-Youssef qui dénonce leur opportunisme. «Nous savons qu’ils sont experts dans l’art de la surenchère, note le journal. Ils l’ont encore démontré en ameutant la rue et en mobilisant les foules pour montrer leur force et leur influence. Pour eux, les victimes du phosphore blanc des Israéliens doivent leurs malheurs uniquement à la faiblesse de leur foi».
Autrement dit, seul un gouvernement dirigé par les Frères musulmans, épée de Dieu sur terre, pourra donner la victoire face à Israël. Une logique irréfutable pour ceux qui ont fait profession de rejeter la logique, considérée comme voie d’accès direct à l’athéisme.
Le philosophe Mourad Wahba résume dans le quotidien Al-Misri-alyoum combien il est dur d’être logique dans le monde arabe.
En 1997, raconte-t-il, une délégation d’intellectuels égyptiens s’est rendue en Israël pour y rencontrer des dirigeants palestiniens de l’intérieur. L’objectif de ce voyage était d’examiner avec eux les moyens de renforcer le processus de paix. A Al- Quds, la délégation a rencontré Fayçal Alhusseini, président de la Maison de l’Orient. A la fin de l’entretien, nous avons interrogé Al-Husseini : «Voulez-vous qu’on revienne vous voir une autre fois ?» Al-Husseini a répondu : «Revenez et ramenez mille autres avec vous !»
A son retour au Caire, la délégation a été attaquée et condamnée en tant que groupe qui s’est mis au ban de la nation, rappelle Mourad Wahba.
Et c’est là qu’apparaît toute la contradiction : le principal concerné et militant de la cause aurait voulu que la délégation le soutienne encore.
En même temps, le groupe d’intellectuels est critiqué par des gens extérieurs et auxquels s’applique le célèbre axiome d’Ibn Taymia : «Celui qui choisit d’être logique opte pour la mécréance» («Man tamantaqa tazandaqa »). Ce n’est pas un hasard si Ibn Taymia est aujourd’hui le directeur de conscience des «élites» musulmanes fanatisées.
A.H. (http://www.lesoirdalgerie.com/ )
1) Etant entendu que le secrétaire général en titre ne serait autre que le Premier ministre turc Erdogan, porté aux nues et adulé par les foules arabes depuis qu’il a claqué la porte de Davos.
2) Lire à ce sujet la nouvelle de Ala Aswany : J’aurais voulu être un Egyptien , qui raconte les Egyptiens dans leurs turpitudes et leurs misères quotidiennes. On peut effectivement envier les Egyptiens d’avoir des écrivains de cette trempe à chaque génération. Ce n’est pas comme nous qui traînons au poteau d’exécution le moindre auteur accédant à l’universalité.