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Soudan : un massacre sous écran noir

Depuis la prise d’El-Fasher par les Forces de soutien rapide (FSR) – dernier bastion de l’armée soudanaise dans le Darfour – la région s’enfonce dans une séquence de violence que les acteurs humanitaires décrivent déjà comme la pire depuis le début de la guerre en avril 2023.

Les récits qui filtrent depuis Tawila ou le camp de Zamzam parlent de colonnes de familles fuyant à pied, de perquisitions maison par maison, d’hommes exécutés parce qu’ils sont massalit, de femmes emmenées vers des lieux de détention inconnus. L’ONU évoque des «atrocités à grande échelle » et des « risques imminents de crimes contre l’humanité », tandis que les organisations de défense des droits humains rappellent que ces milices sont les héritières directes des djandjawid des années 2000.

Le paradoxe est brutal : on parle ici de dizaines de milliers de personnes déplacées en quelques jours, d’une capitale régionale tombée après dix-huit mois de siège, d’exécutions à caractère ethnique, et pourtant la machine internationale reste à peine tiède. Les ONG – Médecins sans frontières, Human Rights Watch, quelques réseaux soudanais – sonnent l’alarme depuis des mois, mais leurs appels sont presque entièrement ignorés. Ce drame se déroule dans un silence que l’on peut qualifier de honteux : ni les grandes chaînes, ni la plupart des capitales ne traitent cette offensive comme l’événement majeur qu’elle est.

Un siège annoncé, une tragédie confirmée

Pendant un an et demi, El-Fasher a vécu encerclée, ravitaillée au compte-gouttes, avec des hôpitaux épuisés et des humanitaires qui répétaient la même phrase : si la ville tombe, les civils paieront. La ville est tombée, et les civils paient. Les FSR ont pris les quartiers administratifs, se sont emparées des points d’eau, puis ont lancé des rafles dans les zones massalit – un scénario qui rappelle les massacres d’El-Geneina en 2023, quand les mêmes groupes avaient tué et chassé des milliers de personnes sur des bases ethniques. Les rapports onusiens, les analyses de France 24 et d’Al Jazeera, comme les alertes d’ONG locales, décrivent la même mécanique : contrôle militaire, pillage, détentions arbitraires, disparitions, puis « nettoyage » du quartier.

La chute d’El-Fasher n’est pas un épisode isolé : elle achève de couper l’ouest du pays du reste du Soudan et rend crédible l’hypothèse d’une partition de fait, avec un Darfour sous mainmise des FSR et un pouvoir central affaibli à l’est. Plusieurs chancelleries le savent, les images satellites existent, les rapports circulent : il est difficile de plaider l’ignorance. Pourtant aucune force africaine ou arabe n’est déployée, aucun mandat robuste de protection des civils n’est sur la table, et Khartoum comme les FSR continuent de recevoir des soutiens extérieurs.

 Le silence des puissants

Ce qui frappe le plus, c’est l’écart entre la gravité des faits et la pauvreté des réactions. L’Allemagne, le Royaume-Uni et la Jordanie ont bien appelé le 1er novembre à un cessez-le-feu « immédiat ». Mais sans menace de sanctions, sans relance de la MINUAD disparue trop vite, sans pont aérien humanitaire, cela ressemble à un geste de communication plus qu’à une stratégie de protection. L’Union africaine aligne les communiqués, la Ligue arabe évite de nommer les parrains régionaux, le Conseil de sécurité reste paralysé. Dans cet espace vide, seules les ONG parlent haut – et ne sont pas entendues.

Il faut le dire sans fard : dans le monde médiatique contemporain, les caméras se tournent plus volontiers vers les frasques judiciaires de Donald Trump que vers une tragédie africaine de masse. Ce n’est pas seulement une question de distance géographique, c’est une hiérarchie assumée de l’émotion publique. Le Darfour ne menace pas les marchés, ne bloque pas les routes énergétiques européennes, ne bouscule pas l’élection américaine : on l’efface. Vingt ans après la première vague de crimes dans la région, les mêmes communautés – au premier rang desquelles les Massalit – sont de nouveau prises pour cible, mais cette fois dans un quasi-silence international. C’est ce silence qui rend l’actuelle séquence si dangereuse : un massacre qu’on ne raconte pas est un massacre que l’on autorise.

Sortir de cette impunité suppose au minimum quatre gestes : un embargo strict sur les armes vers les deux camps ; la sécurisation immédiate de couloirs humanitaires vers le nord du Darfour ; la saisine active de la Cour pénale internationale sur les nouveaux crimes documentés ; et, surtout, une couverture médiatique continue qui maintienne la pression. Tant que ces conditions ne seront pas réunies, les FSR comme l’armée soudanaise pourront continuer à faire payer la population pour une guerre qui n’est pas la sienne.

Sources: AP News, Reuters, Human Rights Watch+1, Al Jazeera, France 24, The Guardian, IRIS

 

 

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