Tunisie: Festival International du Film Amateur de Kélibia
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C'est après cinq jours de projection des films de la compétition nationale et internationale du Festival International du Film Amateur de Kélibia, ((FIFAK - TUNISIE du 25 au 31 Août 2013. ) que le palmarès a été enfin révélé.
Deux enfants et l’école
L’Iran et la Jordanie se sont distingués pendant la soirée du mercredi, grâce à deux fictions : «La grenade fruit du paradis» de Taymour Ghadini et «La nuit à l’extérieur» de Darine Salam. Toutes deux mettent en scène des enfants dans deux cadres spatio-temporels différents, où les histoires ont en commun le règne des adultes sur les vies et envies des enfants. «La grenade fruit du paradis» relate avec une grande sensibilité comment dans la montagne un petit garçon use de mille ruses pour aider son amie dont la mère lui interdit de continuer d’aller à l’école.
L’auteur livre une magnifique métaphore de l’amour interdit. Basé sur un scénario iranien, «La nuit à l'extérieur» place son personnage central, une petite fille, dans l’univers impitoyable d’une école où il est difficile de jouer, de vivre comme une enfant, bref, un pays où l’être humain ne peut s'épanouir.
Quant à la section nationale, elle se distinguait par deux productions: «Le mur vous demande : ça va ?» de Ahmed Hermassi et «V» de Farès Ben Khelifa du club Ftca d’Hammam-Lif.
Dans «Le mur vous demande : ça va ?», l’image fixe d’un mur empli de toutes sortes de tags et d’écritures, plusieurs fois peint et repeint, témoigne de l’ébullition politique et sociale du pays juste après la révolution et jusqu’aux élections de l’Assemblée constituante, concentrée en trois minutes.
Dans le deuxième, le réalisateur résume avec beaucoup d’humour, en 2 minutes et 25 secondes, sa perception du vrai sens du militantisme.
Dans la soirée du jeudi, nous retiendrons la fiction française «J’mange pas le porc» de Akim Isker et Med Belahmer pour la force de son scénario et ses dialogues bien ficelés, reflétant la crise identitaire d’un jeune maghrébin en France, dont «l’intégration» semble être une dure épreuve.
«Le fils de l’Homme» de la Tunisienne Sabrine Naes (Institut supérieur des arts multimédias de La Manouba) place la barre de la compétition nationale très haut. Cette fiction de 10 minutes, filmée en noir et blanc, révèle un excellent sens du cadre et une écriture pleine de maturité. Pourtant, le synopsis annonce sans prétentions «un enfant dans différents cadres naturels et architecturaux». Un tel film aurait facilement trouvé sa place dans la compétition internationale.
Le genre documentaire tunisien a, pour sa part, attiré l’attention pendant la projection de la soirée du vendredi avec «Au pays des mères vieilles» où Wissem Rebah (club d’Hammam-Lif de la Ftca) parle de l’identité berbère à travers la tradition des tatouages, symboles d’un héritage qui tend à disparaître. Ce film a eu la chance d’intégrer la compétition internationale.
Dans la section nationale, il y a eu «La place des déshérités» de Alaeddine Abdallah qui rend hommage à la place Barcelone de Tunis à travers les personnages d'un chauffeur de taxi collectif et des travailleurs qui y passent tous les jours. Ce film se distingue par sa qualité technique et son rythme, mais aussi par son propos humaniste, loin du discours moralisateur.
La résistance face à la censure
Le thème «Cinéma de résistance face à la censure» a fait l’objet d’une projection, mercredi soir, du documentaire algérien «Demande à ton ombre» de Lamine Ammar-Khodja, suivie le lendemain d’une rencontre où sont intervenus le cinéaste tunisien Walid Tayaâ et le cinéaste palestinien Taoufik Abou Wael.
De retour en Algérie après 8 ans passés en France, Lamine Ammar-Khodja arrive en plein dans les manifestations populaires de janvier 2011. Il raconte ses chroniques pendant trois mois et livre un film de 82 minutes extrêmement riches de sa propre culture et de la culture de son pays. Ce qui semble être une tentative de comprendre la situation est, en fait, une autopsie et un diagnostic de la complexité d’un pays comme l’Algérie, avec des va-etvient entre ce qui s’y passe, ce qui a du mal à s'y passer, et les échos des événements de Tunisie et d’Egypte.
Son film est un véritable produit fait maison, réalisé avec une petite caméra, et des moyens rudimentaires. Il présente une histoire et une sensibilité personnelles. «Demande à ton ombre» révèle cette zone d’obscurité formée avec l’interception de la lumière par un corps et qui cache la peur, les non-dits et l’autocensure. C’est là une forme de censure dont les intervenants de la rencontre sur le cinéma de
résistance ont parlé en présence du critique de cinéma Naceur Sardi comme modérateur.
Le Palestinien Tawfik Abou Wael, auteur de «Atach» ("soif", sorti en 2004) et «Tanathur» (Eparpillement, sorti en 2011), a brièvement évoqué les difficultés financières et logistiques de faire un film sous l’occupation, mais aussi et surtout de l’absence de salles de cinéma dans les territoires palestiniens, ce qui constitue une censure en amont, qui empêche une industrie de films palestiniens de se développer et d’accéder au public. Le cinéaste a déploré également la perte de la mémoire écrite et audiovisuelle palestinienne depuis qu'Israël s’est accaparé du contenu de la Bibliothèque nationale ainsi que l'absence d' institution pour prendre en charge la sauvegarde du patrimoine filmique palestinien.
Cinéma et dictature
Déjouer la censure en Tunisie du temps de Ben Ali n’a pas été chose facile pour les différentes expressions artistiques, mais le cinéma y a beaucoup contribué, comme l’a affirmé Walid Tayaâ dans son intervention. Evoquant les reproches adressés aux cinéastes d’être loin des soucis de la société et de ne pas avoir contribué au ras le bol qui a mené à la révolution, l’intervenant a prouvé le contraire en se basant sur une série de courts-métrages réalisés par les jeunes pendant les 10 dernières années. Sans trop de propos et principalement par l’image, ces films parlent de l’étouffement qui régnait sur une
société sous la dictature. Sarra Laâbidi, dans «Rendez-vous», filme la police en hors champ. D’autres courts-métrages, comme «Le stade» de Alaeddine Slim et «Condamnations» de Walid Mattar, mettent en scène un paysage urbain glauque, triste et sale, où les gens sont marqués par un sentiment qui dépasse la tristesse et qui est une sorte d’aliénation au quotidien.
Aujourd’hui, la situation a changé. Les artistes ne sont plus face à une censure politique mais les libertés sont en train de se redéfinir. La censure peut, désormais, provenir de soi ou de la société,comme l’explique Naceur Sardi, qui considère cette étape comme transitoire, où les artistes doivent prendre leurs responsabilités. «C’est à eux de créer l’état des choses et non de le subir», a-t-il précisé.
Entre artistes et citoyens, un équilibre est à trouver. Le chemin passe forcément par le cinéma !