Les mots de Thierry Hainaut, cet agent de la CPAM mort à cause de sa souffrance au travail
Par nicolas éthèvePublié le
« Je m'appelais Thierry Hainaut, et j'aurais eu 52 ans le 31 mai 2012 ». C'est ainsi que se termine, tout en finesse, la lettre de Thierry Hainaut, cet employé de la CPAM (Caisse Primaire d'Assurance Maladie) qui a décidé de se pendre le 29 février dernier sur son lieu de travail, à Béziers (Hérault) où les obsèques religieuses se dérouleront, aujourd'hui, à 14h30, en l'église Sainte-Madeleine.
Retrouvé mort, Thierry Hainaut avait adressé juste avant un courriel à plusieurs destinataires dont Midi Libre, qui a publié ici, dans ses grandes lignes, ce texte sans ambiguïté quant aux raisons de ce nouveau suicide opéré sur un lieu de travail.
« J'ai tenu à vous informer de mon geste, car il est la conséquence directe de l'enfer psychologique que je vis au quotidien depuis 2 ans, que j'ai pourtant essayé de surmonter, de toutes mes forces, pour mon épouse et mes enfants, mais qu'aujourd'hui je n'arrive plus à assumer, y explique notamment Thierry Hainaut. Certes, en mettant fin ce soir à mes tortures et angoisses de chaque jour, je règle mon problème. Mais il était de mon devoir de faire en sorte que cela puisse servir (peut-être …) à toutes celles et à tous ceux qui pourraient être dans ma situation, pour leur éviter d'en arriver là où je suis. C'est la raison de ce message. Ma vie professionnelle m'a beaucoup gâté. Ayant commencé à travailler à la CPAM de Béziers en 1980 comme fichiste, j'ai eu la chance de pouvoir montrer que j'étais capable de faire des choses a priori intéressantes, puisque j'ai gravi un à un les échelons jusqu'au poste de cadre niveau 9 au bout de 29 ans de carrière.
« Je ne peux plus supporter qu'on me laisse crever »
Et puis il y a eu cette fusion des CPAM de Béziers et de Montpellier, qui a fait que depuis deux ans, je me traîne misérablement dans ce qu'on appelle communément un "placard". Je ne peux plus supporter qu'on me laisse crever lentement sans même avoir pris la peine d'écouter mes appels au secours ni de m'expliquer pourquoi ».
Dans la suite de son courrier, Thierry Hainaut poursuit la liste de ses griefs dirigés directement contre la direction de la CPAM qu'il accuse de l'avoir « laissé pourrir en ne [lui] confiant que quelques très rares tâches qui auraient pu être prises en charge par des cadres de "premier niveau" ».
« J'ai été : tué professionnellement, détruit psychologiquement, poursuit Thierry Hainaut dans cette lettre posthume. Je croyais que le management consistait à travailler ensemble, en bonne intelligence, à déléguer, écouter, réunir, fédérer et valoriser les compétences de chacun. (…) J'ai essayé de tenir bon, mais jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, c'était devenu vraiment trop dur, et je vois bien que je n'arrive plus à donner le change, au travail, et dans ma famille. Je demande pardon à celles et ceux à qui je vais faire de la peine, et à qui je manquerai, au moins un peu. (…) Je pars sans haine vis-à-vis de qui que ce soit. J'ai seulement d'immenses regrets pour mon épouse et mes enfants de les abandonner. Je crois qu'ils avaient encore besoin de moi. Puissent-ils un jour me pardonner… Je vous les confie, à vous, celles et ceux qui m'ont apprécié seulement pour ce que je pense avoir été : un homme droit, honnête et sincère, avec tous mes défauts et mes quelques qualités, mais avec des convictions, certes pas toujours dans le "politiquement correct", mais qui était capable de les assumer sans avoir à baisser les yeux ».
Les masques tombent sous le choc
Depuis cet acte terrible et cette lettre sans équivoque, les masques tombent, sous le choc. Et tout le monde s’interroge, face à ce nouveau cas de suicide au travail qui fait suite, dans cette même ville héraultaise de Béziers à celui de l'enseignante Lise Bonnafous. Claude Humbert, le directeur de la CPAM Béziers, en pleure face à un journaliste de Midi Libre qui l’interroge sur sa mise en cause dans le courrier de Thierry Hainaut.
Si Claude Humbert « réfute catégoriquement » l'existence de tout conflit personnel entre eux deux, ainsi que toute mise au placard de Thierry Hainaut, le directeur de la CPAM Béziers reconnaît en tout cas vivre un « échec » : « Nous n’avons pas su lui confier les missions qu’il espérait. Il attendait plus de nous et nous ne l’avons pas vu. C’est un véritable échec pour moi de voir un tel drame. De voir que nous n’avons pas pu l’aider. (…) Un élément nous a échappé alors que nous lui avions fait plusieurs propositions de travail. Nous n’avons pas entendu ses appels au secours. Il espérait un poste que nous n’avons pas su lui donner. Je suis bouleversé et ce n’est pas facile de le cacher (...). Nous n’avons pas su voir la juste mesure de son désespoir. »
Parallèlement, du côté des agents de la CPAM, les langues se délient. Y compris dans Midi Libre (03.03.2012) qui a produit un travail remarquable, ces derniers jours, dans le traitement de ce fait divers d'une grande dimension sociale. Sous couvert d'anonymat, un agent de la CPAM a en effet décidé de témoigner de sa propre expérience, malgré les consignes internes qui intiment les employés au silence : « J’ai été en dépression pendant quatre ans. Sous traitement et suivi par un psy. Tout ça à cause du harcèlement dont j’étais l’objet. Je faisais mon travail du mieux possible, mais on m’accablait de reproches : je n’étais pas assez sévère avec les agents, je ne les surveillais pas assez, je n’étais pas un bon manager. »
« Harcèlement »
Comme Thierry Hainaut, cet agent de la CPAM fustige les conditions de réalisation de la fusion des caisses de Béziers et de Montpellier intervenue en 2010 : « Les services ont fusionné sans préparation. Je connais des collègues auxquels on a dit, une semaine avant, qu’ils allaient devoir s’occuper d’un nouveau service. Ce fut douloureux pour beaucoup. »
Jusqu'à la mort pour Thierry Hainaut ? Sans autre raison, alors que le commun des mortels a souvent tendance à minimiser la portée des suicides sur les lieux de travail en les reliant à d'autres causes (familiales, financières, etc.) qui rentreraient nécessairement en cause avant de tels passages à l'acte ? Tout à fait répond Véronique Benard, psychologue du travail, toujours dans Midi Libre (03.03.2012) : « le travail seul peut conduire à ces situations extrêmes. Le danger serait de renvoyer à une approche multifactorielle de la situation. Parce qu’une dégradation des conditions de travail a des répercussions dans la vie familiale, sur le couple. De même, on évoque fréquemment la fragilité psychologique de ceux qui passent à l’acte. Ce n’est pas un argument. Qui n’a pas de faille et qui peut se croire à l’abri ? »