Algérie. Tebboune avance à petits pas en agitant un drapeau blanc
Par N.TPublié le
Le chef de l’État affiche la volonté d’amorcer des changements pour « une nouvelle Algérie ». Il envoie des signaux à la société civile et ambitionne de rompre avec l’économie de bazar. L’opinion reste indignée par le sort des détenus politiques.
Économie, administration, société… huit mois après son élection à la tête de l’État algérien, Abdelmadjid Tebboune multiplie annonces et décisions. Seul dossier laissé en suspens, point noir de son début de mandat, le sort des détenus d’opinion, dont le journaliste Khaled Drareni, condamné le 10 août dernier à trois ans de prison ferme. Son arrestation et la sévérité du verdict soulèvent l’indignation dans le pays et à l’étranger. Il doit comparaître en appel le 8 septembre prochain. Le comité pour sa libération dénonce « des chefs d’accusation fallacieux d’attroupement non armé et d’atteinte à l’unité nationale ». L’opinion ne désespère pas de voir venir une amnistie de tous les acteurs du Hirak toujours en prison.
En attendant, faute d’entreprendre une rupture radicale avec le système Bouteflika réclamée par le mouvement du 22 février, Tebboune provoque des changements plus ou moins prononcés, plutôt bien reçus dans l’opinion. Première cible du chef de l’État : la société civile. « Je me suis engagé à ne pas créer de formation politique. Il me faut néanmoins un soubassement populaire pour pouvoir appliquer mon programme présidentiel. Je me suis porté candidat à la présidentielle au nom de la société civile et des jeunes », expliquait-il dans une interview accordée au journal français l’Opinion le 13 juillet dernier. Dès lors, quelques signaux sont envoyés dans cette direction. Tebboune procède par petites touches.
L’armée non plus n’échappe pas au nettoyage
Réservé depuis une vingtaine d’années aux hommes du régime et à sa clientèle, le célèbre Club des Pins, site balnéaire légendaire à l’ouest d’Alger, ultrasécurisé, est désormais ouvert au public sans aucune restriction. L’acte symbolique fait mouche. Les enfants nés sous X adoptés peuvent désormais porter le nom de leurs parents adoptifs, le décret instaurant cette mesure faisant grincer des dents les islamistes. Celle-ci est bien reçue dans l’opinion, l’enfance abandonnée atteint un seuil alarmant. La lenteur du débit Internet interpelle le président, il met en demeure le ministre concerné d’y remédier dans des délais record. Idem pour les coupures d’eau fréquentes dans les agglomérations. Dans les deux secteurs, les responsables des entreprises publiques sont limogés dans la foulée.
Un mouvement dans le corps des walis (préfets) écarte en priorité ceux d’entre eux qui ont fait preuve d’arrogance et de mépris à l’égard de citoyens. Les vidéos relatant ces faits font régulièrement le buzz sur les réseaux sociaux. L’armée non plus n’échappe pas à cette campagne de « nettoyage ». Des généraux sont mis à la retraite, certains d’entre eux sont inculpés de corruption. La presse rapporte par ailleurs les enquêtes concernant les affaires délictueuses des deux fils de Gaïd Salah, général de corps d’armée, vice-ministre de la Défense nationale et chef d’état-major décédé, qui poussa Bouteflika vers la sortie et fit encadrer le Hirak jusqu’à l’élection de Tebboune.
La relance économique figure enfin au cœur de la démarche présidentielle. L’objectif affiché est de rompre avec l’économie de bazar fondée sur la seule rente pétrolière, l’importation massive et les investissements de prestige. Les hommes politiques et oligarques qui dorment aujourd’hui en prison y ont puisé une fortune colossale, dont une grande partie se trouve dans les banques occidentales et les paradis fiscaux. Tebboune ambitionne de porter les exportations hors hydrocarbures à 5 milliards de dollars fin 2021 et de réduire la part de ceux-ci dans les recettes en devises à 80 % à la même échéance. Il entend donner la priorité aux investissements de petite et de moyenne tailles créateurs d’emplois, notamment auprès des jeunes, avec des incitations fiscales. Quelque 1 900 milliards de dinars (environ 15 milliards de dollars) seront injectés dans les circuits de prêts. Privatisation et ouverture des entreprises publiques sont aussi à l’ordre du jour. Le sort des salariés concernés demeure une zone d’ombre. L’éducation et la santé, des secteurs clés, restent pour l’instant les parents pauvres de l’activisme présidentiel. Dans l’Algérie orpheline du Hirak, Tebboune avance ainsi à petits pas… l’ancien ministre de Bouteflika devenu président agite un drapeau blanc.
Source: https://www.humanite.fr/algerie-tebboune-avance-petits-pas-en-agitant-un-drapeau-blanc-693141