Armand Guiart, après son amputation : VIVRE C’EST TOUT !
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En trois jours, il a perdu ses quatre membres mais Armand Guiart n’en a pas perdu sa joie de vivre. Une force de caractère sans doute inspirée de ses origines kanaks. Rencontre 18 mois après l’un des grands tournants de sa vie.
Pour lui, rien n’a changé. Armand Guiart n’aurait rien perdu de « particulier ». « Il suffit juste de s’adapter avec ces nouveaux outils pour faciliter la vie, surtout celle des autres. » Pourtant, amputé sous les deux bras et sous les deux genoux, il lui manque bien ses quatre membres. Né en Nouvelle-Calédonie, cet homme de 60 ans, se révèle comme une force de la nature. Armand Guiart n’a pas besoin de s’autoproclamer marginal. Il l’est. « Les gens ne vont pas forcément vers lui », décrit l’une de ses amies, Marion Gineste. Depuis toujours, il parcourt la vie, l’esprit libre, vivant de petits boulots dans la maçonnerie, la menuiserie et le jardinage. Ces services lui permettent d’avancer l’âme tranquille. « En aidant les autres, j’ai l’impression de m’aider moi-même », confie-t-il. Pour cultiver son bien-être intérieur, il dit refuser l’ordre établi: « ce qui n’est pas toujours facile, concède-t-il, surtout lorsque l’on est issu d’un milieu bourgeois.»
Une enfance délicate
Ce sage a pourtant échappé plusieurs fois à la mort. Lorsqu’il était au lycée, il tente de mettre fin à ses jours. Exclu du foyer paternel, l’adolescent se retrouve à la rue. Une période de sa vie qu’il qualifie de délicate… Il plonge dans plusieurs addictions et, de ses excès son cœur cessera de battre, seulement un temps. Cette enfance marquante serait peut-être l’une des explications au miracle d’aujourd’hui.
Après être rentré de Nouvelle-Calédonie, où il est parti, pendant deux ans, aider sa mère malade et une autre dame âgée, il retrouve sa compagne Charlotte, pour retaper une maison de Murviel-les-Béziers (Hérault). Le 14 janvier 2011, il apprend la disparition de sa mère. Cinq jours plus tard, le 19 janvier, alors en plein travaux, Armand ressent soudainement de fortes douleurs à chaque extrémité de ses membres. Crampes et fourmillements l’incitent à se rendre aux Urgences de l’hôpital de Béziers. Au fil des heures, la douleur ne cesse de s’amplifier. Il ne le sait pas encore mais il est victime d’une infection qui va entraîner d’importantes lésions vasculaires. Armand Guiart tombe rapidement dans le coma. Durant cette période de 40 jours, il subit de nombreuses interventions. Son cas fait l’objet de nombreuses discussions sur la stratégie de prise en charge au regard de la complexité de sa maladie. Charlotte, celle qui partage aujourd’hui sa vie, et sa fille de 25 ans, Pawé, insistent auprès de l’équipe médicale pour maintenir l’homme en vie. « Ce n’était pas gagné, les spécialistes estimaient que je gardais espoir par amour de mon père et la volonté que j’avais de le revoir », explique Pawé, « mais c’était faux, il fallait y croire, même amputé je souhaitais que l’on lui laisse une chance, il fallait essayer, il pouvait accepter de vivre ainsi ».
« La force de son regard m’a consolé »
Lorsqu’Armand Guiart retrouve connaissance, il ne possède plus aucun de ses quatre membres. Le 20 mars 2011, il est transféré à la clinique du Docteur Ster, un centre de rééducation situé à Lamalou, toujours dans l’Hérault. Il y bénéficie de techniques de pointes dans la confection de prothèses. L’équipe du docteur Cambière le prend en charge. Objectif : retrouver ses capacités motrices pour pouvoir marcher. « C’est allé très vite ! Non seulement je n’ai jamais eu de problèmes d’équilibre mais en plus, le Dr. Cambière me laissait une grande liberté », raconte le rescapé ; et de détailler : «si je voulais en faire plus, il me laissait faire. Il ne m’interdisait rien. Il était simplement là pour m’accompagner et me guider. » L’homme suscite l’admiration. « C’est incroyable l’espoir qu’il peut offrir ! Lorsqu’il s’est réveillé, à peine capable de parler, c’est la force de son regard qui m’a consolé », révèle Marion Gineste. Quant aux origines de l’infection, seule la forte émotion éprouvée par Armand lors du décès de sa mère pourrait faire partie des explications.
La rééducation ? Un peu comme des vacances
Ce passage au centre Ster durera jusqu’en novembre. Amusé, il se souvient : « C’était un peu comme des vacances, j’étais chouchouté, j’avais une chambre personnelle qui ressemblait à un studio et j’étais pris en charge par une aide-soignante ». Plein de vie, Armand joue avec ses prothèses, fait de la gym et s’entraîne à courir sur un tapis roulant, le sourire au visage. Mais il ne se réserve pas sa bonne humeur et n’hésite pas à la partager autour de lui. « Je faisais le clown, je me baladais et allais faire rire les autres patients pour les divertir. Si tout le monde ne possédait pas un handicap aussi important que le mien, j’étais conscient que tous n’avait pas, non plus, les mêmes facultés à l’accepter », justifie-t-il. Pour lui, chaque jour où le soleil se lève est une nouvelle journée qui commence, rien de plus. « Je n’ai jamais rien prévu, je n’anticipe rien à long terme, je goûte la vie comme elle vient ! Et j’ai bien fait ! »
Objectif : labourer le potager
Des désirs, il en a. S'il est remonté sur son vélo, s’il s’est remis à couper du bois, il aimerait pouvoir labourer son terrain. « Pour le vélo, ça se passe bien. Je roule dans le village mais il est vallonné et dans les montées ça se complique un peu… Prochaine étape : entretenir mon potager ! », s’enthousiasme-t-il, lui qui apprécie tant la nature. Dans un coin de sa tête, il aimerait beaucoup s’envoler en parapente et galoper à cheval. « Mais d’abord, il va falloir renforcer mes prothèses car ce n’est pas encore parfait ! », déclare-t-il en ramassant une pile électrique qui s’est échappé de son bras artificiel.
Son amie Marion, dit de lui « qu’il dégage une incroyable force, puisée dans ses origines kanaks. Une culture à part, promotrice d’une sagesse oubliée ». Cette terre de Nouvelle-Calédonie, il en est si fier. « Ma mère, avec qui j’ai voyagé durant mon coma, dans un espace-temps indéfini, m’a imprégné de l’esprit kanak. Ce peuple n’a pas le même rapport à la vie que nous les occidentaux. N’oublions pas que ce territoire n’a jamais été colonisé », précise-t-il, en fumant une cigarette, inclinant sa tête et le bout de ses lèvres vers le cendrier.
Durant son absence, une chaîne de solidarité, animée par ses proches, s’est mise en place pour que les travaux de la maison puissent se poursuivre. « On ne prenait pas en compte le côté extraordinaire, on le regardait vivre, c’était déjà ça », se rappelle sa fille. Pour Charlotte, il n’est pas nécessaire d’analyser cette période. « C’était très intense. Il fallait agir au quotidien, éviter le doute, maintenant il nous faut souffler, prendre un peu de repos », garantit celle qui est restée à ses côtés 24 heures sur 24. Du coup, la famille n’espère qu’une chose, vivre des temps plus calmes, propices pour poursuivre une vie paisible.
Benjamin Téoule