les juges d’instruction, aussi, n’auraient pas été très convaincus par les arguments de l’équipe française... (DR)

Mort de Yasser Arafat : le soupçon du poison

Dix ans après la mort d’Arafat, l’équipe suisse de médecine légale et l’Institut de radiophysique appliquée (IRA), joints au téléphone, confirment les soupçons sur son empoisonnement. La justice semble encline à poursuivre l’enquête. Une décennie plus tard, les Palestiniens peinent à retrouver une figure capable de porter leurs rêves.

Circulez, il n’y a rien à voir. C’est en substance la conclusion que les experts français ont rendue, il y a un an, aux juges de Nanterre en charge de l’enquête sur la mort de Yasser Arafat. Si les échantillons prélevés sur la dépouille du raïs palestinien prouvent, sans contestation scientifique possible, une exposition au polonium 210 plus élevée que la normale (avec des taux jusqu’à 30 fois supérieurs), pour l’équipe hexagonale, l’irradiation aurait été naturelle. Elle proviendrait du radon. En se désintégrant, ce gaz lourd qui s’accumule dans les caves et les trous produit des éléments radioactifs : le plomb 210 et le polonium 210. Arafat aurait donc été contaminé dans sa tombe. Mais pour l’équipe helvétique, également mandatée par la justice, le compte n’y est pas.

Les Suisses sont les seuls à avoir mesuré le taux de radon directement dans la sépulture. Ils possèdent des valeurs de comparaison et celle trouvée à Ramallah était bien en dessous de la moyenne ! Le radon ne peut donc pas expliquer à lui seul la présence de plomb et de polonium dans les ossements et le cuir chevelu du raïs (1) « Le rapport français établit qu’Arafat serait mort d’une gastro-entérite infectieuse qui a mal tourné, avec troubles de la coagulation et hémorragie », explique le professeur Mangin, médecin chef du centre universitaire romand de médecine légale. « Je suis étonné que les médecins entourant le leader palestinien à l’hôpital Percy (Clamart) ne soient pas parvenus à identifier et soigner cette pathologie. Et puis, Yasser Arafat vivait à la Mouqata’a dans une certaine promiscuité avec son clan. Pourtant, personne d’autre n’est tombé malade. » Le professeur Patrice Mangin ajoute : « Il y a des éléments que je trouve étranges et qui me laissent dubitatifs. Ce n’est pas aussi simple que ce que les Français disent. » D’ailleurs, selon les informations du « Figaro », les juges d’instruction, aussi, n’auraient pas été très convaincus par les arguments de l’équipe française. Un complément d’enquête aurait d’ailleurs été demandé au printemps.

Politicide

Pour Nasser Al Qidwa, neveu de Yasser Arafat et président de la fondation du même nom, il ne fait guère de doute que ce sont les Israéliens qui ont assassiné son oncle. À l’époque, Arafat avait été mis publiquement au banc de la communauté internationale par les dirigeants états-uniens et israéliens. Ces derniers l’accusaient d’être un obstacle pour la paix depuis l’échec des négociations de Camp David et de porter la responsabilité de la seconde Intifada. En chute libre dans les sondages, le raïs avait été aussi lâché par son peuple, déçu qu’il n’accouche, après des années de négociations, que d’un avorton d’État. Ariel Sharon, le nouvel homme fort d’Israël, a déclaré au journal hébreu « Maariv », 6 mois avant la mort d’Arafat, que ce dernier « n’a plus de police d’assurance » sur la vie.

Empoisonné ou non au polonium, pour le chercheur en sciences politiques, Sébastien Boussois (2), il s’agit bien d’un politicide : « Un peuple privé d’État, et dont la représentation politique, Arafat, a été sciemment décrédibilisée puis cloîtrée. » Et 10 ans après la mort de son leader historique, la Palestine semble enferrée dans la même impasse. « Arafat n’a pas eu finalement de successeur à la hauteur. Ce n’est pas Mahmoud Abbas, vieillissant qui apportera aux Palestiniens la terre qu’ils espèrent, analyse le spécialiste. Mais à la fois qui le pourrait ? Israël, dirigé par une coalition droitière et extrémiste, a encore accentué la colonisation, préemptant toute création d’un État palestinien. » « Avec Arafat, les dirigeants israéliens se plaignaient de ne pas avoir d’interlocuteur idéal pour négocier ; aujourd’hui, ces mêmes se sont créés un ennemi confortable avec le Hamas », conclut le chercheur. Et ainsi tout peut recommencer.

(1) Les Suisses ont, par ailleurs, prouvé que le polonium artificiel contient du plomb.

(2) « Israël entre quatre murs. La politique sécuritaire dans l’impasse », Grip éditions, Bruxelles.

Source: l'Humanité Dimanche du 13 au 19 novembre 2014