Gaza sous tutelle internationale ? À Doha, une force de «stabilisation» au cœur des calculs diplomatiques
Réunis ce mardi à Doha, plus de vingt-cinq États ont ouvert des discussions sur la création d’une force internationale de stabilisation destinée à Gaza. Présentée comme une réponse sécuritaire et humanitaire à une guerre dévastatrice, l’initiative soulève de lourds enjeux politiques, dans un territoire ravagé, toujours sous blocus, et alors que la violence coloniale s’intensifie en Cisjordanie.
À huis clos, dans les salons feutrés de la capitale qatarie, diplomates occidentaux, responsables arabes et représentants d’organisations internationales ont entamé un cycle de consultations inédit sur l’avenir immédiat de Gaza. Selon Reuters, la conférence vise à poser les bases d’une force de stabilisation internationale susceptible d’être déployée, afin d’assurer la sécurité, faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire et accompagner une transition politique encore largement indéterminée.
L’initiative intervient dans un contexte d’extrême urgence. Après plus d’un an de bombardements massifs et d’opérations terrestres israéliennes, la bande de Gaza est en ruines. Les infrastructures civiles sont détruites, les hôpitaux fonctionnent à peine, les réseaux d’eau et d’électricité sont hors service. Plus de deux millions de personnes survivent dans un dénuement quasi total, entassées dans des camps de fortune, exposées au froid, aux pluies torrentielles et aux inondations hivernales qui transforment les abris de toile en bourbiers insalubres.
Malgré les annonces répétées, l’acheminement de l’aide humanitaire reste gravement entravé. Les convois sont bloqués, filtrés ou retardés par l’armée israélienne, tandis que les points de passage demeurent fermés ou soumis à des restrictions drastiques. Les organisations humanitaires dénoncent une situation « catastrophique », marquée par la faim, la propagation de maladies et l’effondrement total des conditions de vie.
Une force internationale entre sécurité et contrôle politique
C’est dans ce paysage de désolation que la force de stabilisation est envisagée. Selon les participants, elle aurait pour mission première de sécuriser les zones de distribution de l’aide, protéger les infrastructures humanitaires et prévenir un vide sécuritaire susceptible de favoriser de nouveaux affrontements. Les contours précis du dispositif restent flous : mandat onusien ou coalition ad hoc, composition militaire ou civile, durée de déploiement, articulation avec les acteurs locaux.
Les États-Unis jouent un rôle central dans ces discussions. Washington pousse pour une solution présentée comme « pragmatique », évitant à la fois une réoccupation directe de Gaza par Israël et un retour sans réforme de l’Autorité palestinienne. Plusieurs pays arabes, dont le Qatar et l’Égypte, insistent de leur côté sur la nécessité d’un cadre politique crédible, incluant à terme une gouvernance palestinienne unifiée et une perspective de règlement global du conflit.
Mais de nombreuses réticences subsistent. Qui garantira l’impartialité de cette force dans un territoire toujours soumis au contrôle militaire israélien ? Comment agir sans lever le blocus ? Et surtout, comment parler de « stabilisation » alors que les causes structurelles de la violence — occupation, colonisation, impunité — demeurent intactes ?
Ces interrogations sont d’autant plus pressantes que la situation ne se limite pas à Gaza. En Cisjordanie occupée, l’armée israélienne poursuit une politique de colonisation accélérée, accompagnée d’un climat de terreur quotidienne. Les colons, souvent armés, multiplient les exactions : incendies de maisons et de cultures, agressions, expulsions forcées. Ces violences se déroulent sous la protection des forces israéliennes, tandis que les arrestations arbitraires et la répression s’intensifient contre la population palestinienne.
Pour de nombreux observateurs, la conférence de Doha illustre ainsi les contradictions de la diplomatie internationale. D’un côté, une volonté affichée de répondre à l’urgence humanitaire et d’éviter l’effondrement total de Gaza. De l’autre, une incapacité persistante à imposer le respect du droit international à Israël, à garantir l’accès sans entrave à l’aide et à mettre fin à une politique d’occupation qui alimentent la violence.
La force de stabilisation, si elle voit le jour, pourrait constituer un tournant. Mais sans levée du blocus, sans protection réelle des civils et sans horizon politique crédible pour les Palestiniens, elle risque de n’être qu’un dispositif de gestion de crise de plus, destiné à contenir les conséquences d’un conflit dont les causes profondes restent soigneusement évitées.