Maroc scelle son alliance militaire avec Israël
Par belkacemgPublié le
En pleine crise diplomatique avec l’Algérie, le Maroc a signé avec Israël, ce mercredi 24 novembre, un accord historique qui jette les bases d’une coopération pérenne en matière de sécurité, de renseignements et de contrats d’armements.
Le protocole d'accord entre le ministre israélien de la défense, Benny Gantz, et son homologue marocain, Abdellatif Loudiyi, a été signé mercredi à Rabat, dans le cadre de la première visite officielle d'un ministre israélien de la défense dans l'un des États arabes qui ont normalisé leurs relations l'année dernière.
M. Gantz, un ancien chef de l’armée israélienne, a été reçu en début de matinée par le ministre délégué chargé de l’administration de la défense nationale marocaine, Abdellatif Loudiyi. Ils ont signé un protocole d’accord qui lance formellement la coopération sécuritaire « sous tous ses aspects » entre les deux pays, face aux « menaces et défis dans la région », selon la partie israélienne. « Il s’agit d’une chose très importante qui nous permettra aussi d’échanger nos opinions, de lancer des projets conjoints et favorisera les exportations israéliennes jusqu’ici », a souligné M. Gantz.
Rabat a normalisé ses relations avec Israël en décembre dernier, peu après que les Émirats arabes unis et Bahreïn aient fait des annonces similaires.
Pourquoi le Maroc a scellé cette entente ?
Cet accord n’a fait que formaliser une coopération multidimensionnelle qui date depuis longtemps. La décision marocaine de normaliser ses relations avec Israël n'est donc pas une question de reconnaissance, mais plutôt une reprise de relations antérieures. en effet, dès 1994, peu après le premier accord d'Oslo entre les Palestiniens et Israël, le roi Hassan II a amorcé une normalisation des relations diplomatiques sans qu'il y ait eu échange d'ambassadeur. En prenant cette décision, le Maroc est devenu le troisième pays arabe - après l'Égypte et la Jordanie - à établir des relations officielles avec l'État hébreux. En 2000, le roi actuel Mohammed VI, a rompu ces relations, au déclenchement de la deuxième Intifada en 2000, pour signaler son soutien aux Palestiniens. C’est donc la même autorité qui avait rompu les relations avec l’État hébreu qui les reprend et les consolide aujourd’hui. De plus, il semble y avoir des preuves subtiles que cette normalisation se fasse bien avant l'annonce officielle des deux pays. Au début de l'année 2020, le Maroc et Israël ont convenu d'un contrat d'armement de 48 millions de dollars qui comprenait la vente de drones de reconnaissance israéliens.
Coté avantage, à travers cette normalisation, Rabat a obtenu de Washington et de Tel Aviv, une reconnaissance de la souveraineté marocaine sur le territoire contesté du Sahara occidental. Par ailleurs, le Secrétaire d'État américain, Antony Blinken a fait l'éloge lundi de la proposition du Maroc sur le Sahara Occidental, le porte-parole du Département d'Etat Ned Price a notamment déclaré "nous continuons à considérer le plan d'autonomie du Maroc comme sérieux, crédible et réaliste, et une approche potentielle pour satisfaire les aspirations du peuple du Sahara Occidental".
On note également que les accords négociés ont facilité la création de coopération politique, culturelle et économique. Il y a deux mois, la société israélienne Ratio Petroleum a annoncé une entente avec Rabat sur des opérations d'exploration de gaz et de pétrole au large de Dakhla, au Sahara occidental.
Sur le plan militaire, le ministère israélien de la défense supervise toutes les exportations de produits de sécurité. En cela, certaines sources affirment que sa visite à Rabat permettra de proposer des produits de pointe tels que le système israélien Skylock Dome conçu pour détecter et neutraliser les drones, Une possible réponse à l’acquisition de drones turcs par Alger. On peut aussi citer des drones le système de défense antimissile Iron Dome qui peut neutraliser jusqu’à 90% des missiles. Selon Amnesty International, le logiciel espion israélien, Pegasus, est déjà arrivé au Maroc. Néanmoins, le porte-parole de Gantz n'a pas souhaité faire de commentaires sur ce volet ni sur d'autres technologies de défense qui pourraient être discutées lors de la visite.
À noter que les deux États ont depuis longtemps eu un partenariat sécuritaire unique et secret. Comme l'indique un rapport publié par l'Atlantic Council, "les services de renseignement marocains ont entretenu une relation non officielle avec le Mossad, depuis près de soixante ans". Cette coopération n'était pas simplement nominale, ni unilatérale : Les services de renseignement israélien auraient aidé à organiser les services de renseignement marocains sous le règne du feu le roi Hassan II et aurait fourni des armes et d'autres technologies de surveillance au royaume.
Israël ambitionne un déploiement géostratégique en Afrique
Outre des avantages financiers et économiques, qui offriront aux entreprises israéliennes l'occasion d’exploiter le marché marocain, l’accord conclu entre les deux pays permettra principalement d’isoler la cause palestinienne. Même si le conflit israélo-palestinien continue de mobiliser la société civile, selon Maddy-Weitzman, professeur à l’université de Tel Aviv :
"il y a trop d'autres intérêts en jeu, trop d'autres avantages à tirer d'un recalibrage". "La plupart des pays de la région ne veulent tout simplement plus être pris en otage sur cette question, ils veulent poursuivre leurs intérêts tels qu'ils les définissent, et à ce stade, Israël a manifestement beaucoup à offrir"
Dans la foulée de l'annonce de normalisation avec l'État hébreu, le roi du Maroc, Mohammed VI, avait tenté de rassurer le président palestinien Mahmoud Abbas sur « l’engagement permanent et soutenu du Maroc en faveur de la cause palestinienne juste ».
Au-delà de la question palestinienne, Israël peut se targuer d’avoir su faire adhérer le monarque alaouite, qui se présente comme le détenteur d’un leadership religieux dans le monde sunnite et qui préside le Comité Al-Qods, à la normalisation. Les responsables israéliens travaillent d’arrache-pied – c’était déjà le cas sous le gouvernement de Netanyahou – sur le projet d’une visite royale en Israël. Tout récemment, le président israélien Isaac Herzog a d’ailleurs invité Mohammed VI à se rendre dans le pays.
Il est évident qu’Israël va aussi essayer de s’adosser au Maroc afin d’assurer à terme un déploiement géostratégique en Afrique, déjà massivement investi par Mohammed VI. Dans les faits, il est très probable que c’est en partie grâce au soutien du monarque qu’Israël a su retrouver son statut d’observateur (perdu en 2002) au sein de l’Union africaine (UA), historiquement favorable à la cause palestinienne. Une manœuvre décriée par Alger, qui s’oppose fermement à la normalisation avec Israël et encore plus à son retour de près ou de loin à l’UA. Vu sous cet angle, les propos de Mohammed VI, lors de son dernier discours du Trône, appelant notamment le président algérien à « œuvrer à un dialogue entre les deux pays », ne pourraient être qu’un écran de fumée visant à dissimuler les ambitions réelles du pouvoir marocain de s’accaparer un leadership régional, en tablant sur une alliance avec Israël, au sein de l’UA notamment.
L'Algerie encerclée par des acteurs étrangers
L'Algérie s'est toujours opposée avec fermeté à toute intervention étrangère dans la région, en plaidant pour les solutions politiques et en insistant sur la priorité des riverains et des pays voisins pour mener les dialogues nécessaires, sous l'égide des organisations internationales telles que l'ONU et l'UA. Mais en dépit de son opposition à une présence militaire étrangère dans la région, Alger est en train d’être encerclée par des acteurs étrangers. En effet, aujourd'hui, le pays fait face à une conjoncture internationale complexe. D’abord, à l’ouest de sa frontière, on a assisté, le 13 novembre 2020, au déclenchement des confrontations militaires entre l'armée marocaine et les forces du Polisario aboutissant à une déclaration de Guerre par le Polisario qui met fin au cessez-le-feu en vigueur depuis 1991. D’ailleurs, pour Bruce Maddy-Weitzman, le timing de la visite de Gantz et de la signature d'un accord n'était pas une coïncidence. "Il est possible que dans le contexte des tensions entre le Maroc et l'Algérie, ce soient les Marocains qui y tiennent", a-t-il déclaré. "Il me semble que les Marocains sont ceux qui tiennent à montrer à tout le monde - leur propre peuple, leurs rivaux algériens, l'Occident - qu'ils approfondissent leurs relations avec Israël", a déclaré le professeur de l'Université de Tel Aviv.
À sa frontière sud est, la situation sécuritaire instable de la Libye et les menaces terroristes que cela peut générer maintiennent Alger en état d’alerte permanent. L’Algérie est ainsi prise en étau sur le plan régional par des crises et conflits de grande intensité. Pour Algérie patriotique le constat est tel que : « l'Algérie se verra ainsi coincée entre un voisin à l'ouest qui offre à Tel-Aviv l'opportunité d'officialiser sa présence en Afrique du Nord et de s'y enraciner, une Libye morcelée et en proie aux convoitises de puissances étrangères qui se livrent une guerre par procuration, et un Sahel pris en étau entre les groupes terroristes et l'armée française », écrit-il. l’Algérie se retrouve à priori dans l’obligation de se redéployer, en reconsidérant ses alliances et en redéfinissant son positionnement stratégique sur l’échiquier régional et international.
Quelles perspectives pour Alger ?
La priorité pour l’Algérie est d’éviter son isolement à l’échelle diplomatique. Cela ne peut s’accomplir qu’en activant l'ensemble des canaux formels et informels nécessaires. Et devra passer par plusieurs étapes-actions. Il faut privilégier les alliances basées sur l’intérêt mutuel et les enjeux communs et partagés notamment avec ses alliés traditionnels chinois, mais surtout russes. Ces derniers inquiètent déjà Paris qui voit d’un mauvais œil le rôle de plus en plus actif de Moscou en Méditerranée orientale. Ainsi, la France pourrait se retrouver à cohabiter avec le président russe Vladimir Poutine pas très loin de ses côtes méditerranéennes.
L’Algérie continue également d’explorer les pistes des rapprochements réalisés au cours des dix dernières années avec des pays tels que la Grande Bretagne post Brexit, l’Allemagne, les Etats-Unis d’Amérique pour une avoir résonance plus globale.
L’Union Africaine (UA) demeure quant à elle un terrain favorable pour l’Algérie afin de rétablir son influence sur les divers dossiers du continent africain. Avec une Libye en déconfiture globale et un Sahel plongé dans ses conflits de faible intensité ; il y va de la sécurité interne du pays de prendre des mesures fermes à l’égard des pays concernés. La prise en charge des dialogues politiques inclusifs et des actions de médiation (à l’image de l’accord d’Alger sur le Mali en Juin 2015, et la réunion d’Alger sur la Libye en Janvier 2020) pourrait être appuyée par des démonstrations de puissance, notamment à travers des exercices militaires aux frontières du Pays ou des interventions rapides et exceptionnelles.