Frantz Fanon, "l'homme de rupture"
Par N.TPublié le
Les éditions parisiennes ALFABARRE, dans leur collection « les fourmis rouges dans nos sommeils » série cinquantenaire des Indépendances sur le Tiers-Monde publient «Frantz Fanon, l’homme de rupture». Un ouvrage de Abdelkader Benarab (*) distingué par le prix de la sélection Franco-arabe pour sa contribution à l’ouvrage sur « les Maghrébins de France »publié par les éditions Privert.
Ce livre d’une centaine de pages dense et précis, présente Frantz Fanon dans un parcours atypique au cours d’une période où la lutte pour l’indépendance de l’Algérie était à l’ordre du jour. Et à travers ce combat, il est devenu un héros, frère des algériens, ami de l’Algérie combattante, de l’Afrique en marche, de tous les émancipés et des hommes libres de tous les continents.
Comment alors ne pas percevoir chez A. Benarab ce rappel à la mémoire à l’histoire et à la maturité de l’esprit de Frantz Fanon né en Martinique et à peine âgé de 24 ans en ces temps durs des guerres de libération que connaissait l’Afrique et où se jouait son destin. Rien en effet ne prédisposait Frantz Fanon à une carrière aussi prestigieuse, souvent complexe et parfois controversée.
A. Benarab a su avec ce livre et les références aux travaux d’Edouard Said et de Homi Bhabha, à mettre en lumière F. Fanon et à lui redonner une nouvelle existence grâce à la fécondité de son langage et surtout au poids des mots sincères à son endroit, déployés avec aisance et finesse tout au long de son récit. Distinguant surtout ce qui peut être la cause fondamentale de l’aliénation du colonisé tout en analysant avec clarté et lucidité les questions que F. Fanon offre au raisonnement d’Hegel sur les rapports du maître et de l’esclave.
L’auteur rappelle que F. Fanon a été aussi un « précurseur » parmi les précurseurs sur les autres questions de l’ordre immuable imposé par le système colonial. Sa ligne de pensée étant en permanence traversée par l’ambigüité du rapport subalterne /hégémonique, culture populaire/culture dominante, suprématie culturelle/identité raciale. Ceci, sans oublier de revenir sur les relations ambigües avec Jean
Paul Sartre à propos justement de la préface de son livre « les Damnés de la Terre ».
La critique d’alors l’avait vu comme un suppôt de la violence et ne l’avait pas épargné au point qu’il fut moins jugé pour son œuvre que pour l’Antillais. L’intelligentsia française « a tiré l’écriture de F. Fanon vers une violence fantasmée », note A. Benarab. En vérité c’est la Révolution Algérienne qui était visée à travers lui.
A partir de ce travail de recherche rigoureux, l’auteur porte aussi un regard sur ce personnage hors du commun que fut Fanon. D’abord Officier en formation au service de la France en 1944 à Bougie, puis après des études de médecine à Lyon, le voilà affecté comme médecin-chef en Psychiatrie à l’hôpital de Blida à l’âge de 28 ans. C’est là, dans l’Algérie considérée comme le laboratoire de la tension exercée par le colonialisme et ses effets dévastateurs sur la population qu’il va faire ses preuves.
Une expérience excellente qui va lui permettre de remettre en cause le fondement même de la pratique de la psychiatrie dans le contexte colonial pour démontrer la rigidité des méthodes pratiquées dans la société musulmane. «Il est alors pourvoyeur de la vérité transgressive et traditionnelle» dira de lui plus tard l’universitaire américain d’origine indienne Homi Bahbha dans une époque que l’on peut appeler l’ère des libérations, marquant la fin de l’ère coloniale et ouvrant ainsi la porte des grands espaces de liberté comme d’autres précurseurs illustres avant lui ayant pour noms : Martin Luther King, Marvin Garvey, Cheikh Anto Diop, Mohamed Boudiaf , Kwame Nkrumah ou W.B du Bois entres autres…
Ainsi toute l’action et l’œuvre de F. Fanon vont s’inscrire dans cette logique de rupture avec le passé. Le passé d’une aliénation et d’un servilisme longtemps subis. A .Benarab souligne en outre que F .Fanon qui a séduit les masses colonisées plus tout autre à son époque, parce qu’il n’était à priori ni un homme politique, ni un chef de guerre mais grâce seulement à la verve politique et poétique contenue dans toute son œuvre. Ainsi s’explique le prestige qui aura auréolé sa courte carrière.
Il démissionnera de son poste de directeur d’hôpital en 1956 répondant à l’appel du FLN. En 1958, il est délégué par le FLN pour représenter l’Algérie en lutte en assistant au Ghana au congrès panafricain d’Accra. Les jalons des idées tiers- mondistes sont déjà posés, présentant l’Algérie comme modèle de libération. Plus tard, ambassadeur du GPRA, il apportera à l’Algérie un nouveau souffle et un dynamisme remarquable dans les relations extérieures.
Durant cette étape importante et un demi-siècle après, les résonances profondes et les appels de F. Fanon ne cesseront d’interpeller comme une profession de foi, de vérité et d’espoir. Le 6 décembre 1961, à l’âge de 36 ans l’Homme de rupture décède des suites d’une leucémie à Washington. Il est d’abord inhumé au cimetière des martyrs à Tunis puis son corps fut rapatrié de Tunisie en Algérie.
A. Benarab a su par cette analyse très succincte sur une partie de l’œuvre de F. Fanon apporté d’ultimes éclairages très précieux sur l’homme qui a fait triompher la dignité de l’esprit.
(*) Né à SETIF, Abdelkader Benarab est Docteur en littérature française, titulaire d’une maitrise en littérature arabe à la Sorbonne exerce actuellement comme attaché de recherche et chargé de cours à Paris III Sorbonne Nouvelle. Longtemps préoccupé par la question culturelle et religieuse au sein des communautés, A.Benarab a publié de nombreux ouvrages dont les « voix de l’exil (1996), les mots(1994) et Maghrébins de France(2005) dont il a été récompensé par le prix de la sélection Franco- arabe. Conférencier hors pair, il est omniprésent dans les colloques et autres rendez-vous internationaux dans des domaines spécialisés comme le développement et la diffusion de la Presse, de la langue et de la culture arabes et particulièrement sur les thèmes des relations interculturelles et la littérature africaine.