Face aux migrants dans la détresse, l’Europe se barricade
Par N.TPublié le
La montagne accouche d’une souris… Annoncée tambour battant au lendemain des deux séquences de tragédie en Méditerranée qui ont fait plus de 1 200 morts en une semaine, le sommet extraordinaire de l’UE du 21 avril a débouché sur un compromis autour d’une mesurette : le renforcement du dispositif "Triton", de surveillance en mer.
"Nous avons triplé Triton, alors que la proposition était de le doubler", a souligné le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker. Royal ! "Ce que je vais apporter aujourd’hui, c’est le navire amiral de notre marine", s’est enorgueilli le premier ministre britannique, David Cameron. Diable ! Mais à condition seulement que les migrants sauvés de l’horreur ne soient pas demandeurs d’asile en Grande-Bretagne… Qu’ils restent surtout en Italie. Et la France de faire preuve d’un élan de générosité historique, en promettant d’accueillir entre "500 et 700 Syriens". Fabuleux ! Aucune contrainte d’accueil pour le reste des États, c’est au bon vouloir de chacun d’eux (du volontariat), pas le moindre signe d’assouplissement des politiques d’immigration, les dispositifs répressifs restent intacts. Les États européens sont tout juste convenus de "militariser" un peu plus les voies maritimes pour repousser les flux de migrants, les tenir à distance, et dans le meilleur des cas, sauver certains d’entre eux du péril et les transférer sur des "zones de protection", dans des pays tiers. C’est la pratique adoptée par le gouvernement australien, lequel négocie et obtient la détention des migrants qui approchent ses côtes dans des camps, sur l’île de Nauru, en Papouasie-Nouvelle-Guinée, au Cambodge, dans des conditions exécrables qui se veulent dissuasives.
Le seuil abominable de 10.000 disparus...
L’arrangement à minima entre les États européens inquiète les acteurs associatifs au plus près de la tragédie à répétition. "Nous dénonçons l’hypocrisie et cette tendance à la déresponsabilisation de l’UE", souligne Sara Prestianni, membre du réseau Migreurop et de l’ONG italienne ARCI. "Les larmes de crocodile ne trompent personne, il est trop facile de désigner les passeurs comme uniques responsables de la tragédie, alors qu’en refusant l’accès à son territoire, en mettant en place des mesures répressives, l’UE pousse nécessairement les migrants entre les mains des passeurs", explique-t-elle. Selon Migreurop, les mesures adoptées s’inscrivent ainsi "dans la continuité, car elles consistent seulement à renforcer le contrôle à travers l’opération Triton, sans jamais insister sur l’organisation du sauvetage».
Question centrale, l’accueil a été soigneusement éludé par le sommet, alors qu’un demi-million de migrants pourraient tenter cette année la traversée de la Méditerranée, selon l’Organisation maritime internationale (OMI). Les États européens n’hésitent pas à prendre le risque de milliers de morts à venir en optant pour la seule guerre, très incertaine, aux passeurs. Le seuil abominable de plus de 10 000 disparus pourrait être atteint, avertissent les associations. "Les pays européens peuvent parfaitement se solidariser et prendre en charge les accueils. Jusqu’à présent, seuls les pays de la région, Turquie, Libye, Jordanie, ont accueilli la grande majorité des migrants", rappelle le réseau Migreurop.
L’Europe est "un continent qui doit perdre 50 millions d’habitants d’ici 2050 selon les prévisions démographiques", si l’on en croit la Fondation Robert-Schuman, centre de recherches et d’études sur l’Europe… Les politiques d’immigration qui dressent des forteresses vont dangereusement à contre-courant de ce processus inévitable. Une attitude absurde, à courte vue, dont l’histoire retiendra les milliers de morts en Méditerranée.