Dette : l'Italie et l'Espagne empruntent au plus bas depuis 16 ans, la France devient le maillon faible
Un renversement historique est en train de s'opérer sur les marchés obligataires européens. L'Italie et l'Espagne, longtemps considérées comme les maillons faibles de la zone euro et les « PIGS » de la périphérie, empruntent désormais à des taux historiquement bas, au plus bas depuis seize ans. Dans le même temps, la France voit ses coûts de financement dépasser ceux de Madrid, tandis que l'Allemagne elle-même n'est plus totalement épargnée par les inquiétudes des investisseurs. Ce basculement spectaculaire entre le Nord et le Sud de l'Europe redessine complètement la carte des risques financiers sur le Vieux Continent.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes et illustrent l'ampleur de cette transformation inédite des marchés de la dette souveraine. Le taux d'emprunt à dix ans de la France s'établit actuellement autour de 3,56%, tandis que celui de l'Italie est descendu à 3,51% et celui de l'Espagne à seulement 3,29%. Une situation totalement impensable il y a encore quelques années, lorsque les pays méditerranéens devaient payer une prime de risque considérable pour attirer les investisseurs sur leurs titres de dette publique. L'écart de taux entre l'Italie et l'Allemagne, le fameux « spread » qui avait terrorisé les marchés lors de la crise de la dette souveraine européenne entre 2010 et 2012, est retombé à seulement 0,7 point de pourcentage, un niveau plus atteint depuis 2009.
Cette performance remarquable des pays du Sud de l'Europe s'explique par les efforts considérables de consolidation budgétaire engagés par Rome et Madrid ces dernières années. L'Italie, malgré une dette publique colossale représentant 138,3% de son PIB, a su rassurer les marchés financiers internationaux par une gestion rigoureuse de ses finances publiques et une politique fiscale attractive pour les investisseurs étrangers. L'Espagne, portée par une croissance économique dynamique nettement supérieure à la moyenne européenne, affiche désormais un spread avec l'Allemagne inférieur à 0,5 point de pourcentage, un plancher jamais observé depuis la grande crise de 2010-2012 qui avait failli faire exploser la zone euro.
La France, nouveau foyer d'inquiétude pour les marchés financiers
À l'inverse de ses voisins méditerranéens, la France apparaît désormais comme l'un des principaux foyers d'inquiétude sur les marchés obligataires européens. Son déficit public chroniquement élevé, qui dépasse toujours les 5% du PIB malgré les engagements répétés de réduction, conjugué à des tensions politiques persistantes et à l'instabilité gouvernementale caractéristique de ces derniers mois, a fait grimper ses coûts d'emprunt au-delà de ceux de l'Espagne. Une situation humiliante pour la deuxième économie de la zone euro, longtemps habituée à bénéficier d'une prime de confiance quasi automatique auprès des investisseurs internationaux.
Selon les dernières estimations de l'agence de notation S&P Global, la dette publique française pourrait atteindre le seuil symbolique de 120% du PIB dans les prochaines années si aucune mesure corrective d'ampleur n'est rapidement engagée par le gouvernement. Avec un endettement actuel de 115,8% du PIB, soit environ 3 416 milliards d'euros en valeur absolue, la France se trouve dans une position délicate et inconfortable, coincée entre des engagements de dépenses publiques élevés hérités du modèle social français et des marges de manœuvre budgétaires de plus en plus réduites. Les agences de notation internationales ont déjà tiré la sonnette d'alarme à plusieurs reprises, dégradant la perspective de la note souveraine française.
Même l'Allemagne, traditionnelle valeur refuge absolue de la zone euro et référence incontestée pour les taux d'emprunt européens depuis des décennies, n'est plus totalement épargnée par les doutes croissants des investisseurs. L'annonce récente d'un vaste programme de dépenses publiques destiné à moderniser les infrastructures vieillissantes et à relancer une économie industrielle en panne a légèrement terni son statut historique d'emprunteur le plus sûr du continent européen. Si Berlin conserve des taux d'emprunt nettement inférieurs à ses partenaires européens, l'écart se réduit progressivement trimestre après trimestre.
Ce renversement spectaculaire des rapports de force au sein de la zone euro traduit une évolution profonde et durable des fondamentaux économiques européens. Les pays du Sud, longtemps stigmatisés et moqués pour leur gestion budgétaire jugée laxiste, ont entrepris des réformes structurelles douloureuses mais finalement efficaces sous la pression des marchés et des institutions européennes. L'Espagne affiche une dynamique économique remarquable portée par le tourisme et les services, tandis que l'Italie a réussi à stabiliser ses finances publiques malgré un contexte politique parfois chaotique. À l'inverse, la France peine visiblement à engager les réformes structurelles nécessaires et voit sa crédibilité s'éroder dangereusement sur les marchés internationaux. Un avertissement très sérieux pour Paris, qui devra impérativement redresser la barre budgétaire pour éviter de devenir durablement le maillon faible de la construction européenne.