Algérie : les femmes bousculent un régime discrédité
Par N.TPublié le
L’Algérie entre dans une phase sensible, marquée par des changements à la tête de l’appareil sécuritaire qui pourraient annoncer la succession de Bouteflika. Le pays traverse une période de grande incertitude, entre rumeurs et pronostics. Fait pour le moins paradoxal, alors que la guerre de succession est lancée, ce sont 3 femmes qui font régulièrement l’actualité. Mais la religiosité ne cesse de gagner du terrain et le machisme s’affirme avec force jusque sur les bancs du Conseil de la nation (Sénat), où les islamo-conservateurs bloquent le projet de loi criminalisant la violence faite aux femmes.
Iman Houda Feraoun, 36 ans, physicienne de formation, est la benjamine du gouvernement. Elle a été récemment nommée ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la communication (15 mai 2015). Les médias couvrent le moindre de ses déplacements et se font l’écho de toutes ses interventions. Le public se délecte de ses sorties sur le terrain, de ses coups de gueule devant des responsables qui ont failli et qu’elle n’hésite pas à sanctionner. D’autres ministres, dans des secteurs à la dérive, la santé notamment, en font autant. Les mauvaises langues laissent entendre que c’est pour redorer le blason d’un gouvernement décrédibilisé, désemparé devant l’ampleur de la crise conséquente à la chute du prix du baril.
La jeune ministre n’en est pas moins déjà réputée compétente et porteuse de véritables projets pour son secteur. Tout comme d’ailleurs sa collègue aux commandes du ministère de l’Éducation depuis le 5 mai 2014, Nouria Benghabrit-Remaoun. Sociologue de formation, chercheuse, femme de gauche, la soixantaine, elle défraie également la chronique avec sa posture de battante déterminée à apporter un souffle de modernité dans un secteur, l’école, resté, longtemps chasse gardée des islamo-conservateurs et qui a naguère été une véritable fabrique de terroristes potentiels. Sa récente décision d’introduire l’usage de l’arabe dialectal, langue maternelle, dans les enseignements, lui a valu les foudres de la presse intégriste et d’une partie des syndicats. Les pressions se sont multipliées pour réclamer sa démission. La ministre, qui a tenu bon, reçoit encore un très large soutien sur les réseaux sociaux et a la caution du premier ministre, Abdelmalek Sellal.
Elle, c’est une pasionaria qui fait très souvent la une de la presse et dont les déclarations et positions retiennent l’attention d’une partie non négligeable de l’opinion, tant son discours se distingue du brouhaha de la classe politique : Louisa Hanoune est secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT, trotskiste). Elle a ouvertement soutenu Bouteflika durant ses trois mandats, mais sans s’abstenir de critiquer vertement ses gouvernements successifs, leur reprochant des ratés dans la réalisation de son programme social, notamment. Mais, à un peu plus d’une année du 4e mandat, Louisa Hanoune a singulièrement radicalisé son discours. Elle ne ménage plus le chef de l’État, l’accuse de n’avoir pas tenu ses promesses et de laisser le champ libre aux détenteurs de "l’argent sale".
Guerre des clans...
"Depuis la présidentielle d’avril2014, on note un virage brutal en faveur de la droite ultralibérale qui est essentiellement perceptible à travers une émergence violente de l’oligarchie, qui prend lieu et place du secteur public. C’est pour programmer la faillite de notre pays", a-t-elle dénoncé lors d’une réunion du bureau politique de son parti. Elle qualifie de « farce » les directives du premier ministre relatives à la lutte contre la corruption, au gaspillage de l’argent public et à la déclaration du patrimoine. Et de pointer du doigt "ces gens-là qui se trouvent à la présidence de la République, au gouvernement, dans d’autres institutions et appliquent ce qu’ils appellent la ligne nationaliste. C’est la ligne de la rapine et de la prédation". Des propos qui font mouche dans les milieux populaires.
Si ces trois personnalités féminines réussissent à occuper les médias, ce n’est cependant pas parce qu’elles seraient en lice pour succéder à Bouteflika… Au contraire, même. C’est bien parce que c’est le flou le plus complet, sur fond de guerre de clans, que ces femmes qui portent un discours cohérent percent. Car la question de la succession taraude les esprits. Officiers supérieurs à la retraite, anciens ministres ou hauts fonctionnaires se succèdent dans les colonnes des médias pour livrer leurs points de vue sur la situation, échafauder des scénarios, plus ou moins crédibles, sur le court et moyen terme.
Une chose semble sûre, cependant : "En cas d’élections anticipées, le FLN (Front de libération nationale, ex-parti unique, majoritaire – NDLR) reste dans tous les cas une redoutable machine à collecter des voix et à gagner le scrutin", rappelle le politologue Rachid Grim. Malgré des luttes intestines, la formation, dont le chef de l’État est président d’honneur, garde encore la main sur la destinée du pays.
L’influence des islamistes...
Mais que sait-on vraiment à ce sujet ? Quel est le véritable poids du mystérieux M.Frère, Saïd Bouteflika ? Pourquoi le puissant patron des renseignements, le général major Toufik, a-t-il été mis à la retraite ? Quel est l’objectif du remue-ménage dans les structures des services ? La rumeur s’est emparée de ces questions, les versions sont nombreuses, les hypothèses, plus ou moins plausibles ou farfelues, foisonnent.
"C’est le brouillard et c’est voulu. Le gouvernement ne communique pas car sa parole n’a plus aucun crédit, pas plus que celle des partis dits d’opposition", affirme sèchement Rachid Grim. «La réalité, c’est l’augmentation constante des prix, la dépréciation continue du dinar (monnaie nationale – NDLR), le recul au plan social», martèle-t-il. Quant à M.Frère, "il y a beaucoup de supputations. Une chose est sûre, c’est lui qui fait actuellement écran entre le président et son environnement immédiat. Bouteflika en avait fait son conseiller privilégié dès le premier mandat. Il caressait sans doute l’espoir de lui préparer une destinée présidentielle. Mais les printemps arabes ont fait échec au projet. L’hypothèse la plus probable est que le président s’est résolu à un 4e mandat pour continuer à déblayer le terrain pour son frère", analyse Rachid Grim.
Cela explique peut-être les changements intervenus. Seulement, "il faut désormais passer par le sas d’une période de transition après des élections anticipées, car Saïd traîne pour l’instant une sale réputation, son nom est cité dans les grands scandales de corruption. Un candidat de consensus entre les clans a probablement été trouvé", suppose le politologue.
Mais, au final, où va donc l’Algérie ? "Les perspectives sont sombres, le pays va vers l’inconnu, c’est le mieux que l’on puisse dire dans la situation actuelle". Seule certitude pour l’heure : l’islamisation galopante de la société. "Si, un jour, il y a des élections réellement libres, les islamistes auront une grande partie de l’électorat", estime Rachid Grim.
Une partie probablement, mais sûrement pas la majorité et le pouvoir. La décennie noire (années 1990), guerre sanglante livrée par les islamistes à la société algérienne, a laissé des traces indélébiles, comme en témoigne la vive réaction citoyenne aux seules rumeurs d’un nouvel agrément accordé au Front islamique du salut (FIS, interdit), de triste mémoire. Tous les remparts contre la barbarie ne sont pas tombés.