sfy39587stp17
Aller au contenu principal

Algérie: Hommage à Guerrouabi, l’artiste et le… souverain châabi

IHommage à Guerrouabi, l’artiste et le… souverain châabi l n’y a pas plus de sciences quand se réunissent l’objet et la méthode dans l’analyse, qu’il n’y a de poésie quand deux mots se rencontrent pour la première fois. C’est que le savoir faire et le beau ne s’unissent que rarement pour faire d’une même personne l’élue d’une génération. El Anka a fait dans la rigueur pour être le « cardinal » incontesté de la chanson châbi, et Guerrouabi dans les libertés que seuls des génies se permettent pour marquer à jamais leur temps.

Il n’avait pourtant pas la prétention d’être un prophète ou un dieu, lui l’oracle de « son monde » qui se demandait, comme autrefois Molière, si la règle des règles n’était pas justement de plaire. Voilà pourquoi «le monde fermé de ce genre musical » a fini par élire, en plus d’un cardinal, son véritable Pape.

Jugement subjectif ? Peut-être. Mais d’où vient qu’une chanson sans attrait dans la voix de Ezzahi, El Âchab ou El Ankis devient un succès dès qu’elle est interprétée par Guerrouabi ? Il en est ainsi d’El Harraz, de youm el djemâ, youm el khemis ou sir ya nakar lehssane, vieux textes du patrimoine populaire auxquels le défunt aurait ajouté le secret de la bonne diction, d’une voix prestigieuse ou d’un style d’interprétation bien à lui.

En tout cas l’ensemble a fait Guerrouabi et Guerrouabi le plaisir et la joie de centaines de milliers de fans. La chansonnette est l’autre registre dans lequel le maître n’avait pas son égal. Aucune autre voix n’aurait exécuté avec autant de grandeur des succès comme « Goulou Lennas » ou le chef d’œuvre « El Barah ».

Grâce à sa rigueur et aux variations d’une voix veloutée et tellement mélodieuse, Guerrouabi a fini par devenir l’exemple à suivre. Les interprètes jouent désormais « ankaoui » ou« hachmaoui ». Plus nombreux d’ailleurs dans ce style-ci que dans celui-là. Les aphones et les muets n’imiteraient-ils pas Guerrouabi s’ils se mettaient, eux aussi, à chanter ?

Batchtarzi : « cette voix, c’est la bonne voie »

Comme Kateb Yacine reconnaissait en James Joyce un père spirituel, le Guerrouabi naissant trouvait en El Hadj M’rizek la voix à atteindre et la voie à suivre. Mais l’un et l’autre n’eurent pas longtemps à dépendre du maître avant leurs coups de maître : l’inaccessible « Nedjma » pour l’écrivain et l’ensorcelant « El Harraz » pour le chanteur.

La reconnaissance n’avait, alors, pas pour coût d’avoir seulement deux fois de suite eu le premier prix de chant, ni d’être à longueur de journées voire de mois au café Malakoff, point de départ de quelques belles expériences et de carrières réussies. Celle de Guerrouabi ne pouvait être le fruit du seul effort mainte fois accompli. La chance d’être mis à l’épreuve suffisait à ce jeune premier de mettre définitivement le pied à l’étrier.

Au hasard d’une rencontre avec M. Bachtarzi, il releva le défi de monter sur scène et de chanter, sans préparation aucune, d’une voix dont le timbre avait déjà résonné dans l’oreille de cette autorité des planches et de la scène. « Tu as du talent », a dit le maître ; « mais pas de voix », a répondu l’élève. «Ta voie est la scène pour mieux rester sur scène », a conclu Bachtarzi qui trouvait en Guerrouabi moins un rôle qu’une voix.

L’iconoclaste a finalement triomphé

A ceux qui appréciaient son aisance de passer du ârobi au haouzi et du haouzi à la chansonnette, Guerrouabi reprochait l’obstination de n’y voir que la force de sa voix. Lui qui réussissait des moutures extraordinaires entre un genre et un autre mettait savamment dans ses recettes les ingrédients tirés de l’Andalou, genre tout aussi beau que difficile et dont les  maîtres reconnaissaient en ce complice de Mahboub Bati un interprète hors pair.

El Anka, qui n’avait été pour cette star ni maître ni modèle, traitait son ascension avec désinvolture, et bien qu’il n’ordonnât ni ex-communion de « l’iconoclaste » ni autodafé de ses chansonnettes, il n’en eût pas moins trouvé attentatoire à la tradition son anti-conformisme.

L’attitude du grand El Anka rappelle Voltaire tournant en ridicule, dans « timon »écrit en 1751, les thèses de Rousseau hostiles aux philosophes ; et dans lettre à Rousseau datée du 30 août 1755, le « discours sur l’origine de l’inégalité ».

Pourtant deux années après la mort de l’auteur des « rêveries du promeneur solitaire », les insurgés de 1789 se sont empressés d’imprimer ce livre et le « contrat social » laissés par l’auteur à l’état de manuscrits. Ceux-là et non pas « Zadig » ou « le dictionnaire philosophique ».

Ce qu’on disait de Chopin, on se le permet sans risque de se tremper à propos de Guerrouabi : quand on entend une seule fois le maître interpréter « kif âmali ou hilti » ou « bini ou bin houbbi », le silence qui s’ensuit c’est, des siècles durant, toujours du Guerrouabi.

Depuis deux ans El Hachemi repose au cimetière de Salambier, mais c’est pour de bon qu’il trônera sur le saint Châbi. Il en est le pape disent certains, l’oracle affirment d’autres.

sfy39587stp16