Ces architectes qui construisent la révolution des villes
Par N.TPublié le
En 1983, l’urbaniste architecte Michel Cantal-Dupart et l’architecte Roland Castro étaient chargés de Banlieues 89, un grand projet initié avec François Mitterrand pour repenser les banlieues. Trente ans après, ils n’ont pas cessé de questionner la ville, de réfléchir à la manière de l’améliorer. La rendre pour tous plus vivable, en logeant tout le monde. Ils travaillent tous les deux, de leurs côté, sur des projets du Grand Paris. Entretien croisés.
-. Votre métier est de concevoir la ville, l’améliorer, quelle sera la ville de demain selon vous ?
Roland Castro : Vous me demandez de faire de la futurologie ! Je préfère l’idée d’habitat souhaitable. J’avais crée en 2006, le mouvement des utopies concrètes, avec le droit à l’urbanité, comme valeur fondamentale pour la cohésion sociale. Aujourd’hui, l’ère « médiatique », où l’on vit avec le monde entier tout le temps, fait de la question du lieu où l’on habite, où il y a des gens « en vrai », est sérieuse. Le droit à l’urbanité, ce n’est pas seulement le logement, ce sont les conditions qui font que l’habitat est digne. J’ai beaucoup travaillé sur le remodelage des quartiers de la pire période moderniste. Même l’entrée du bâtiment y est indigne, c’est un trou fonctionnel. Il faut que l’habitat donne un certain sentiment de fierté. Que le quartier donne aussi un sentiment de communauté. Et que cela soit en réseau à l’échelle urbaine. L’enjeu d’une ville égalitaire, c’est que tous les mômes aient accès à l’école, aux soins, aux droits… mais aussi qu’ils ne soient pas vus comme étant de « la bas », comme on dit de la ZUS.
La ville pourra être plus intense- je ne dis pas dense, un terme qui fait peur à tout le monde. Ainsi, à Stains, dans le quartier Trois rivières, j’ai mis des maisons sur les toits d’immeubles. C’est à la fois de l’individualité et de la collectivité. On peut très bien construire en hauteur. Et faire monter les sols avec…. C’est ce que je tente de faire avec mon projet « Habiter le Ciel » à Gennevilliers, un village vertical avec plus de jardins.
Michel Cantal-Dupart : le devenir des villes, c’est mon quotidien. Mais que sont-elles ? Une organisation mutualiste, ce sont les citoyens qui décident ce que sera leur ville. Prenons les villes moyennes. Au Moyenne Age, ce sont elles qui ont construit les cathédrales, les citoyens de ces villes les payaient. Le phénomène m’intéresse. C’est l’émergence d’un pouvoir civil. Quand on veut lancer une idée, un grand programme d’aménagement comme le Grand Paris, ce n’est pas de la programmation, ni de la stratégie, c’est le désir des habitants, et une culture à partager.
Il n’y a pas de recettes toutes faites. Une bonne idée pour Saint Quentin en Yvelines n’est pas applicable à Limoges. J’ai valorisé des villes. Par exemple, Perpignan. La ville agonisait, un quartier était complètement enclavé. Il y avait un ensemble bloqué entre une voie de chemin de fer et une pénétrante… et seulement trois passages pour y entrer. En faisant le tour, je découvre un trou dans un grillage : ce sont les enfants qui l’ont fait pour aller plus vite à l’école. C’est le chemin des écoliers, ils sont plus forts que l’aménageur. Il y a des chemins des écoliers partout, qui permettent aux gens de circuler. Il faut donc partir de la réalité des gens. ….. J’ai rendu le quartier traversant, en faisant des avenues. On y a aussi amené des équipements publics. Les gens y passent, et se voient. La question du regard, libéré, est très importante.
_. Depuis banlieue 89, la situation semble avoir empirée ?
MCD : Il n’y a pas de régression mais il y a de plus en plus de gens. Il y a une force vive complètement inexploitée. Sur les quartiers, c’est compliqué, il y a une ambiance claquemurée. Comment sortir de ca ? C’est l’aménagement de l’espace, le lieu public qui fait le lien.
On me prend pour un naïf quand je dis cela mais il y a de bons signes. Les repas des voisins dans les rues de Paris, ce n’est pas n’importe où. C’est dans l’est parisien, justement les quartiers multi culturels. Les gens ont le désir de cela, ca m’intéresse.
RC : Cette question des banlieues se pose partout, même dans des villes de 10 000 habitants. Il y a eu une prise de conscience à une certaine échelle, ca a pu aider à des endroits où il y a une seule autorité. Dès qu’il y a une superposition d’autorités et des productions étatiques d’institutions diverses et variés, il y a une panne conceptuelle. On avait raison 30 ans trop tôt. A l’époque, architectes, urbanistes avaient quand même un objectif : construire une ville capable de rayonner internationalement et de respecter le plus pauvre, le plus fragile de ses habitants. On a fait la critique des grands ensembles. Mais cette conception a continué à sévir : on continue à découper l’espace en morceaux, sans vergogne.
_. Imaginer la ville, c’est une question de civilisation…
RC : Oui. Le décor n’a pas créé la misère, mais la misère à trouvé son décor. Il est possible de réparer les « conneries » du passé de la pire époque moderniste. En 2005, dans les quartiers que j’ai transformés, il n’y a pas eu d’émeutes. Mon ami philosophe Jean-Paul Dollé disait « il n’y a pas de démocratie du laid ». Tous les indicateurs de la laideur architecturale fusionnent avec les indicateurs sociaux. C’est ça l’histoire urbaine des 40 dernières années. La question de la beauté et du bon urbain. Tout cela, c’est un objectif politique, stratégique. Cette utopie, on ne peut pas dire qu’elle soit portée. Le seul moment où l’on trouve une adéquation entre une pensée politique et un art de bâtir, c’est l’époque des cités jardins (1920-1930 NDLR).
Je fais de la politique : je construis un quartier avec l’idée que je me fais du rapport des citoyens entre eux et à la ville, en voulant assurer la continuité la République.
_. On nous présente les éco-quartiers comme la ville de demain, qu’en pensez-vous ?
RC. Je préfère dire quartier éco, je subordonne la question écologique à la fabrication d’une bonne urbanité. Sur une place publique carrée, on se retrouve avec un quart des façades au Nord. Je pense que l’on peut très bien se débrouiller intelligemment dans l’épaisseur du bâtiment pour habiter au nord. On a tous les moyens pour rendre la place Vendôme absolument écologique et autarcique énergétiquement ! Mais ce qui justifie sa durabilité, c’est sa beauté. La question la plus durable, dans l’histoire, c’est la beauté des choses.
Les nouvelles contraintes énergétiques ne brident pas, mais leur traduction littérale peut conduire à des logements tous parallèles, qui regardent le soleil, prennent toute la chaleur gratuite possible, se barricadent au nord. Et des façades bouteilles thermos avec des petits trous au nord. Si on n’a pas une idée globale de la ville, cela peut conduire aux mêmes erreurs qu’avec les grands ensembles.
MC-D. La question des éco quartiers telle qu’elle est posée, c’est de la réclame. Qu’est ce qu’est un éco-quartier ? C’est intégrer tout ce qui ne va pas dans la ville et en faire un quartier exceptionnel. Le quartier Vauban à Fribourg, en Allemagne, est peut être intéressant. Mais c’est une ancienne caserne, qui fonctionne toujours ainsi. C’est un quartier d’exclusion.
On crée un éco quartier, où l’on privilégie les modes de circulations douces et du tri sélectif. Mais comment les insère-t-on dans le quartier d’à côté ? Faire un éco quartier près d’un quartier difficile, ça c’est intéressant, parce qu’il va influer sur le quartier d’à côté. Mais ca existe très peu en France.
_.Michel Cantal-Dupart, avec Jean Nouvel vous travaillez sur le Grand Paris, que peut apporter ce projet aux gens ?
MC-D. Dans la tête des gens, ce n’est qu’un réseau de transport. Nous avons déjà gagné pour que le métro express de Paris soit relié au réseau existant –alors qu’il avait été conçu comme un transport autonome. Mais autour des futures gares, les maires veulent des programmes de bureaux. C’est stupide. A Paris, il y a déjà des bureaux à louer partout. Il faut des logements. Cependant, la ville doit arrêter de s’étendre. Il s’agit donc de rehausser Paris, on parle de foncier aérien, d’élever tous les immeubles d’un ou deux niveaux pour les faire correspondre au tissu Haussmanien, à 7 niveaux. Mais c’est une décision des co-propriétaires. Il y a un vrai boulot à faire là dessus. Il faut que les gens se sentent partis du projet, ce n’est pas forcément gagné. Il est clair qu’il n’y aura pas de Grand Paris, qui ne casse pas les ségrégations. Il faut une stratégie, mais ca ce n’est pas à nous de la définir. L’objectif du Grand Paris est très simple : c’est que les gens s’y retrouvent, s’y sentent bien, qu’ils puissent y trouver un logement.
Source: l'Humanité Dimanche