Le Président algérien vu par le journaliste Jean-Pierre Elkabbach: «Tebboune veut mettre le pays en mouvement»
Par Anonyme (non vérifié)Publié le
Mediaterranee publie cet article du quotidien algérien l’Expression paru après la publication des mémoires du journaliste Jean-Pierre Elkabbach décédé récemment
Par Ahmed Benamar
Il porte bien son nom Elkabbach, le bélier, ses mémoires le confirment. Il fonce, il défonce et il enfonce. Que d'hommes politiques ont été victimes de celui qui est considéré comme le plus grand intervieweur de France.
Ce n'est pas un homme qui se perd en salamalecs. Pressé et empressé comme tous les bons journalistes qui savent presser leur sujet pour en tirer le meilleur. Né à Oran, d'un père négociant en import/export et d'une mère au foyer, Elkabbach découvre au lycée le racisme dont étaient victimes ceux qu'on n'appelait que sous le vocable d'Arabe, musulman, Kabyle... Les Algériens, c'était eux.
Les Français venus de France, de Malte, d'Espagne... Nous, rien, trois fois rien. Échantillon qui n'a rien de croustillant: «Les femmes arabes étaient désignées comme les «mauresques». Sans même s'en rendre compte les gens parlaient d'elles d'une façon qui leur déniait toute humanité. Une patronne, à qui sa bonne arabe annonçait l'arrivée d'une femme sur le seuil de la maison, demandait: «C'est une femme ou bien une Mauresque?» Les serviteurs eux-mêmes pratiquaient ces distinctions: «Madame, vous avez de la visite. Trois hommes et un Arabe.» Trois hommes et un Arabe! Comme on dirait: trois hommes et un chien. Et encore le chien avait plus de considération de son maître.
Pour l'indépendance de l'Algérie
D'abord sensible à l'injustice dont étaient victimes les colonisés, il basculera carrément en faveur de l'indépendance, à 19 ans à peine, quand il verra à Oran un déferlement de violence sur les musulmans quel que soit leur âge, leur sexe ou leurs opinions. Après tout, ce n'était que des «musulmans», trois fois rien. Pfff. Allez, ouste bicot!
Croyant en sa bonne étoile, sa bonne étoile ne le trahira jamais. Regardez. Il part faire des études à Paris. Faute de moyens il ne les poursuit pas. Catastrophe? Non. Il revient en Algérie pour achever le déménagement de sa mère qui a échangé son appartement d'Oran contre un autre à Paris. Le voici donc à Alger. Sur le point d'embarquer vers la France.
Mais auparavant, il aimerait visiter la Radio au 10, rue Hoche, celle dont il avait entendu tant et tant de fois le jingle mozartien: «La petite musique de nuit.» Pas de radio. Elle avait été transférée bd Bru (aujourd'hui bd des Martyrs). Il se décourage? Du tout. Il y va, trouve un ex-camarade de lycée. On l'embauche. Commence alors une carrière qui le mènera loin. À force d'obstination. Bien plus tard, ne comprenant pas pourquoi des hommes d'une suprême intelligence n'avaient pas réussi dans leur carrière, il demandera à un diplomate à qui tout réussit justement, maître Henry Kissinger, de quelle pâte est faite un homme d'État. Kissinger lui répondra en souriant: «L'intelligence? Non, vous la trouverez partout. Ce qui compte, c'est le caractère.» Et du caractère, il en a ce jeune journaliste qui commence à Radio Alger pour finir par occuper tous les postes de responsabilités dans les grandes radios et TV de l'Hexagone. Venons-en sans plus tarder, au coeur du sujet, aux présidents algériens dont parle le journaliste. Il y en a deux: Abdelaziz Bouteflika et Abdelmadjid Tebboune.
Le premier, du même âge que lui. Nous sommes dans l'Algérie des premiers jours de l'indépendance. Ses amis de l'état-major de Boumediene lui proposèrent, dit-il, de rendre visite à un de leurs copains, qui était de garde à la radio. «C'était un lieutenant. Lorsque je le vis pour la première fois, il portait une tenue militaire et avait devant lui, sur une table, des livres de Jean Lacouture sur Nasser, Bourguiba et Nkrumah.» C'était Bouteflika à 25 ans.
Dialogue: «Qu'est-ce que tu veux faire dans la vie? me demanda-t-il?
-Moi? Je rêve d'être journaliste. Mais c'est compliqué, il faut des pistons, des combines...Et toi?
-Moi, je voudrais faire de la politique.
-Mais tu es dans l'armée!
-C'est vrai, mais tu verras...Un jour, on passera de l'armée à la politique.»
Promesse tenue. Il fut ministre de la Jeunesse et des Sports puis ministre des Affaires étrangères.
Quand Bouteflika fut élu à la présidence de la République en 1999, ElKabbach fut invité à la Présidence. Mais avant de quitter Paris, en fidèle ami de Bouteflika, et en souvenir de sa terre natale encore mal en point à cause des griffes du terrorisme, il fit du lobbying «crânement» pour que Chirac qui allait faire une tournée en Afrique, fasse escale à Alger pour rencontrer le nouveau président algérien.
«Aucune confiance dans ces gens-là»
Cédons-lui la parole défendant l'Algérie auprès des conseillers de Chirac: «Il y a urgence! Est-ce que, Jacques Chirac, en chemin, ne pourrait pas s'arrêter à Alger pour un déjeuner, un café avec Bouteflika? Le nouveau président attend des signes. Il se demande ce que va faire la France.» Fin de non-recevoir. Catherine Colonna eut les mots les plus durs. Elle me déclara avec le sourire -sans doute l'a-t-elle oublié-: Nous n'avons aucune confiance dans ces gens-là.» Ces gens-là? J'étais estomaqué. «Mais vous ne vous rendez pas compte qu'ils peuvent être des alliés!» lui dis-je.
Des deux, celui qui semble être le mieux fait pour la diplomatie c'est le journaliste et non la conseillère Colonna, tel était son poste, du président de la République qui n'a pas sa langue dans la poche. Et puis cette expression «Ces gens-là» qui a choqué Elkababach qui en a pourtant entendu, sent bon la France coloniale, celle qui appelait toutes les femmes Fatma. Brave Catherine Colonna, actuelle ministre de l'Europe et des Affaires étrangères de France. A-t-elle aujourd'hui confiance en ces «gens-là?»
Sur Bouteflika il parlera d'une relation «faite d'affection et de confiance», en n'épargnant guère son entourage qui l'avait poussé, alors qu'il était «une momie au visage de cire» à un quatrième et puis à une cinquième candidature à la présidence de la République.
Le premier hirakiste...
Après Bouteflika, Elkabbach rencontre en juin 2022, le président Abdelmadjid Tebboune. Il témoigne pour l'Histoire: «Il m'a reçu dans son palais et nous avons discuté avec une grande liberté de la situation politique algérienne et des relations avec la France.» Arrêtons-nous à cette expression «Nous avons discuté avec une grande liberté» qui vaut étonnement et satisfecit dans la bouche d'un grand journaliste français souvent confronté ici et là à la langue de bois des politiques.
Peu de présidents auraient accepté de converser avec Elkababch à bâtons rompus tant l'homme est rusé et connu pour trouver la faille chez son interlocuteur.
Pas de faille chez le président Tebboune, vieux routier de la politique qui connaît par coeur la grammaire de la politique, qui connaît même la musique, celle, redoutable, de la vérité.
Ouvert d'esprit par nature, il sait d'expérience que le meilleur langage qu'on doit avoir avec tous les interlocuteurs est celui de la vérité, quitte à ce qu'elle soit cash, ça fait gagner du temps et ça clarifie les choses en évitant cette ambiguïté d'où naissent souvent des incompréhensions et des malentendus. JF Kennedy, lui-même, n'agissait pas autrement et ça lui avait particulièrement réussi. Elkabbach ajoute: «Pourtant, il (Le président Tebboune) se considère lui-même comme le premier héritier du Hirak.»
«Sans ce mouvement, je ne serai pas là», affirme le président Tebboune, qui aurait pu ajouter qu'il avait été le premier hirakiste en s'opposant, en tant que Premier ministre, dès 2017, aux oligarques, tous proches du frère-conseiller. Oui, premier hirakiste et l'Histoire se rappellera de lui comme l'homme qui a allumé la première mèche du Hirak. Il fallait du courage-peut-être la qualité la plus importante-avec la patience- pour un homme politique et l'ex-Premier ministre en était doté pour «oser» affronter des hommes puissants aux ramifications politiques multiples. Il n'a pas reculé.
Il n'a pas bougé de sa ligne jusqu'à ce qu'on l'écarte. Comme on écarte ceux qui défendent les intérêts du peuple avant les intérêts des patrons. Mais le peuple qui sait reconnaître les siens, l'a élu, deux ans plus tard, à la magistrature suprême. C'était la rencontre d'un homme avec son peuple. On le sait, on vote toujours pour un homme qui répond à nos aspirations les plus profondes et non pour un projet car les hommes restent et les projets passent.
Continuons avec Elkabbach: «Tebboune veut mettre le pays en mouvement. Il entend incarner l'honnêteté, le respect du peuple algérien. La corruption est un fléau, désormais combattu avec intransigeance. À ses yeux, elle est responsable de l'atonie du marché du travail, de l'anémie des investissements, du désespoir de la jeunesse. Elle nourrit l'islamisme et menace les institutions démocratiques. L'impunité des hauts responsables est révolue, affirme le président algérien. Beaucoup purgent de longues peines de prison.»
Sur les relations algéro-françaises, le journaliste poursuit en citant le président Tebboune «Pour la dignité du peuple algérien, la question de la colonisation est la plus brûlante. Chaque nation a ses mythes fondateurs. Nous, c'est la violence de la conquête française à partir de 1830, les enfumades de gens dans des grottes, l'incendie de mosquées remplies de fidèles.»
Le journaliste poursuit: «Le président Tebboune attend de la France qu'elle reconnaisse les crimes commis pendant la période coloniale et l'assujettissement des Algériens. Il ne se fait pas d'illusion: les Français ne sont pas prêts à franchir un tel pas. Mais il faut tout de même avancer. (...) Pour tourner la page de six décennies d'autoritarisme, les Algériens doivent s'engager eux aussi dans une révolution de la mémoire. Peut-être y parviendront-ils avec l'actuel président, Abdelmadjid Tebboune.»
Ce qui se dégage de la plume incisive d'Elkabbach, pistoléro au long cours, c'est la confiance qu'il manifeste au président Tebboune. Journaliste d'expérience à qui on ne la fait pas, il juge, sans complaisance aucune, Abdelmadjid Tebboune comme l'homme de la situation en Algérie. Un président qui ne craint pas la presse internationale, qui lui parle sans ciller est un président qui a de l'estomac et qui n'a rien à cacher et surtout qui a une vision et une stratégie au service du pays. Lui sait où il va. Là où sont les intérêts du peuple qui l'a élu pour aller de l'avant vers une Algérie moderne, forte, stable et juste.