Valls ne veut pas entendre parler du corse comme une langue co-officielle
Par jcsPublié le
A l’occasion de sa visite en Corse, M. Valls s’est déclaré opposé à la co-officialité de la langue corse. Une position radicale qui peut surprendre quand on sait que le ministre est un parfait locuteur de catalan, autre langue régionale non reconnue sur le territoire français.
“Il n’y a qu’une langue de la République, c’est le français.” C’est avec ses propos très tranchés que Manuel Valls est arrivé en Corse, lundi matin. Ces paroles, prononcées lors d’une interview accordée à Corse-Matin, n’ont pas manqué de soulever la polémique sur l’île.
Le ministre de l’Intérieur s’était déjà illustré il y a quelques jours en parlant de “violence culturellement enracinée” en Corse. Autant dire que sa visite sur l’île s’est faite dans un climat plutôt tendu.
Ses déclarations sur la langue corse n’ayant évidemment rien arrangé. Car sur l’île, cette opposition si radicale à la co-officialité linguistique est un véritable camouflet.
Jacobin à Bastia...
Le 17 mai dernier, l’Assemblée de Corse adoptait très largement le principe de la co-officialité des langues corses et françaises sur le territoire insulaire. Dans la pratique, cela prévoit l’usage du corse étendu à tous les domaines de la vie publique.
Dans les médias, les services publics, l’éducation, dans la sphère économique, sociale, la langue corse doit être véhiculée et favorisée. Le but étant, officiellement, de "protéger, encourager et normaliser l'usage du corse dans tous les domaines et garantir l'emploi officiel du français et du corse à parité."
Cette disposition, qui inclurait également un large développement de l’enseignement du corse, serait une grande première en France. Mais la décision de l’Assemblée de Corse se heurtera certainement au barrage du Conseil constitutionnel.
Les propos de Manuel Valls étant un avant-goût du refus de ce statut de co-officialité que prononcera probablement l’institution garante des lois en France. Même si en Corse, les partisans du projet veulent continuer à se battre pour le faire aboutir.
Depuis la Révolution de 1789, et son héritage jacobin, la France n’a cessé de rejeter les langues régionales issues de son territoire. L’Etat, et sa doctrine centraliste, estime que le français est l’unique langue de la République.
Et loin d’être considérées comme un héritage et une richesse, les langues régionales sont perçues avec hostilité dans les hautes sphères du pouvoir. Le corse, le basque, le breton, le catalan, le provençal, l’occitan, ou l’alsacien, sans parler des langues des territoires d’outre-mer, vivent en France comme des passagers clandestins.
Récemment, contrairement à l’un des engagements de campagne de François Hollande, la France a de nouveau refusé de ratifier la charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
La loi Refondation de l’Ecole, projet de réforme de l’enseignement mené par Vincent Peillon, n’autorisait pas l’apprentissage des langues régionales à l’école. Un examen du projet au Sénat a permis de revenir sur cette disposition. Avant peut-être que l’Assemblée ne fasse de nouveau marche arrière.
Malgré quelques expériences, plus ou moins abouties, selon les territoires, la diffusion d’une culture et d’une langue régionales en France est interprétée comme un péril pour l’unité nationale.
La Corse est l’une des régions de France où l’héritage culturel et linguistique est le plus vif. L'ambition de donner à la langue corse un statut de co-officialité implique une complémentarité avec la langue française, pas une rivalité.
“Il n'est pas concevable qu'il y ait sur une partie du territoire, une deuxième langue officielle”, insistait pourtant Manuel Valls, lors de son entretien à Corse-Matin.
...Et Catalan à Barcelone
Manuel Valls est né à Barcelone, il est d’origine catalane. Il est l’une des rares personnalités politiques à être devenu français par naturalisation.
En Catalogne espagnole, le catalan a le statut de langue officielle. Lors des Jeux Olympiques de Barcelone, en 1992, les annonces étaient faites en castillan (espagnol) et en catalan. C’est dire l’importance, la place et la valeur de langue catalane sur ce territoire. Avec en moteur, tout l’héritage historique, l’usage du catalan étant interdit sous le régime de Franco.
M. Valls en est certainement conscient puisqu’il s’exprime parfaitement en catalan. Il sait donc bien ce que représente le fait d’être locuteur d’une langue qui était interdite pendant sa jeunesse, mais qu’il a, malgré tout, apprise. Une langue qui, en outre, reste non reconnue en France.
Cette connaissance lui permet de donner des entretiens en version originale avec la presse catalane (voir ci-dessous la vidéo de l’interview accordée à La Vanguardia).
Dès lors, ses positions radicales sur l’usage du corse - ou de toute autre langue régionale, certainement - apparaissent particulièrement étonnantes. Pourquoi refuser aux autres les avantages de cette diversité dont lui-même bénéficie ? Pourquoi jouer les jacobins à Bastia, et faire le Catalan à Barcelone ?
M. Valls, s’exprime avec une grande aisance avec ses interlocuteurs barcelonais. Ce bilinguisme parfait est un atout considérable. Si, en Catalogne française, la pratique du catalan était encouragée, voire institutionnalisée, les échanges avec le voisin espagnol s'en trouveraient facilités. Ne serait-ce que du point de vue culturel.
Il en va de même en Corse, et partout ailleurs en France, même si certaines langues régionales ne sont parlées que sur un espace réduit. Cela ne nuirait en aucun cas à la place du français, bien au contraire.
M. Valls, lui-même, n’éprouve aucune difficulté à parler le français, le catalan ne vient pas parasiter son cerveau, et le fait de le maîtriser couramment ne l’empêche pas d’être un serviteur zélé de l’Etat.
Une langue est une vision du monde. En parler plusieurs permet d’élargir ses repères, d’enrichir ses capacités à la communication, à la compréhension des autres. Le bilinguisme, surtout quand il est précoce, offre des facilités dans l’apprentissage d’autres langues. C’est une ouverture immense.
Vouloir encourager l’anglais à l’université et s’obstiner à refuser le développement des langues régionales est une incohérence incompréhensible.
Voir ici l'entretien, en catalan, accordé, en 2010, par M. Valls au quotidien barcelonais La Vanguardia :