A l'instar de la planète bleue, la Méditerranée est mise en danger par le réchauffement climatique. (Leo Hidalgo/Flickr, CC BY)

La Méditerranée aux premières loges des changements climatiques

Les 28 organismes membres de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement (Allenvi) viennent de publier, à l’occasion de la COP22, un ouvrage de synthèse exceptionnel qui s’efforce de présenter un état des lieux de la recherche scientifique sur l’évolution du climat, les conséquences de son dérèglement et les solutions d’atténuation et d’adaptation dans le contexte particulier de la Méditerranée. La Méditerranée face au changement climatique est disponible en consultation ou en téléchargement.

De par son passé géologique, son environnement semi-aride – dont le climat se distingue des zones tempérées par de fortes variations intersaisonnières – et son rôle dans l’histoire tourmentée des sociétés humaines, la Méditerranée constitue un authentique laboratoire « en miniature ».

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Wikimédia, CC BY-SA

Une zone test

Quoiqu’elle ne représente que 1,5 % de la surface terrestre, elle constitue une « zone test » qui concentre la quasi-totalité des enjeux potentiellement catastrophiques pour la planète : risques naturels, réchauffement climatique, modification du cycle de l’eau, changements des fonctions des sols et des couvertures végétales, modifications de la diversité biologique et atteintes à la biodiversité, répartition inégale des ressources, contraction des rapports politiques, économiques et sociaux Nord-Sud débouchant sur des conflits, flux migratoires massifs, occupation des territoires, urbanisation et littoralisation rapides.

On ne saurait en outre oublier l’impact de la zone méditerranéenne sur les régions avoisinantes : rôle des extrêmes climatiques méditerranéens sur les diverses composantes du système Terre, rôle des échanges hydrologiques avec la mer Noire et avec l’Atlantique, les eaux méditerranéennes transitant par le détroit de Gibraltar influençant le climat européen.

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Le détroit de Gibraltar sépare l’océan atlantique (à l’ouest) et la mer Méditerranée (à l’est). NASA

Aujourd’hui où une augmentation de la température mondiale de 1,4 à 5,8 °C est, en l’absence de contre-mesures radicales, attendue (3 à 7 °C pour la région méditerranéenne à la fin du XXIe siècle), ce sont les eaux profondes de la Méditerranée qui, en premier, ont enregistré l’effet de serre. Dans cette région, les changements planétaires semblent d’autre part affecter la fréquence d’occurrence des événements extrêmes : cyclogenèses, phénomènes hydrométéorologiques ou éoliens, sécheresses et dégradation des sols.

Agir malgré les incertitudes

Les contributions incluses dans l’ouvrage ne manquent toutefois pas de souligner les fortes incertitudes qui persistent quant à la dynamique réelle de l’impact du changement climatique, en général, et aux différentes échelles spatiales du bassin méditerranéen.

Des incertitudes qui ne doivent pas servir de prétexte à l’inaction. Bien au contraire : ces dernières doivent inciter à mieux comprendre les chaînes causales complexes qui relient le climat et les autres paramètres environnementaux et anthropiques, et à agir sans tarder afin de minimiser celles des conséquences du changement global qui menacent l’environnement, la santé et le bien-être des populations.

Plusieurs des contributions démontrent que la recherche fournit directement des bases scientifiques pour une meilleure gestion des milieux, des ressources et des patrimoines, pour préserver et renforcer les services de la biodiversité et des écosystèmes, et pour diffuser les concepts et les connaissances appropriées dans la société, auprès des décideurs et des acteurs concernés.

Le rôle central de la science

La science est l’outil le mieux à même de lier la lutte contre le changement climatique, les objectifs du développement durable et le financement du développement.

La redéfinition de l’agenda international qui est intervenue au cours de l’année 2015 nous en fait d’ailleurs une obligation : avant la COP21 de Paris s’étaient successivement tenues la 3e Conférence internationale sur le financement du développement puis le Sommet des Nations unies qui a vu l’adoption des 17 nouveaux « objectifs du développement durable » (ODD). Des objectifs universels censés, selon le rapport de synthèse du secrétaire général Ban Ki Moon, tracer la route vers « la dignité pour tous d’ici à 2030 » en « éliminant la pauvreté, en transformant nos vies et en protégeant la planète ».

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Les 17 objectifs de développement durable adoptés en 2015 par les 193 États-membres de l’ONU. Nations unies

Comme tout consensus international, tant ces objectifs que le contenu de l’Accord de Paris sur la lutte contre le réchauffement climatique (dont la COP22 s’efforcera de concrétiser les premières traductions opérationnelles) ont représenté des avancées dont on peut se féliciter, mais ont inévitablement été le fruit d’un compromis entre intérêts différents, voire contradictoires, et entre des gouvernements dont les contraintes et visions géostratégiques sont multiples, voire franchement divergentes.

Pour un développement vraiment durable

Les ODD dans leur lettre même ne sont pas exempts d’incohérences que leur mise en œuvre effective peut, si l’on n’y prend pas garde, exacerber : une vision à court terme des nécessités de la lutte contre la pauvreté ou pour la sécurité alimentaire (objectifs 1 et 2) peut, par exemple, favoriser des choix technologiques et économiques qui hypothèquent à moyen terme la réalisation des objectifs 15, 14 et 13 qui concernent respectivement la préservation de l’environnement terrestre, des océans et contre les effets du réchauffement climatique.

De même, la satisfaction à court terme des besoins énergétiques des pays en développement de la rive sud de la Méditerranée comme du continent africain peut se heurter à la nécessaire décarbonation des économies qu’impose la lutte contre le réchauffement planétaire. On pourrait multiplier les exemples analogues.

Méditerranée est aussi menacée par la pollution, « Enquête sur une mer en danger » (Thalassa, 2016).

Ce sont des avancées de la science que l’on peut raisonnablement attendre des solutions qui permettent de concilier les objectifs de développement durable, de construire les coalitions innovantes d’acteurs qui permettront de les imposer en pratique, et de fournir en quantité suffisante les biens publics globaux dont la planète a besoin.

Il est avéré que l’humanité éprouve de graves difficultés à se doter de tels biens publics pour faire face à des enjeux globaux qui, par essence, dépassent les frontières nationales car elle se heurte à ce que les chercheurs en science politique qualifient de « paradoxe westphalien », du nom du Traité européen de 1648 qui instaura, pour la première fois, un ordre international fondé sur le strict respect de la souveraineté des États. L’histoire millénaire, comme l’actualité récente, de la Méditerranée ont maintes fois illustré ce paradoxe.

Espérons que la mobilisation contre le réchauffement climatique, dont le Maroc et la France se veulent l’un des fers de lance, contribuera à faire de la Méditerranée l’exemple de son dépassement et de la solidarité entre les acteurs, les gouvernements et les populations face aux périls communs et pour un développement au service de tous.

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Jean-Paul Moatti, Président-directeur général, Institut de recherche pour le développement (IRD) et Stéphanie Thiébault, Directrice de l’Institut écologie et environnement (INEE), Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.