Autriche, Grèce, Italie... ces pays qui donnent des sueurs froides à l’Union européenne
Par N.TPublié le
Le non italien à Matteo Renzi et la pression permanente sur la Grèce sèment le trouble à Bruxelles, tandis que l’extrême droite s’échauffe en surfant sur la vague europhobe provoquée par les politiques d’austérité de plus en plus contestées... y compris par les institutions européennes.
Victoire du non au référendum en Italie, défaite de l’extrême droite à la présidentielle autrichienne, qui n’en reste pas moins bien placée pour les législatives, crise à rebondissements de la dette grecque, pressions persistantes des marchés, controverses autour de la politique d’austérité et des réformes structurelles… les nuages s’amoncellent au-dessus de la zone euro, laissant redouter l’orage d’une crise profonde, voire le spectre de l’éclatement.
Un vent mauvais soufflerait en Italie, constatent de concert nombre de commentateurs, ce lundi 5 décembre, au lendemain de la consultation qui s’est soldée par l’annonce de la démission du chef du gouvernement, Matteo Renzi. Les électeurs étaient appelés à se prononcer sur un dispositif qui réduit les prérogatives du Sénat et instaure un bicamérisme préservant la stabilité des gouvernements. Ils ont massivement rejeté cette réforme constitutionnelle (à près de 60%). Arrivé au pouvoir en se targuant d’être le futur «démolisseur» d’un système «désuet» et d’une classe politique à bout de souffle, Renzi s’est finalement brûlé les ailes après quelque 1 000 jours d’exercice. Il paie avant tout ainsi l’erreur d’avoir «considérablement personnalisé» ce référendum, note Marie-Anne Matard-Bonucci, professeur d’histoire à l’université de Paris-VIII. En mettant sa démission dans la balance, il a suscité un « front hétéroclite », constate pour sa part Camille Bedock, chercheuse à l’Université libre de Bruxelles et spécialiste de l’Italie. La Ligue du Nord (extrême droite) et le Mouvement populiste 5 étoiles (M55) y ont vu l’opportunité de provoquer des élections anticipées. Une partie de la gauche a voté non «par peur de déconstruire un système pas merveilleux mais empêchant le retour de la dictature», analyse l’historienne Marie-Anne Matard-Bonucci.
Un signal de défiance
Reste, dans tous les cas, en toile de fond, l’exaspération de la grande majorité des Italiens devant les résultats catastrophiques des réformes Renzi : hausse du chômage (12%), notamment chez les jeunes, explosion de la précarité avec le «Jobs Act» – clé du licenciement facile qui a servi d’exemple en France –, paupérisation des salariés, effondrement de la demande et de l’investissement. Autant de facteurs qui nourrissent sans surprise un sentiment anti-Europe. Les Italiens demandent «une autre Europe. (…) C’est un signal de défiance vis-à-vis d’une classe politique qui s’aligne sur les mêmes politiques sociales et économiques de réduction de la dette, de diminution du périmètre de l’État et de baisse des aides sociales», complète l’historienne. C’est «une rébellion contre ces politiques d’austérité qui sont décidées à Bruxelles !» s’exclame pour sa part Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste à l’élection présidentielle en France de 2017.
Et c’est sans surprise l’Europe, toujours et encore, qui fut au centre du bras de fer électoral entre l’extrême droite et les Verts autrichiens, dimanche 4 décembre. Donné pourtant quasiment vainqueur par les sondages, le candidat à la présidentielle du (FPÖ), Norbert Hofer, a été battu à plate couture par le Vert Alexander Van der Bellen. Le premier, qui surfait sur la crise des migrants tout en prétendant incarner le renouveau vis-à-vis des partis traditionnels (social-démocrate SPÖ et conservateur ÖVP), n’a certes pas fait ouvertement campagne contre l’Europe. Il n’en escomptait pas moins tirer largement profit de la vague euro-sceptique et xénophobe après la victoire du Brexit au Royaume-Uni et celle de Donald Trump aux États-Unis. Aussi sa défaite a-t-elle entraîné les réactions soulagées du chef de la diplomatie italienne, satisfait d’«une bonne nouvelle», du président du Parlement européen, Martin Schulz, rassuré par un «clair message pro-européen», et du président français, François Hollande, qui s’est félicité du «choix de l’Europe et de l’ouverture». La menace est-elle pour autant exclue ? Rien n’est moins sûr. L’extrême droite n’en reste pas moins en embuscade pour les législatives. Elle est créditée de 30% des suffrages pour le scrutin qui aura lieu au plus tard en 2018. «De la même façon que le vote Trump, l’extrême droite ici joue sur la peur des gens. La peur des étrangers, la précarité du marché de l’emploi. Il faut répondre à ces peurs-là avant les prochaines élections», met en garde une retraitée autrichienne citée par le journal «le Parisien». Les europhobes ont par ailleurs plus que jamais le vent en poupe aux Pays-Bas, en France, en Allemagne.
Gestion inquiétante
À l’origine, à n’en point douter, de ces soubresauts qui peuvent s’avérer désastreux, la sacro-sainte politique d’austérité, source de régression sociale pour les pays de la zone euro. «Le point commun à toutes ces manifestations de populisme en Europe, c’est un signal de défiance. Cela exprime une volonté de moins d’austérité budgétaire. On assiste à un refus de plusieurs pays de la ligne budgétaire que l’Allemagne a toujours prônée. Le sud de l’Europe réclame une monnaie plus souple face à l’austérité exigée par le nord de l’Europe», analyse l’économiste belge Bruno Colmant, cité par le média l’Avenir.net. «Or, l’euro suppose un alignement politique. Cela va devenir problématique si des pays exigent de sortir de cette ligne nordiste. Cela va créer un désaccord au sein de la Banque européenne. La gestion de l’euro devient inquiétante. Pour sauver l’euro, la Banque européenne va devoir adopter une logique plus sudiste que nordiste. La rue a toujours raison. Et elle réclame aujourd’hui moins de rigueur budgétaire», ajoute-t-il. L’annonce de ce tournant est crédible, elle rappelle la nécessité incontournable, pour la zone euro, de réagir au plus vite à cette lame de fond, sauf à prendre le risque d’un éclatement, d’un effondrement du projet européen.
Réunis lundi 5 décembre, les ministres des Finances de la zone euro ont peut-être pris la mesure de ces enjeux. Il est désormais question de lâcher du lest dans la dépense publique pour les pays qui disposent de marges de manœuvre. Attitude inédite depuis la crise de 2008, la Commission européenne manifeste sa volonté de s’écarter de la ligne d’austérité pour enfin relancer la croissance. Encore faut-il parvenir à convaincre l’Allemagne, les Pays-Bas, le Luxembourg, seuls à disposer d’excédents budgétaires et qui n’entendent pas en faire usage sur instructions de Bruxelles.
Au menu du même conclave ministériel figurait aussi l’allégement de la dette grecque (près de 180% de son produit intérieur brut). Le pays reste toujours soumis à de fortes pressions, chantage interminable le contraignant – en échange du dernier plan d’aide de 86 milliards d’euros – à de nouvelles privatisations et à la libéralisation du marché du travail et de l’énergie… L’Union européenne évolue ainsi sur un terrain miné, tout compte fait, par elle-même, ce qui pourrait lui réserver de bien mauvaises surprises.
Source: Humanité Dimanche n° 539