Hollande en Algérie, une visite au crépuscule du régime Bouteflika
Par N.TPublié le
François Hollande sera en Algérie le 15 juin prochain, une visite d'Etat pour un "partenariat d'exception" et un soutien au régime d'Abdelaziz Bouteflika de plus en plus confronté au tournant de sa succession.
Les algérois respirent un air de fête sous les premiers soleils du mois de juin... Les terrasses de café ne désemplissent pas, les marchés grouillent de chalands, les vendeurs ambulants, jeunes pour l'essentiel, prennent d'assaut les rues piétonnes au lever du soleil. Partout, les voies de circulation sont encombrées, les moyens de transport bondés... le cœur de la capitale bat au rythme du commerce, activité reine de l'économie de bazar qui a prospéré à l'ombre de la rente pétrolière.
Il règne comme un climat d'insouciance, de sérénité. pourtant, d'un bout à l'autre du pays, les ménages expriment en réalité leurs soucis devant la flambée des prix des fruits et légumes à quelques jours du Ramadhan, les examens scolaires après des greves d’enseignants à répétition, le sas inévitable du chômage promis aux enfants avec ou sans diplôme, comme une fatalité, le délabrement du secteur public de santé, et le ton brusquement alarmant des dirigeants, visiblement pris de panique devant l'effondrement du prix du pétrole et la fonte accélérée des réserves de change.
Des grossistes aux « chkaras » débordantes
On s'amuse désormais, non sans véhémence, du bras de fer engagé par les autorités avec les barons de "l'import-import", cette faune qui saigne le pays depuis plus de deux décennies, à coup de surfacturations des transactions internationales, de fuite des capitaux, d'évasion fiscale. Le gouvernement d'Abdelmalek Sellal est en effet confronté à un défi de taille : rationnaliser, mettre de l'ordre dans une économie désarticulée, vidée de ses capacités productives, otage des pratiques informelles, de la corruption à grande échelle et des réseaux d'affaires infestés d'argent sale, en grande partie sous la coupe des islamistes, grossistes aux "chkaras" (sacs d'argent en liquide) débordantes. Le président Bouteflika ne peut même plus se permettre d'ordonner l'achat de la paix sociale en échange de hausses salariales, de distributions de crédits aux jeunes, de maintien des subventions de produits de première nécessité... la source est sur le point de se tarir.
« Pas sur le dos du petit peuple… »
"Ils l'ont bien cherché, à force de laisser l'économie aller à la dérive, de privatiser de manière insensée, d'abdiquer devant la maffia des affaires!" fulmine un jeune retraité, ancien cadre dirigeant dans une entreprise publique. « Il n'y a aucune visibilité, on ne sait pas où l'on va, pas de stratégie industrielle ou autre. De plus, les forces de l'argent ont fait la jonction avec le pouvoir, une situation des plus dangereuses » renchérit Wahid Bouabdellah, député du Front de Libération nationale (FLN, ex-parti unique) rare personnalité à ne pas user de la langue de bois et qui fut, entre autre, PDG de la Caisse nationale d'épargne (CNEP) et de la compagnie aérienne Air Algérie.
Elle non plus ne mâche pas ses mots... Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des Travailleurs (PT) multiplie les rencontres publiques à travers le pays et s’élève contre le « plan anticrise » envisagé par le gouvernement. «Si on doit récupérer de l’argent, il ne faut pas le faire sur le dos du petit peuple, mais à travers l’impôt sur la fortune et en mettant fin au siphonage des deniers publics ! » clame celle qui s’abstient toutefois de toute critique à l’égard du président Bouteflika. Elle est en revanche très virulente envers le président du Forum des Chefs d’Entreprises (organisation patronale) Ali Haddad, en qui elle voit le représentant de «l’oligarchie» qui prend pied dans les sphères dirigeantes. « Il prone la privatisation tous azimuts et ne se préoccupe nullement des conditions sociales, de plus il mène une diplomatie parallèle », s’offusque un député du Parti des Travailleurs.
Le fauteuil présidentiel pour « Mr Frère »
Intronisé à la fin de l’an dernier, le patron des patrons reçoit en effet des ambassadeurs, s’affiche avec des ministres et enchaîne les rencontres à l’étranger. La dernierre en date (1 juin) se décroulait à Paris sous le label «Business France », à la tête d’une délégation de chefs d’entreprises et dans la lancée du « partenariat d’exception » entre les deux pays prôné par Laurent Fabius. L’homme d’affaire pèse lourd. Il est PDG d’une entreprise de travaux routiers, gavée de marchés publics, propriétaire d’un club de Football (l’USM Alger), d’un quotidien en langue française (Le Temps) et d’une chaîne de TV, mais pas seulement. Haddad serait surtout très proche de Saïd Bouteflika, « Mr frère » du président et son «conseiller spécial ». La rumeur, de plus en plus insistante, prête à ce dernier l’intention de briguer la succession de son aîné. «Les appareils du pouvoir, Front de libération nationale (FLN) et Rassemblement national démocratique (RND) se sont mis en ordre de bataille pour lui offrir le fauteuil présidentiel», projette Salim, un universitaire en sciences sociales. La presse qui tourne à vide sur cette question entourée de brouillard, ne cesse de spéculer. Outre le "partenariat d'exception" recherché et les tractations diplomatiques autour de la crise subsaharienne et le chaos Libyen, François Hollande viendrait aussi apporter son soutien à cette succession en confirmant le crédit accordé au régime de Bouteflika et pour rabibocher au passage les français d'origine algérienne avec le PS.
« La famille qui avance… »
Une chose est sûre, ce thème (la succession de Bouteflika) ne passionne pas le citoyen lambda, tout comme l'agitation interne des partis au pouvoir, les déclarations d'une coalition d'opposition rassemblant des formations islamistes et autres aux ambitions démocratiques, ou même encore les procès autour des grands scandales de corruption (Khalifa Bank, entre autres) où défilent des lampistes. "La grande majorité des Algériens a décroché de la politique, pour preuve la très forte abstention aux élections. Les gens manifestent de l'indifférence, ils sont convaincus que dans tous les cas, les jeux sont faits", estime Salim. Et la sortie des "années noires" a sans doute aussi suscité un besoin de "stabilité". Le "clan présidentiel" surfe allègrement sur cette vague.
Hors du paysage politique, c’est tout compte fait dans les soubresauts qui secouent la société que se joue probablement l'évolution du pays. "Face aux islamo-conservateurs qui travaillent sournoisement autour de thèmes sensibles, nous essayons de fédérer toutes les forces qui font barrage à l'obscurantisme, défendent les droits et libertés" assure Yacine Teguia, secrétaire général du Mouvement Démocratique et Social (MDS) (issue de la scission du Parti de l’avant-garde socialiste, PAGS, communiste). La formation qui renaît de ses cendres est désormais au carrefour des luttes dans la société civile, auprès des chômeurs, des syndicalistes, des militants associatives, des intellectuels et artistes engagés, des citoyens "patriotes" qui ont résisté par les armes à l'intégrisme islamiste... de la "famille qui avance". Dans un combat inachevé.
Source: l'Humanité Dimanche