Oran: ambiance de fin de Ramadan, the day after
Par N.TPublié le
Dans la nuit de mercredi à jeudi, les rues d’Oran n’ont pas désempli. Et sans transition aucune, dans la soirée de jeudi, les mêmes rues et les mêmes cités ont soudain été vidées de toute agitation humaine. Ce revirement brutal, à l’échelle au moins d’une partie de la ville, si on excepte quelques quartiers huppés, a toutes les chances de dérouter l’observateur étranger non averti.
Pourtant, pour certains quadras, il s’agit d’un simple retour d’une tradition remontant à leur jeunesse. L’explication est courte, concédons-le. Qu’il s’agisse de groupes ou de simples individus, chacun a sacrifié le sommeil de la veille de l’Aïd. Certains pour terminer les préparatifs de la fête. C’est notamment le cas de dizaines, voire de centaines de femmes qui ont passé des heures d’attente dans les salons de coiffure pour se faire belle. D’ailleurs, l’afflux vers ces salons de beauté a commencé deux ou trois jours avant la fin du carême.
C’est aussi le cas des familles qui n’ont pas terminé les achats des effets vestimentaires de l’Aïd. Fait nouveau dans ce sens, le marché de M’dina J’dida, dont les commerçants sont habitués à baisser rideau en milieu d’après-midi, a dérogé à la règle, en ouvrant pratiquement toute la nuit de mercredi à jeudi. La circulation au niveau de ce périmètre de la ville, notamment aux alentours de la Maison d’arrêt, a été jugée monstrueuse par plus d’un chauffeur de taxi.
Au niveau du marché du quartier d’Al Hamri, les marchands de fruits, soucieux d’écouler leurs marchandises, se sont eux aussi convertis volontairement au service de nuit. Pour joindre l’utile à l’agréable, ils ont organisé des parties de dominos entre eux durant les moments d’attente du client.
Certaines mosquées à travers la ville ont abrité jusqu’aux premières heures du matin des séances de « tahalil » (des chants religieux à l’honneur du Prophète notamment). Les douches et les quelques hammams encore existants ont dû retarder l’heure de fermeture pour répondre à la sollicitation d’une clientèle occasionnelle.
Quant à ceux qui ont opté pour une nuit blanche juste pour marquer la fin du ramadan, ils sont beaucoup plus nombreux. Pour la plupart, c’est une débauche d’énergie pour pouvoir dormir tôt le lendemain, c’est-à-dire à la fin de la journée de l’Aïd, jugée mortellement ennuyeuse. Notamment les cafetiers, les marchands de glaces, les vendeurs de cigarettes et certaines épiceries, soucieux de réaliser un chiffre d’affaires, qui ont participé à l’animation de cette vie nocturne occasionnelle.
Ainsi, des jeunes, dont beaucoup d’adolescents, se sont livrés à des tournois de dominos dans plusieurs quartiers de la ville. Au niveau de la rue d’Arzew, de petits groupes, équipés de chaises de plage et de tables basses, ont affûté leur maîtrise de ce jeu de société. D’autres, moins nombreux, ont opté pour la « ronda », un jeu de cartes espagnol. Encore moins nombreux, d’autres ont fixé leur choix sur le « rami » parce qu’exigeant une logistique plus appropriée. Relevons à ce niveau la disparition presque annoncée de la belotte, devenue l’apanage d’un cercle de plus en plus réduit d’initiés et d’adultes. Traditionnellement, les casernes lors du Service national et les cités universitaires durant le cursus scolaire sont les espaces d’apprentissage et de transmission de ce jeu.
Les cybercafés, pénalisés la journée à cause du jeûne, ont dû se reconvertir au travail de nuit pour rattraper le gain perdu. En tout, les jeunes, désœuvrés ou en vacances, n’ayant pas d’obligation pour se mettre debout la journée, ont trouvé dans ces lieux un refuge pour rester éveillés jusqu’au matin, avant d’aller retrouver le lit, jusqu’à l’appel de la prière du «maghreb», c’est-à-dire au moment de rupture du jeûne.
D’autres jeunes, peu portés sur les jeux de société et encore moins sur les échanges à travers Facebook, se sont organisés entre eux pour une descente à la corniche afin d’humer l’air marin. D’un coup, toute cette effervescence s’est estompée net. Dès la tombée de la nuit, le jour de l’Aïd, les rues ont commencé à se vider. Les enfants, qui avaient une bonne raison durant le mois de ramadan de braver l’interdiction de sortir tard le soir, ont repris les habitudes d’avant. Jeunes et adultes, tout le monde s’est plaint de la fatigue.
Tout le monde a donc senti le besoin de récupérer, mais surtout d’entamer une sorte de réadaptation consistant à revenir à un mode de vie plus conventionnel. D’autant que la véritable saison balnéaire va enfin commencer.
Oran, la nuit de cette journée de fête, a redécouvert son caractère de ville très mal éclairée. Parce qu’en fait, ce sont les magasins et les commerces qui restaient ouverts jusqu’à des heures tardives de la nuit qui assuraient une bonne proportion de son éclairage. Oran sera désormais livrée la nuit aux fêtards, motorisés en premier lieu et disposant de moyens pour écumer les restos et les boîtes de nuit. La majorité des jeunes renoueront avec les retrouvailles au bas des immeubles, dans l’obscurité, pour partager fantasmes et… parfois un petit joint.